Hervé Loyez    Hervé Loyez    Hervé Loyez    Hervé Loyez    Hervé Loyez    Hervé Loyez


Dernières lectures :

"VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE", Jules Verne ***
"LA BELLA CONFUSIONE", Francesco Piccolo ****
"SANS FAMILLE", Hector Malot ***
"UN GARÇON PRÊS DE LA RIVIÈRE", Gore Vidal ***


Hervé et Mark :

Extrait de « L'OUTARDE », de Hervé Loyez (paru dans la revue "Le serpent à plumes", nº26) :

Hervé Loyez « Ce 23 février 1992, sept heures cinquante-trois, la colline se tient encore debout, là-haut dans la maison silencieuse les petits assistés de mama dorment ou bien ils sont tous morts, Sané abandonne sa méditation à l'ombre des acacias, elle se redresse, remue son postérieur couvert de terre, ôte gracieusement de sa chevelure les racines d'arbousier et, sans apercevoir dans le taillis Moussa, qui se demande s'il n'a pas affaire à quelque personnage de légende sorti d'un crâne de griot, elle s'empresse ! Mama traverse le bidonville, on la salue respectueusement, qui ose ne pas aimer Sané ? "Où ti courres ?" s'enquiert Republica, jeune fille d'une vingtaine d'années. Mama fait signe qu'elle est aphone, peut-être muette, allez savoir - incommunication. Les plus jeunes célèbrent mama, tournent comme des mouches autour d'elle, ils escomptent de menus cadeaux (une graine de tournesol, le bouchon d'une bouteille de Coca ou autres plumes de marabout), dans cette foule Sané se fraie difficilement un chemin, elle écarte les bras, ressemblant à un épouvantail dans un marigot. "Pas une minute à perdre", songe-t-elle.
Madame Sané, qu'est-ce qui motive votre hâte ?
Elle imite le grondement d'un chacal, la perfection est saisissante et l'on s'écarte de mama. Dans le regard des gamins du quartier, mama Sané découvre la stupeur : ils se demandent pourquoi mama n'est plus si drôle, si complice, pour quelle raison elle se fâche. "Ma' Sané tu ne joues plus le jeu", semblent-ils penser. Mama hésite. En prendre un dans ses bras, ou leur crier : "Il n'y a plus de Sané" ? Elle passe un doigt sur ses lèvres, palpe sa gorge voluptueusement, elle tourne sur elle-même de plus en plus vite, ils font la ronde en sens inverse. Un vieillard accroupi sur une bûche, en équilibre instable - il travaillait autrefois dans un cirque -, frappe dans ses mains. Republica pose sur le front de Sané une couronne de fleurs du baobab. Mama fait une pirouette savante, titube - les favelas ont accouru, on s'assemble, on tend des linges, une voix jette a la ronde : "Sané s'est trouvée mal, elle y passera surement !" On lui tapote les joues, on la requinque, elle a perdu l'usage de la parole, elle s'établit sur ses jarrets, juste un éblouissement, la voilà qui s'en va, et ils la suivent ! Vingt, trente, peut-être même cinquante filles et garçons sagement répartis en deux colonnes, va comme je te pousse et queue leu leu derrière mama. Ce petit monde chantonne, expédient de chorale sur la décharge bordant le bidonville. Pieds nus, accrochés au boubou de mama, ils forment une traîne improvisée. Le cortège s'est engagé sur le bas-côté de l'autoroute où on peut lire sur des panneaux ornementés : "Bouygues. Grands Travaux de l'Etat. Pour votre confort, votre sécurité, nous aménageons une bande d'arrêt d'urgence." Le rythme des voitures aidant, la file s'emmêle et se disloque, se dévergonde, et clac ! sur les fesses de mama, et clac ! sur les cuisses du voisin. Plus un cantique, le rap ! On klaxonne alentour. "Est-ce un spectacle pour nos héritiers ?" crie à mama un automobiliste en chapeau. En ville, des généraux de bronze de l'époque coloniale montés sur des chevaux couillus semblent donner ce conseil à Sané : "Retourne d'où tu viens." Dans le quartier des ambassades et autres administrations, sur une place où s'élève, telle une bonbonnière rococo en pierre blanchie, l'Hôpital militaire Soumaoro-Kanté, une grand-mère à la taille imposante vêtue d'un solide pagne du pays de Do en cotonnade nouée sous l'aisselle psalmodie à l'ombre d'un caïlcédrat : "I don don don kokodji." Elle vend des papayes frites. "Wassa wassa ayé", dit mama (qui a retrouvé sa langue). "Wassa wassa ayé", répond l'aïeule. Sané balaie des yeux les quelques marches donnant accès à l'Hôpital, achète des papayes frites qu'elle distribue à la cantonade. "Adieu, rentrez chez vous." Leurs chemins se séparent, les enfants s'éloignent sagement, ils se tiennent par la main. L'un d'eux se retourne, agrippe le poignet de mama, il lui désigne les poches de sa culotte pleines de gravier. "Petit Poucet je suis. On va là-bas. Tu nous rejoins ?" Il montre du doigt la direction du nord, Tessalit, l'adrar des Iforas. Mama caresse sa petite tête crépue. Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir s'échapper et que signifie leur amour pour mama ? Enfermée dans sa boîte et ses contradictions, seule à connaître la réponse, elle songe à Mamadou, et Silvio, et Benjamin, aux deux jumeaux et leur sœur blottis contre la porte. Combien sont-ils dans la masure au faîte du Niougou ? "Il s'est passé des choses ce matin !" énonce-t-elle en toute simplicité. Sainte mama crocodile ! L'apparition en majesté du silence dans l'univers normalisé des bruits de la colline et la monotonie enfreinte suffiront-elles à faire de toi un monstre ? Je vous entends rabâcher : "Combien sont-ils dans le Septentrion, mais également combien sont-ils sur le Niougou ?" Mama ignore l'exactitude. Elle les aurait voulus par centaines sous sa coupe, c'est là son seul échec, c'est là sa seule souffrance. Plantée comme une statue de Vierge en travers de la route, doigts sur le cœur, la face éblouie vers le ciel et, comme Balla, devenue reine, Sané adresse au Très-Haut ce message en forme de procès-verbal : "Mama aimantée du panache, outarde nourricière de l'Afrique, le désespoir se dilue en toi !"

