Jean-Michel Iribarren

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"Vie d'Ange" 1990

 
résumé : vie de Ange Tournoyeur, qui à l'âge de 18 ans décide de mourir jeune, à l'heure qu'il choisira, seule réponse qu'il trouve pour se venger de l'horreur : Ange voulait mourir du temps de sa jeunesse. Sa volonté était à la mesure de la rage qu'il mettrait à vivre et qui sait à regretter la vie : il était le désordre à lui tout seul.

(extrait) « Extrémité du Pont-Neuf, rive gauche. À quelques mètres de là un enfant avait bouleversé sa vie, il y a plus de trois ans. Il revenait pour un autre. "Recherchons jeune professeur pour garçon seul. Très bien payé." Il était tombé par hasard sur la petite annonce. L'idée de donner des cours lui trottait dans la tête depuis déjà quelques semaines. Un boulot de professeur ce n'était pas vraiment un travail. Il aimait cette occasion d'approcher des enfants pour leur dire ce qu'il savait. Il repensait au canal. Sans professeur. Les nuits étoilées. Envie de retrouver l'enfance à peine quittée. Refaire le chemin, se donner un miroir. Que cherchait-il vraiment ? Il fallait que ce soit un garçon. En lisant ces mots dans le journal Ange eut un pressentiment. On l'attendait, lui. Il regarda l'immeuble et son dernier étage. Une immense baie vitrée. L'intérieur était faiblement éclairé, d'une lumière entre le rouge et l'or. Ange hésita. Mais il ne pouvait plus abandonner. Il monta les sept étages sans ascenseur. Philippe lui ouvrit. "Je vous attendais." Il pénétra dans un immense salon où se trouvait la baie. C'était la première fois qu'Ange découvrait tant de luxe. L'appartement ressemblait à un refuge d'exilés tsaristes. Il ne distinguait pas bien les limites de la pièce dans l'obscurité. Derrière la baie Ange ne parvenait pas à se défaire de l'idée qu'il y avait la mer. Il alla regarder mais plus loin il apercevait bien la rue du Pont-Neuf. Il ne pouvait pas se sentir bien ici. Pourtant il n'avait pas envie de s'en aller. Philippe a quatorze ans. Il est déjà en seconde. "Mon ancien professeur vient de partir, elle ne comprenait rien. Je n'ai pas besoin d'être traité comme un gamin." Il lui parle comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Il est mince, les traits fins, les cheveux noirs. Il parle d'une voix posée, un peu précieuse. "Vous avez dû beaucoup travailler pour entrer dans votre école." Ange se tait. Étonné de n'être pas encore parti. De trouver familier un environnement aussi étranger. Étonné de se trouver bien, si loin de sa chair, de sa vie, dans cette opulence honnie. La femme qui le salue rapidement n'a pas énormément de classe mais elle est sympathique et elle aime les hommes. Il le voit dans sa démarche, les seins qui avancent. "Je vous laisse avec Philippe, il vous expliquera. Vous êtes ce qu'il lui faut. Ne vous inquiétez pas pour l'argent. Il y en a." "C'est Annie, ma mère" dit Philippe avec complicité. Ils ont l'air seuls au monde dont ils semblent ignorer l'existence. Ils appartiennent au décor tout en faisant pièces rapportées. Ils transpirent l'exil. Ange reste. "Mon père est mort il y a trois ans, il était très riche. Sa famille épie nos moindres gestes. Ils n'ont jamais admis. On les emmerde. L'argent on en profite pour tous les emmerder. On est libres Annie et moi. Je voudrais faire de grandes choses, il faut que vous m'aidiez." Ange commence à comprendre pourquoi il est resté. Philippe montre les livres, les cours par correspondance. "Annie préfère que j'étudie chez nous. Je crois qu'elle a raison. Je ne suis pas sûr d'être bien accepté." Ange viendra six heures dans la semaine. "Venez plus si vous pouvez. On ne vous retiendra pas quand vous voudrez laisser tomber. Vous êtes un homme libre vous aussi, n'est-ce pas ?" Ange dit qu'il sera là demain. Il a besoin de retrouver la rue. © »

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Vie d'Ange

L'œil gauche de Vladimir

Barbe Bleue

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'œil gauche de Vladimir" 1991

 
résumé : une nuit de Paris, noire, sans électricité, un homme et une femme sous les toits, un moine à la recherche d'un livre, un assassin, et Paris comme une femme veillant sur ses enfants.

