Hervé Loyez Hervé Loyez Hervé Loyez Hervé Loyez Hervé Loyez Hervé Loyez


Dernières lectures :

"LA PROMENADE AU PHARE", Virginia Woolf : relecture, c'est un livre pas simple à lire mais qui s'accordait à moi en ce moment, l'instant présent, le passé, le passé présent, l'insaisissable de la vie, le livre est comme un tabeau, les couleurs de l'âme, et cette omniprésence de Mrs Ramsay, la mère, la mer, l'été, l'éternité de l'été - Et, de nouveau, elle se sentit seule en présence de sa vieille antagoniste, la vie


Hervé et Mark :

Extrait de « LES PETITS ENFERS DE DAVID LORENTZ », de Hervé Loyez :

Hervé Loyez « Sa tête se mettait à tourner comme s'il avait trop bu. Il s'assit sur un haut tabouret de comptoir, face à la salle. Il avait l'impression que tous ces mecs se déplaçaient dans une espèce de brouillard formant un écran devant lui. Qu'est-ce qu'il foutait ici ? Il n'entendait plus distinctement la musique, uniquement le rythme sourd heurtant ses tympans de plus en plus fort. Barbara ne lui avait pas téléphoné depuis avant-hier ; un signe qui ne le trompait pas. Depuis dix ans, ils s'appelaient tous les jours, sauf pendant leurs brouilles ; c'était elle qui décidait seule de leur début et de leur fin. Elle cessait brusquement de lui donner signe de vie pour des prétextes qu'il estimait futiles, dont elle affirmait qu'ils étaient révélateurs de son extrême inconstance. Un mot de trop, un geste de la main, un agacement passager, voilà qu'elle en faisait un drame ! Pire que s'ils étaient mariés. A chaque fois, il en éprouvait une sorte de rage impuissante ; contre Barbara, mais également contre lui-même. Quelle fatigue le saisissait, l'emportait tout à coup ? Adriana l'avait "lâché". Uniquement préoccupée par son expo, elle n'avait pas été autrement choquée quand il lui avait laissé entendre qu'il désirait être seul. Seul, il l'était ce soir. Elles le considéraient comme un être froid, donc fort. Comme il se sentait faible pourtant !
Dans leur petit groupe, Barbara régentait tout ; elle choisissait les restaurants, les horaires des sorties, les films qu'on devait voir, le lieu des vacances qu'ils passaient ensemble, où l'on faisait ce qu'elle aimait. David se souvenait du profond sentiment de culpabilité qu'elle lui avait fait ressentir, l'an dernier, lorsqu'il était parti seul quinze jours pour les fjords norvégiens. Lui qui, durant des semaines, s'était fait une joie de ce voyage- sans doute l'avait-il un peu trop montré, et pourquoi ?-, avait éprouvé comme une angoisse pendant les deux ou trois jours précédant le départ. Elle ne lui fit aucun reproche ; mais il savait qu'elle considérait ce départ comme une traîtrise. Ou alors, tout ceci n'était-il que le fruit de son imagination ? Mais non, elle n'était pas venue à l'aéroport ainsi qu'elle l'avait elle-même proposé- il se serait bien gardé de lui demander une chose pareille ; en avait-il seulement envie ? Deux jours avant de partir, il avait eu le malheur de plaisanter, au cours d'un repas, sur les rapports singuliers que Barbara entretenait avec l'argent. Elle était un peu "radin", avait-il dit. (David s'en fichait ; on est comme on est.) Elle n'avait alors plus prononcé une parole de toute la soirée, à la fin s'était enfuie sans crier gare, les yeux rougis, et ne l'avait revu qu'après son voyage qu'elle avait donc contribué à gâcher.
Le matin du départ pour Oslo... Il y avait du soleil sur Paris. Les arbres avaient revêtu leur feuillage tendre durant la nuit. Quitter tout ça, même pour quinze jours... Le boulevard Saint-Germain, les terrasses de café- qu'ils fréquentaient tous les trois- étaient l'image du bonheur qu'il laissait : son univers clos ; cet amour contre lequel il se rebiffait. Est-ce que l'on se révolte contre l'air qu'on respire ? Même Orly et le "périph" paraissaient beaux. Dans le taxi, il avait reniflé, puis écrasé une larme.
Elle le tenait, elle l'étreignait par des fils invisibles, par la passion, par la douleur de son regard quand elle sentait qu'il voulait fuir. S'échapper, s'en aller vraiment, pas pour quinze jours. Comment le pourrait-il ? L'idée lui traversait l'esprit, parvenait même à le séduire, parfois, dans l'imaginaire, dans un "absolu" qui se transformerait vite en cauchemar. C'était une certitude, ils étaient liés l'un à l'autre. Il était amputé, par ce lien, d'une partie de lui-même. Ils ne pouvaient qu'en souffrir tous les deux. Jusqu'à leur mort. Mais aussi, quels instants de bonheur et de complicité ! Pourquoi se déchiraient-ils pour des riens ? Pour quelles raisons voulait-il fuir quand il savait qu'il en serait incapable, que jamais il n'irait jusqu'au bout ? Quel mystère ! Etait-ce Barbara qui avait raison ? Avait-elle l'âme plus élevée, le cœur plus grand, l'amour plus sincère ? Le doute était en lui ; il se sentait désemparé. Dormir, sombrer dans le sommeil. © »