Mama Sané soupire, la troupe de ses fidèles a disparu par enchantement, le square est vide. II n'y a plus que la vieille sous son caïlcédrat et sur le trottoir une succession de cailloux ternes paraissant à mama d'un bleu de lazuli. Il fait quarante degrés, Sané s'installe dans le soleil, les chants des muezzins comme des souffles d'air frais ont rendez-vous avec mama. Elle erre quelques jours dans la ville. Elle la traverse en direction du sud, elle se transporte au nord, les montagnes du Tchad et celles de l'Hadramaout sont invisibles à l'horizon. Elles sont inaccessibles. Mama suit la trace azurée sur le sol d'un pas vif. Place Kouroukan, à l'orée d'espaces arides, lieu bordé d'entrepôts où le vent crie, mama s'est assise sur le rebord d'une fontaine asséchée, elle a remonté sa robe au-dessus des genoux. Elle s'attarde. Un tourbillon de plumes et de brindilles de paille lui picote les chevilles. Elle vient d'apercevoir à ses pieds un tas de gravillons, le contenu d'une poche d'enfant. Le fil que suivait Sané s'est interrompu, la progéniture que mama couvait s'est dissipée comme une bande de moineaux. Elle éparpille de son talon les turquoises, elle se dévêt entièrement, les plumes et les brindilles se collent à sa peau moite. Mama se dresse, bat des ailes, mama s'ébroue, elle sautille vers le désert tout proche. Au sommet d'une dune mama creuse un nid, s'accroupit dans le sable fiévreux. Elle lisse son duvet blanc de sa langue assoiffée, de la dureté d'un bec, déploie ses bras comme un manteau protecteur. Elle se réjouit : "ils ne tarderont plus." Elle s'endort apaisée. Au loin une caravane de marchands chemine vers Tombouctou.
NO HAY CAMINOS HAY QUE CAMINAR © »