(extrait) « C'est là que Vladimir se remit à parler. Cette fois tout s'emmêlait, Maria, l'eau calme au beau milieu du fleuve, le sang dans le caniveau le matin, son œil qui ne voyait rien de ce qui se passait sur sa gauche, le livre qu'il avait retrouvé, la poudre de perlimpinpin, le square des Batignolles, les enfants de la mort, le soleil qui tombait sur le Gange, celui de Biarritz, le sable clair, la plage déserte, ses bras en croix devant l'autel, son assiette de soupe, la pute du porche qui lui parlait d'amour, le secret du livre, le chapelet qu'il égrenait, les malades méconnaissables qui n'ont même plus la force de pousser une porte, cette mort de l'amour, ceux de la liberté, toujours là, il en est sûr, il était avec eux, les corps de ceux qui s'aiment et recommenceront, les mensonges assassins, la vie parfois, un jour, là-bas, ici, le monde qu'un jour il découvrit, son impatience, les enfers, et comme il y était bien, et Dieu, sa simple envie de ne pas les abandonner, être toujours avec eux. Alors Ange, dans un geste brutal qui renversa son verre, et la bière lui coula dessus, l'attrapa par la nuque, approcha son visage du sien pour mieux lui dire ce qu'il savait. On eût cru de loin que tous deux s'embrassaient. C'était la même chose. Un espoir fou, là. On aurait dit des frères. "Je n'y crois pas. C'est impossible. C'était perdu d'avance. Je ne reviendrai pas, c'est un piège. Mais toi, tu es là. Essaie. Si tu as le courage, essaie. C'est pour ça qu'on est là. Donne ta main, serre la mienne. Va ! si tu n'as pas le dégoût. Je t'envie de croire toujours, tu m'en diras des nouvelles. Tu me reparleras de la pluie, de tous les coins perdus. Essaie, on est pareils. Je ne veux rien t'enlever. J'aurais aimé te ressembler, mais j'avais tout vu, c'est irrécupérable. Mais après tout, regarde. Comme ils disent, le jour se lève encore, regarde-le s'infiltrer sous la porte." Vladimir, assommé, jeta un œil- le bon- vers l'entrée. C'était le petit jour. Il fut désespéré de la fin de la nuit. La salle s'était peu à peu vidée pendant le temps qu'ils se parlaient. Le gros bonhomme commençait à ranger des chaises. Le regard de Vladimir revint vers Ange. Il était la dernière lumière de sa nuit. Il voulait lui répondre. Lui reparler encore des heures quand il priait, il y a de nombreuses années, en se saoulant de vin, dans les yeux d'une femme qui s'accrochait à lui, seul visage de l'espoir, dans le sourire d'un enfant qui répondait au sien, les instants où il ne tenait plus debout, où il se relevait, quand il ramassait les assiettes sur les tables, après les repas au monastère, ou qu'il passait le balai. Il voulait lui redire la patience, lui, l'impatient, lui dire aussi qu'il était comme lui. "On sait tous les deux les mystères..." Il s'était arrêté. Ange n'était plus là. Il avait regagné l'oubli des hommes dont il n'avait jamais été. Peut-être qu'il était reparti avec l'Espoir. Qui sait ? Vladimir était seul. "On sait tous les deux les mystères, on les a acceptés." Vladimir se leva, le corps meurtri, il lui fallait dormir. Il quitta sans regret cet endroit protégé où il savait que se retrouveraient encore et encore ceux qui ne bâtissent rien. Il ne partait pas vraiment. Il prit une cigarette dans un paquet oublié sur une table. Dehors le soleil se levait à peine. La nuit s'en allait lentement, à contrecœur. Il vit un bec de gaz allumé. La panne était terminée, avec elle le désordre espéré. On l'entendit murmurer : "j'éteindrai tout un jour, cette fois pour de bon. En attendant, marchons". Il avança vers l'église où l'attendait le livre. Sa robe était froissée. Tachée. © »

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Barbe Bleue

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"Barbe Bleue" 1993

 
résumé : Deux ans de la vie d'Alexandre de Beaumanoir au collège Barbe Bleue, loin de Paris adoré, Alexandre le solitaire, différent, qui fera le chemin pour découvrir les mystères du château Barbe Bleue, de vie et de mort, jusqu'à trouver l'amitié, et la liberté toujours à recommencer.