Hervé Loyez, 1958-1993, écrivain, auteur de "Le voyage à Alba", "Les enfants de la folie" (extrait paru dans le nº8 de la revue "Les hommes sans épaules"), "Les petits enfers de David Lorentz", "Quand nous serons à Mukallâ", et "L'Outarde" (paru dans la revue "Le serpent à plumes", nº26)


Extrait du « journal » de Mark Anguenot Franchequin :

Mark Anguenot Franchequin « Je déteste quand les hommes cherchent à vouloir tout scientifiquement expliquer, justifier et comprendre. Il nous faut savoir garder une place aux choses mystérieuses qui nous dépassent et que nous ne saisirons jamais. Que seraient nos existences misérables de petits mortels sans cette part d'inconnu qui nous entoure et nous assaille. Je revendique des rêveries déraisonnables, extravagantes, inhumaines, chimériques, au moins nous permettent-elles d'échapper un temps à la cruelle réalité, à l'insoutenable et écœurante réalité. C'est dans ses rêves et son imaginaire, dans ses capacités à fuir la médiocrité quotidienne, à la rejeter que, sans doute, l'homme est souvent le plus beau et offre au monde une face de lui-même acceptable, c'est quand l'imaginaire prend le pas sur le réel que la vie devient un petit peu moins insupportable. C'est ce qui m'émeut chez la plupart des artistes, ils savent que leur mission est bien de nous alléger de nos souffrances, de nous convier au désordre de l'esprit par le beau et l'originalité de leur vision, de nous dérober aux affres de notre condition, de nous dérégler de notre trajectoire en nous soumettant à leur bénéfique et constructive dérivation : que serait un monde sans art ni fantaisie dans cette sinistrose qu'est la vie ? Leur invitation au voyage est un bienfait pour l'humanité qui de toute façon flotte lamentablement et ne parvient pas à contrôler ni ses vents ni ses coups, ils nous sauvent de la déprime et leur présence saine contribue à notre salubrité mentale... © »

(Mark avait demandé que soit publié dans Libération le communiqué suivant : « Mark Anguenot-Franchequin, né le 8 juin 1958 à Besançon, est décédé du sida après une longue lutte contre la maladie. Il nous a quittés sans honte et sans regret pour rejoindre la terre de ses racines.
La vie est injuste et dégueulasse. C'est un long voyage au bout de la nuit. J'ai beaucoup souffert, mais j'ai aussi connu le bonheur, l'amitié et l'amour.
L'existence est difficile mais on peut vivre quand même et on doit le faire, coûte que coûte. L'aventure en vaut le coup - Mark »)

Mark Anguenot Franchequin, 1958-1994, pionnier de la lutte contre le sida en France, il a notamment été à l'origine de Sida Info Service ; son journal est le témoin de son amour révolté de la vie




Kino

anatomieAnatomie d'une chute
de Justine Triet, avec Sandra Hüller, Swann Arlaud,Milo Machado-Graner


past livesPast lives
de Celine Song, avec Greta Lee, Teo Yoo, John Magaro


feudFeud
mini série de Ryan Murphy, réalisé par Gus Van Sant, avec Naomi Watts, Tom Alexander, Diane Lane, Molly Ringwald, Chloë Sevigny, Joe Mantello, Treat Williams


newreaderThe newsreader
créé par Michael Lucas, avec Anna Torv, Sam Reid, William McInnes, Marg Downey, Michelle Davidson, Rory Fleck Byrne, Robert Taylor