Hervé Loyez, 1958-1993, écrivain, auteur de "Le voyage à Alba", "Les enfants de la folie" (extrait paru dans le nº8 de la revue "Les hommes sans épaules"), "Les petits enfers de David Lorentz", "Quand nous serons à Mukallâ", et "L'Outarde"


Extrait du « journal » de Mark Anguenot Franchequin :

Mark Anguenot Franchequin « Qu'est-ce que c'est "mourir dans la dignité", "proprement", quand tu n'as pas d'autre alternative, d'autre choix ? Soleil-Levant, qui est en train vraiment, je crois, de vivre ses derniers jours- je dis bien : de vivre ses derniers jours, et non pas de mourir- me disait, il y a quelque temps : "ne viens plus me voir, car j'ai des couches, et cela m'humilie". Je lui ai répondu : "Soleil-Levant, ne t'inquiète pas, si tu chies dans ton froc, ça ne m'empêchera pas de t'aimer, et de t'aider, jusqu'au bout".
J'ai peur qu'on cesse d'aimer les gens parce qu'ils chient dans leur froc, parce qu'ils rotent, parce qu'ils pètent, à cause des médicaments qu'on leur donne. Parce qu'on veut des malades propres, des morts propres, qui ne dérangent pas, et qui n'embêtent pas les bien-portants et les vivants.
J'ai peur que les malades aient envie de mourir parce qu'ils sentent qu'ils pèsent, qu'ils sont une charge, qu'ils se dégradent physiquement, et non pas parce qu'ils ont le choix...
J'ai été un homosexuel plutôt discret, même invisible parfois, pensant que c'est comme ça qu'on m'aimerait et qu'on m'accepterait, et j'ai eu tort, et je le regrette.
J'ai été un séropositif bavard, mais pas assez à mon goût, aussi je ne serai pas un malade discret et propre. Et j'emmerderai les bien-portants jusqu'au bout. Je ne me laisserai pas mourir silencieusement.
Je crois que lorsque Daniel Defert a écrit que le malade était un réformateur social, il a écrit la chose la plus intelligente et la plus puissante, peut-être, qu'il n'écrira jamais plus. C'est un malade qui te le dit. Certes, je tiens debout, je peux encore travailler, conduire ma moto... mais mon corps me parle, et je sens bien qu'il est malade, et que, petit à petit, je quitte le monde des bien-portants qui pensent que nous voulons mourir proprement et qui veulent nous y aider...
Je ne veux pas de ces soignants qui me font peur et qui, sous couvert soi-disant d'humanisme et de dignité, assassinent indirectement les malades, avec en prime la certitude d'avoir bien fait...
Qu'est-ce que c'est que cette humanité qui enferme tout ce qui la dérange, qui se débarrasse de tout ce qui lui fait peur ?
Nous sommes vraiment à l'âge de pierre des sentiments ! © »

(Mark avait demandé que soit publié dans Libération le communiqué suivant : « Mark Anguenot-Franchequin, né le 8 juin 1958 à Besançon, est décédé du sida après une longue lutte contre la maladie. Il nous a quittés sans honte et sans regret pour rejoindre la terre de ses racines.
La vie est injuste et dégueulasse. C'est un long voyage au bout de la nuit. J'ai beaucoup souffert, mais j'ai aussi connu le bonheur, l'amitié et l'amour.
L'existence est difficile mais on peut vivre quand même et on doit le faire, coûte que coûte. L'aventure en vaut le coup - Mark »)

Mark Anguenot Franchequin, 1958-1994, pionnier de la lutte contre le sida en France, il a notamment été à l'origine de Sida Info Service ; son journal est le témoin de son amour révolté de la vie




Kino

The Great Lillian HallThe Great Lillian Hall
de Michael Cristofer, avec Jessica Lange, Kathy Bates


c'è ancora domaniC'è ancora domani
de et avec Paola Cortellesi


scrapperScrapper
de Charlotte Regan, avec Harris Dickinson, Lola Campbell, Alin Uzun


la canciónla canción
créé par Pepe Coira y Fran Araújo avec Patrick Criado, Àlex Brendemühl, Marcel Borràs, Carolina Yuste