(extrait) « Il s'était retrouvé de l'autre côté du mur, d'un coup, il avait cru mourir, au début il ne distinguait rien. Il en avait oublié son mal de tête, ou il était fini, mort on ne devait plus avoir de migraine. On le regardait. Maintenant il voyait bien les yeux posés sur lui. Il cria : "fous le camp !" Il eut un mouvement en arrière. "Eh ! calme-toi ! t'es Beaumanoir c'est ça ? tu parlais à qui dans le confessionnal ? t'es fou toi !" A la pensée qu'il était bien vivant Alexandre se mit à rire, c'est l'autre qui l'arrêta : "Michel Piaget, tu te souviens, les bizutages, j'étais intervenu en ta faveur, tu riais moins à l'époque !" Alexandre se souvenait parfaitement, un garçon sportif, si différent de lui qu'il n'avait même pas cherché à s'en faire un ami. "Regarde ! c'est incroyable ! j'ai basculé avec toi, j'étais de l'autre côté du confessionnal, moi qui voulais découvrir un secret ! t'es un as !" Ils étaient entourés de croix, de calices, de pierres précieuses, dans le fond ils apercevaient un autel au-dessus de quelques marches, des habits de messe traînaient par terre, Alexandre paraissait ne pas s'y intéresser. Qu'est-ce que le garçon avait pu penser de lui ? et dire qu'il avait cru se confesser à Dieu ! Pourquoi ne le laissait-on pas tranquille ? Tout ça pour une malheureuse porte ! Il n'y avait rien à espérer, voilà la vérité ! Piaget s'était mis à fouiller partout, il répétait : "quelque chose doit être caché là !", il se cognait la tête, déplaçait des étoffes, ouvrait le tabernacle, rien, "laisse ça, y a rien à découvrir, rien, j'aurais dû m'en douter depuis longtemps !" Assis sur les marches de l'autel. Piaget les yeux brillants, "allez ! c'est déjà bien, un passage secret, j'en rêvais !", rien n'entamait sa joie. Il regarda Alexandre. Ses yeux las. Las de combats qu'il jugeait soudain inutiles, le manque d'argent, la mort de Daniel, le bac, tout l'accablait maintenant, pourquoi s'était-il obstiné ? Son camarade jouait, lui il ne jouait pas, c'était sa vie qu'il risquait à chaque fois, qui aurait pu comprendre ? Il aurait dû s'en douter, Barbe Bleue lui faisait le coup du chaud et du froid sans arrêt, c'était ainsi qu'il le retenait prisonnier. A son tour il regarda Piaget, il semblait si heureux d'être là qu'Alexandre esquissa un sourire. "Quand même ! on est vivant nom de Dieu ! j'ai bien cru y passer ! il y a quelque chose de merveilleux là-dedans, être vivant, un jour je saurai quoi exactement, tu n'es pas d'accord ?" "Peut-être, sinon je n'aurais pas cherché, comme toi. Mais tu as bien vu, il n'y a rien, jamais rien. Au début je trouvais cela amusant, mais s'il n'y a rien à quoi bon ? Tout m'ennuie." "J'ai compris, je t'ai écouté tu sais." Il avait dit cela avec tant d'assurance qu'Alexandre le crut. Il ne vit plus en Michel un gêneur, l'énergie du garçon passait un peu en lui, il l'écouta, Michel pensait que l'existence était merveilleuse, qu'elle leur réserverait bien des surprises, des mots qui rejoignaient les gestes de Sean parfois, ses yeux, Alexandre les répétait les soirs où il imaginait les grands départs, les continents lointains, il se racontait une histoire impossible, les mots cachaient tant d'exigence, tellement de blessures passées ou à venir. "Une porte cela n'est rien. J'ai des idées de grandeur, elles n'ont jamais trouvé leur place, alors une porte, tu parles !" Michel sourit à son tour. "Je t'apprendrai. Ils t'ont sous-estimé. Il faut leur tenir tête, ils n'en mènent pas large." © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

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"H" 1994

 
résumé : Après la mort de H à trente-cinq ans. Tout commence : "qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur".

(extrait) « (lettre de H à JM, 29 juillet 1991 Juste un petit mot pour te dire ce qu'on ne peut pas tellement se dire au téléphone. Je suis heureux qu'on se retrouve lundi. Plus qu'une semaine. Cela dit, tout va bien ici, rassure-toi. J'écris beaucoup, avec parfois une sorte de hâte, de nécessité. Lorsque je relis ce que j'ai noté dans cet état, tout n'est pas bon. Mais l'essentiel est là. Pourvu qu'un peu- qui sait ? peut-être même beaucoup- de tout ce que je ressens, ou crois ressentir au fond de moi, passe la barre, atteigne les autres. Peut-être est-ce grâce à moi (non pas en me voyant écrire, mais pour d'autres raisons que je sais plus profondes) que tu as voulu écrire (tu me l'as dit souvent), mais en tout cas c'est grâce à toi, je le crois profondément, que j'atteindrai ce que j'ai de plus profond en moi, de plus vrai. Et nous finirons bien par le dire. Tous les deux. C'est aussi pour ça que je n'ai pas ressenti de jalousie quand tu as été publié et pas moi. Ce qui t'arrive de bon l'est pour moi, bien sûr parce que ça peut aussi, accessoirement, m'être utile mais essentiellement, parce que nous serons ce que nous sommes ensemble et l'un par l'autre. Je sais bien que tu es persuadé de tout cela depuis plus longtemps que moi. Et moi, même lorsque tu as pu douter de moi, j'en ai toujours conservé sinon la certitude du moins une espèce de conscience. Conscience qui te rendait présent en moi, même quand je paraissais, à tes yeux, éloigné.
Pour revenir à l'écriture, j'ai parfois peur de m'illusionner quand je ressens "certaines choses" en écrivant. Et si ce que j'écrivais était nul... (Nul ? non, mais pas à la hauteur de ce que j'attends.) J'aborde des sujets essentiels mais hautement casse-gueule. La barre est haute. Donc, je suis constamment sur le qui-vive. Qu'importe, il en sortira quelque chose.
Voilà mon chéri. Merci d'être là. Peut-être est-ce cela l'amour : être davantage soi avec l'autre que tout seul. Le reste, bien sûr, n'est pas désagréable. Mais le temps presse. Et, pour paraphraser G., on a vite fait de foutre en l'air sa vie.
Tu sais tout cela, tu n'as pas besoin qu'on te le dise. Mais ça me fait plaisir de te le dire à toi. Et puis tu le mérites. H © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'acharnement de soi-même" 1995

 
résumé : une parenthèse dans la vie de Hugo, l'hôtel du Palais dans une ville qui ressemble à Amsterdam, la mer. Le cercle des amis de Hugo au Palais dont il est la lumière alors que lui-même essaie de survivre à la mort de Vincent. Cette ville où la chanteuse Bill Feria dit-on s'est suicidée dans la tour qui porte son nom désormais.

(extrait) « Je te reviens. Je ne serai pas parti pour rien. Te revenir comme on retourne à soi-même, dans ce noir où seulement je vois. Il n'y a pas de mots. L'instinct me commandait d'oublier. Pas toi, pas le noir, pas la mer. Je n'ai pas oublié Hugo. J'avais treize ans, je promenais la solitude, déjà ils se trompaient sur moi. De ton côté tu imaginais l'improbable, tu guerroyais sur des champs de bataille inventés, la musique faisait le reste, tu commençais ta vie d'artiste, tu t'éblouissais de solitude. Au cœur des solitudes il y eut cet amour, méconnaissable et méconnu. L'instinct, pouah ! J'ai fait le contraire de ce que j'aurais voulu. Quand je dis "je", je veux dire "ils". Ce "ils" qui résume le monde, sur lequel on crachait, ce "ils" qui prétendait aimer. Tu feras que jamais je n'oublie le sens, ce fil ténu qui lie la bête à l'homme, cette lumière comme la bougie que portait l'enfant, si faible qu'elle permit de voir, qu'elle évita le chaos. Nous ne nous sommes jamais résignés au chaos. On l'aimait sans jamais y succomber. Le chaos, c'est nous. Ce gouffre traversé. Nous ne pactisons que de loin. On recouvre de noir ce qui brille avec tant de morgue. On tend la main pour mieux préserver l'autre. Nous, jamais là où on aurait voulu. Tu ne voulais pas y aller, tu y es allé quand même. Je m'inventais une parenthèse. Des cygnes blancs d'hier aux minotaures de demain. Je veux en venir que sans toi il n'y aurait plus d'espoir. Que sans toi le bal serait fini, la main aurait sculpté pour rien, l'aube aurait pleuré des larmes inutiles. Elle est belle l'absence. Qu'on a nourrie de chair, de foutre, d'impuissance. Sans la vie nous n'aurions rien pu faire. Si on vomit la vie c'est qu'on en a partout. On en a pour dix mille ans encore. Toutes ces différences qui nous faisaient souffrir. Pour une nuit elles se sont rencontrées. Contraintes de se voir. Contraintes d'avoir peur. Sur la terrasse je suis parti te rejoindre. Je déteste la fin, il n'y en aura jamais, comment le leur montrer ? Un jour ils voient et le lendemain ils oublient. Il y a son regard, il n'ignore pas l'effroi, déjà il t'aime, sans quoi je n'aurais fait que rêver, et même rêver c'est toi. Elle est cruelle l'absence d'être à ce point facile. S'il me reste le monde, tu me restes. Mourir mais une autre fois. Quand mourir ne sera que déposer le masque. Je sais le décor, les habits, presque le texte. L'essentiel est ailleurs. Ici ou autre part ce sera toujours ailleurs, alors... Ils ne savent pas. Ton ailleurs j'en ai déjà les mains salies. Je ne verrai plus mes mains. Un jour je ne te verrai plus. Il n'y a pas que toi, il n'y a pas que moi. Ce jour-là tu m'apparaîtras à nouveau. Il y a dans le ciel un oiseau. Il semble que je sois le seul à le voir. Il vole, disparaît, il revient, il ressemble à un loup. De ma chambre je le guette chaque jour. Ne m'en veux pas, je repars, il m'attend, cet oiseau-là il a confiance en toi. Prépare-toi à le voir arriver, il appartient au silence et aux mers infinies, aime-le, dis-lui qu'un jour il pourra se poser, mais ne lui dis pas quand. © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"La solitude du Mal" 1997

 
résumé : des meurtres sans explication, œil crevé et sable sur le sol, qui ressemblent au roman noir qu'écrit Léo Tirictiscu au moment où il rencontre Coutil, rencontre qui fera s'envoler la frontière entre le livre et sa vie.

(extrait) « Léo justement regarde ses yeux, il n'a pas changé. Léo éprouve une sensation de déjà vu qui l'embarrasse. C'est La Prison qui lui revient et sa rencontre sur la plage, le garçon s'appelait Jérôme. Il lui demande son prénom qu'il a oublié. Coutil. Le Coutil qui sauvait les enfants prisonniers en fendant l'océan. Coutil, avec le L à prononcer. Ça y est, ça lui revient. Coutil semble ne plus avoir mal aux yeux, il remonte le col de son manteau gris et veut marcher avec Léo. Il dit vouloir le connaître. Ses longues mains baguées parcourent les cheveux longs, il dégage l'innocence et la joie. Ils marchent, ils rient. Coutil est étudiant à Sciences Po. Il glisse sur le sujet, moqueur. Il parle de ses parents qui habitent avenue de Versailles, son père médecin, sa mère qui était serveuse dans un petit restaurant de Saint-Germain-des-Prés avant de se marier, c'est là qu'elle a rencontré le père de Coutil, il y allait avec ses copains carabins, il a bravé pour l'épouser un père mandarin à Pasteur qui voulait le voir se fiancer avec une autre. Coutil raconte sans pudeur, avec un air de raconter l'histoire d'une famille qui ne serait plus tout à fait la sienne. Il ajoute cependant qu'il les aime, on ne peut que le croire. Cette fois Léo lui tend la fiole de David. Coutil s'amuse de sa proposition et "parce que c'est toi" avale une gorgée. Il préférerait manger des crêpes, il adore les crêpes. Léo expliqua à Coutil l'histoire de la fiole. Il parla de David, de cet amour qu'il ne savait cacher. Coutil ne fut pas étonné. Il écouta en silence, questionna Léo sur les peintures de David et exprima le désir de les voir : "J'aimerais te revoir, tu me parleras de David et tu viendras chez moi, rue des Fossés-Saint-Jacques, j'ai une chambre de bonne". Ils échangèrent leurs numéros de téléphone et se quittèrent, Léo sur sa moto, le garçon à vélo. Coutil avait beaucoup parlé et Léo n'était guère avancé. Coutil ressemblait un peu au Jérôme de ses visions épileptiques. La même douceur à laquelle on ne pouvait que se rendre. La même beauté déconcertante. Il y avait bien des différences mais Léo n'aurait su dire lesquelles. Un troisième enfant l'obsédait, davantage que Jérôme ou Coutil. Celui qu'avait été son personnage, l'homme de l'impasse new-yorkaise, l'homme aux yeux boursouflés et au regard perdu. Ces trois enfants avaient en commun l'enfance qui s'accrochait à eux. © »

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"Amalia" 1998

 
résumé : Amalia Sané photographe, qui vit avec Tadzio le petit singe de Lisbonne, Amalia dont personne ne veut des photos et qui recherche pour se venger celui qui un jour lui a donné sa caméra (VL), Julien Rivière, le seul qui la comprend, le plus beau.

(extrait) « La mer, je suis prête. C'est insupportable la douleur qu'il avait dans les yeux. Insupportable de lui faire mal. Il bouge sur le sol. Le serpent se tortille nu pour moi. Elle aspire. Tout l'aquatique lui remonte à la bouche. C'est ce qui fait du bien. Elle ne pourra plus s'en passer. La peau de Julien, du sable entre mes doigts, jusqu'à l'entendre souffrir. Il a bougé sans que son sexe ne sorte de ma bouche. Le serpent adorable déroule sa langue entre mes cuisses. La langue de Lucifer est douce. J'entends encore qu'il répète Amalia. Il prend mes hanches, il les soulève, et toujours le sel sur mes lèvres, entre les dents, au fond de son cul. Il m'a fait serpent moi aussi. Depuis que je l'ai rencontré il m'a faite comme lui. Si j'ai perdu connaissance une fois c'est pour ne plus jamais recommencer. Il peut bien faire ce qu'il voudra, plus jamais elle ne perdra connaissance. Où est-on ? Dans quelle pièce de la maison à Trouville ? On n'est pas dans la maison à Trouville. On est là où ça crie, ça crie de plus en plus. Parce qu'on ne peut pas faire autrement que crier. On a trop aimé le silence. C'est ensemble qu'il fallait crier. C'est fait maintenant. Les cris se calment par moments. Le cri se met à sangloter. Ses mains pour moi sur mes cheveux mes yeux sur les têtons qui écument. Une vague après l'autre. La vague éclate elle s'étend puis elle repart en creusant le sable jusqu'à la prochaine, l'immense vague qu'elle n'attendait pas. Même plus la force de se relever. Tu te noies. Très vite j'ai pensé à son dos. Pendant que ma bouche suçait j'imaginais son dos. Il a eu le temps de me sourire quand je l'ai retourné. J'ai vu qu'il n'avait plus peur. Si tu te noies ça ne veut plus rien dire avoir peur. D'abord je le regarde. Je pourrais regarder le dos de Julien comme ça infiniment. Il n'y a pas d'autre dos que celui de Julien. Elle va y poser la main la bouche. La fragilité des enfants c'est le dos de Julien. L'envers des photos aussi. Et la vengeance aussi. J'y ai vu dans les creux les yeux de tous les morts qui m'ont emmenée ici. J'y ai revu mon père si beau quand il s'est refroidi de noir. Sur la ligne qui descend jusqu'aux fesses il y avait une route. Celle que je cherche depuis que je cherche une route. Là où le dos rejoint les côtes c'est le vide. Sans photos sans mort sans mots. Il suffit que je pose mes lèvres sur le bord de son dos et il n'est plus fragile. Il peut tout endurer. Je l'embrasse de baisers qui n'ont pas eu le temps ou qu'elle n'a pas voulus. Il a pris mes mains. Mes mains cicatrices des coups de rasoir donnés aux photos. Maria a fini de tousser. Julien lèche ses mains. Mes seins penchés sur son dos et les bouts de mes seins qui jouissent dans les creux sur les yeux des morts. Il retourne son visage vers moi. Il tire sa langue et la mienne sort. Les deux serpents ont mêlé leur venin plus tard, au même instant. © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'Insecte" 1999
Éditions du Seuil - collection Solo, dirigée par René de Ceccatty
 


résumé : monologue du virus du sida : On a beaucoup parlé de moi et pas d'eux

(extrait) « La Dernière Heure

je les entends qui reviennent les musiques espagnoles qui réchauffent
il y a le froid, de plus en plus le froid mais aussi la chaleur très loin la chaleur avec les musiques espagnoles qui font peur aux fourmis où sont les fourmis presque plus de fourmis tout d'un coup
autrefois, autrefois j'étais malade tu te souviens quelle maladie c'était, j'ai oublié, c'est comme si je revenais moi aussi
toi tu ne peux pas avoir oublié la maladie je sais que tu l'aimais quand même, tu aimais la maladie inhumaine, tu la trouvais humaine
les musiques espagnoles c'est pour toi aussi, pour l'échange
quand est-ce qu'on a décidé d'échanger, je n'ai plus de souvenirs
ou alors on a pas décidé, maintenant je décide, maintenant tu m'as rendu libre, on disait comme ça non, libre, c'est une longue histoire je m'en aperçois que maintenant
c'est qui maman ? je m'entends encore dire où est maman mais j'ai oublié maman, ce doit être une voix j'entends encore la voix loin
mon chéri mon chéri elle dit la voix, je ne comprends plus
je ne comprends pas et je sais pourquoi, je ne suis plus malade, plus du tout malade, tiens regarde je bouge je repars à zéro, je serai là
c'est toi qui vas reprendre la maladie inhumaine, tu voulais, mais tu verras c'est bien pire que tu crois, il va te falloir beaucoup de musiques espagnoles, beaucoup, pour éviter les fourmis, pour garder la maladie, pour que je puisse être là
je sens que je reviens guéri, il a suffi de l'échange entre toi et moi, ce que j'ai décidé avec toi sans te le dire
je te laisserai ce qui brille, ça ne sera pas de trop, moi je reste avec le mal, on y est bien, toi tu sais, tu n'es pas comme les fourmis je pourrai te faire mal encore
elles doivent aller vers toi les fourmis, je n'en vois plus aucune, méfie-toi elles t'en voudront encore plus qu'avant elles ne connaissent pas la pitié
reste avec la maladie inhumaine les fourmis ne pourront rien contre toi elles ont peur de ce qui brille ce sont de grandes froussardes les fourmis c'est incroyable qu'elles fassent autant peur des froussardes pareilles
écoute les musiques espagnoles comme elles sont lentes maintenant, un fleuve lent et sans fin, de plus en plus profond, du sang je crois
mon chéri mon chéri, il y a plusieurs voix maintenant, il y a une voix qui s'éloigne, elle vient vers toi, lorsqu'elle viendra vers toi écoute, c'est de la lumière, je crois qu'il est fragile, je ne peux rien d'autre pour toi, que ce qui est fragile
moi tu ne me reconnaîtras pas tout de suite j'ai déjà beaucoup changé
encore un peu, encore un instant
il fait froid à nouveau, je crois que je n'ai plus que toi, j'en suis sûr maintenant, plus que toi
je lis maintenant ce que tu n'as pas encore écrit, tu vas l'écrire hein, c'est pas gagné d'avance, même la voix fragile, surtout pas la voix fragile, je le connais à peine mais je suis près de lui
tu l'as voulue la maladie inhumaine, c'est l'échange rappelle-toi
tout est calme silencieux, les musiques espagnoles sont reparties
et si finalement... mais non, c'est pas maintenant que je suis guéri que je vais renoncer, c'est à cause du mal tu comprends, mais je ne pourrai pas t'expliquer je n'ai plus de mots il n'y a plus de mots ils s'en vont aussi, l'échange c'est les mots qui s'en vont contre ma guérison
pour moi le dernier mot...
on se dira que je l'ai échappé belle mais on ne pourra pas s'en défaire, toujours il restera une trace, c'est l'échange, les mots qui s'en vont contre une trace
ça y est, écoute : aucun mot
© »

article dans "Le Monde": https://archive.is/VyGL

Amazon: https://www.amazon.com/Linsecte-French-Edition-Jean-Michel-Iribarren/dp/2020407205

voir interview France Culture

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L'insecte

Yaguine

Undead

Wild Samuel

Géant

Âmes dehors (trilogie)

Matteo le magnifique




"Yaguine" 2000

 
résumé : dialogue entre JM et Yaguine, l'enfant malien mort caché dans la soute de l'avion qui devait le porter jusqu'à la France.

(extrait) « Tu ne prétends plus refaire le monde. Tu ne saurais pas. Autrefois tu y pensais à des choses comme refaire le monde mais tu voulais surtout que le monde te donne ta place. Finalement l'imperfection du monde t'a plu. Tu voulais des tyrans pour s'en débarrasser, s'embrasser à la mort du tyran comme sur la place Venceslas à Prague. Tu as eu tes tyrans et tu t'en es débarrassé, tu as pleuré de joie. Tu voulais la maladie pour pouvoir résister. Tu as eu la maladie, avec tes mots tu as résisté. Tu voulais la mort pour savoir. Tu l'as eue, tu as su : rien n'empêche d'aimer, ni la mort. Tu voulais des défaites, superbes, tu voulais te construire de défaites. Les défaites tu les a eues et plus que tu n'aurais jamais imaginé. Tu voulais être beau, que ta beauté tu en sois le seul artisan, comme une conquête. Tu l'as eue, la beauté. Tu voulais des garçons, des garçons pas des hommes, des anges, des diables, pervers, innocents, comme dans les livres, dans les romans de pacotille. Les garçons aussi. Tu voulais l'amour. Nous y voilà. Tu as toujours su ce que c'était, l'amour. Toujours. Tu ne t'es jamais menti là-dessus. Toujours su que l'amour c'était presque nulle part alors qu'on te disait que c'était partout. Tu as toujours su que c'était tragique et pas heureux, à refaire et pas signé, déterminant et pas secondaire. Pour l'amour tu étais prêt à tout, pas à n'importe quoi. Tu savais de l'amour que rien ne lui résiste, ni la mort etc. Tu l'as su vraiment très jeune. Tu n'as jamais connu personne qui connaisse l'amour comme toi tu le connais. Personne. Et tu sais aussi que disant cela personne ne te croira, ce qui après tout est normal puisque tu es bien le seul de ton espèce. L'amour, tu l'as eu. Tu l'as eu avec le reste, avec les défaites, la maladie, la mort etc. Tu l'as toujours et au bout du compte comme disait Hervé, c'est tout ce que tu as, ce que tu as jamais eu, tout ce qu'il reste. Ça n'a jamais suffi. Si cela suffisait, l'amour ne serait plus l'amour. Il te ramène au point de départ, l'amour. Et dégoûte-toi bien d'employer autant ce mot d'amour qui te dégoûte tant de ce qu'on en a fait. L'amour te ramène à toi. Sans lui tu te serais perdu de vue depuis longtemps, ça se voit tous les jours. Il te ramène à toi et tout est à recommencer. C'est d'aimer qui m'a fait regarder vers toi, Yaguine. Qui m'a gardé tel quel : perdu, enfant, guerrier.
Toujours la guerre. Contre elle, l'ennemie.
Si c'était ça aussi qui m'avait mené à Yaguine ? L'ennemi commun : la vie. © »

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"Undead" 2002

 
résumé : autobiographie.

(extrait) « j'ai marché toute la journée, je sais plus où, dans ces grandes avenues où je sentais le souffle de ma vie, où ma vie était déjà là sans moi qui m'attendait, y avait en ce temps dans Paris une partie de moi qui me courait après, qui désarmait pas... vers le soir j'ai pris le chemin du retour, je suis monté dans un bus qui me ramènerait chez moi, rien avait changé, simplement j'avais arrêté de travailler le temps d'une journée, j'étais assis au fond du bus, à un moment j'ai regardé en face de moi : il devait avoir mon âge ou un peu moins, il était blond, il était magnifique de beauté, je lui ai jamais parlé, il sait pas qui je suis, je lui dois tout... c'est en le voyant lui, ce garçon blond qui avait je crois un manteau vert, qu'en une seconde j'ai basculé : vers moi, pour ce que j'ai toujours appelé l'acceptation, pas la résignation, l'acceptation des garçons, que ce serait ça et pas autre chose, que depuis toujours j'étais homosexuel, sale mot mais puisque c'est le mot : c'est ce que j'étais, en une seconde ça m'a paru magnifique de l'être, et stupéfiant d'avoir tant attendu, j'allais le dire à la terre entière, la terre entière allait le savoir, je voyais celui que j'étais déguerpir sans demander son reste, il reviendrait plus jamais, je le plantais là l'inaudible, il me laissait aucun regret, il me dégoûtait presque et avec lui tous ceux qui l'avaient forcé à rester inaudible... en même temps j'avais envie de leur dire merci à ceux-là, tous, les humiliateurs, les empêcheurs, je leur devrai toujours tout aux humiliateurs et aux empêcheurs, je leur devrai toujours cette seconde dans le bus, sans eux y aurait jamais eu cette seconde, ce moment où tout a basculé, où demain s'est écrit d'un seul coup, tout ce qui allait venir, j'en voudrai jamais au malheur comme les autres lui en veulent, le malheur m'a tout donné de jamais l'avoir accepté, les empêcheurs de jamais leur avoir cédé, cette seconde restera pour toujours indescriptible, y aura jamais de mots pour dire ce que c'est de devenir soi-même, ç'allait se voir physiquement le changement dû à cette seconde dans le bus, ç'allait se voir pour tout, je viens de cette seconde qui elle-même vient de si loin que je saurai jamais d'où : de l'enfance peut-être, de l'oppression que c'est l'enfance, que ce sera toujours et quelle que soit l'enfance, l'oppression que c'est la famille, que ce sera toujours et quelle que soit la famille, elle venait la seconde du garçon à la barque qui me souriait près du canal et que j'avais laissé repartir, de cet autre croisé devant un marchand de journaux, elle venait peut-être de Lucien quand il avait dit l'important c'est d'aimer, elle venait de la solitude, ces nuits passées seul avec Kali dans ses pattes et son flanc, de tous les regards assassins que j'avais dû affronter, elle venait du meurtre ma seconde, de tous ceux qui sont morts parce qu'ils ont jamais eu comme moi une seconde dans un bus une fin d'après-midi : elle venait de tous les autres, de lui le garçon blond qui saura jamais ce que je lui dois, ceux d'avant moi qui comme moi un jour s'étaient pas résignés, ceux d'après moi qui comme moi se résigneraient pas que le monde soit ce qu'il est, impitoyable et sans aucune raison, assassin et sans aucune raison, et nos bourreaux, un grand merci à nos bourreaux d'être ce qu'ils sont, on leur doit à nos bourreaux de pas leur ressembler, de pas aimer la vie qu'ils servent avec tant de zèle et sans aucune raison, qu'ils continueront de servir avec autant de zèle qu'avant et sans aucune autre raison que celle de faire des victimes, toujours davantage de victimes, elle venait ma seconde de Vincent et elle lui reviendrait, tout pouvait commencer. © »

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"Wild Samuel" 2013

 
résumé : Wild et Mathieu se connaissent à l'âge de onze ans, leur lien est si fort qu'ils peuvent même se retrouver dans leurs rêves. Mathieu meurt à vingt ans. Wild ne pourra se résigner à être séparé de lui et le recherchera même malgré lui, accompagné par Ankhchen, la femme mystérieuse et si proche à la fois qu'il retrouve à Berlin.

(extrait) « C'est toujours pareil, même avant d'entrer c'est un autre monde, le Berghain se dresse dans une sorte de no man's land, comme une sorte de vieux palais qu'il est, pas ravalé. Autrefois c'était une centrale électrique. Le garçon de l'entrée la salue, hallo Ankhchen, il lui sourit en regardant Wild. Ils bougent un peu dans l'intérieur fantasmatique, violet, où les garçons et les filles glissent, où tous sourient, sans arrêt, se touchent, dansent même quand ils ne dansent pas. A Buenos Aires ils étaient allés comme ça au Greenwich, près du cimetière Recoleta. Ankhchen n'était jamais fatiguée. Elle ne dansait pas. Elle était toujours la plus belle de l'endroit. On venait la saluer, l'embrasser, se confier. Comme à lui aujourd'hui les voix de la nuit. Un des patrons de la boîte salue Wild de loin. Puis c'est au tour d'un homme d'une quarantaine d'années de venir l'embrasser. Wild lui présente Ankhchen. Quand l'homme s'éloigne, il dit à Ankhchen, il est directeur artistique chez Universal, pas loin, de l'autre côté de l'Oberbaumbrücke. Avec Lucia aussi il était allé au Greenwich. Ils sont assis avec une bière dans le salon des danseurs fatigués, elle lui dit, finalement vous faites de la radio comme Lucia, vous avez des nouvelles d'elle ? Avec Lucia il avait eu une histoire surtout sexuelle, de presque toute la durée de son séjour à Buenos Aires. Lucia était longue, mince avec des beaux seins, inventive, latine, et très intelligente. Ankhchen lui avait dit, elle est très intelligente alors forcément elle fait bien l'amour, pour faire bien l'amour il faut être très intelligent ou très bête. Elle animait une émission qui elle aussi était une sorte d'institution. Elle y faisait parler des gens très différents de leurs échecs, les rêves brisés, c'était un feu d'artifice, l'échec n'était jamais totalement l'échec avec Lucia. On s'appelle oui, quand j'ai été engagé à Radio 89, je l'ai appelée tout de suite. Elle vous a donné un conseil ? Non. Vous voyez qu'on s'entend parler, Wild, dit Ankhchen, allez danser, je vous regarderai, je vous entendrai aussi comme ça. Je ne veux pas vous laisser seule, surtout ici ! Justement laissez-moi seule, j'ai besoin de marcher, et puis il faut que j'aille embrasser John. Le même John ? Oui, John quoi ! Il est là ? Wild, vous savez bien, oui, il est sûrement là. Elle se lève. Il pense : son port de tête. Il s'éloigne à son tour... © »

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Géant

Âmes dehors (trilogie)

Matteo le magnifique




"Géant" 2016

 
résumé : une heure dans la vie de trois personnages, la même heure. Vincent l'écrivain, dans sa chambre à Paris. Léa dans sa chambre d'hôpital où elle va mourir. Et Ben, le jeune cardinal noir au conclave de Rome qui élira le prochain pape.

(extrait) « (Ben) Des jours que nous sommes ici reclus, il a fallu finalement choisir les deux cardinaux arrivés en tête, Dos Santos était derrière moi, à quelques voix, et d'Angelo loin devant. Visconti a reçu une voix, peut-être la sienne, ils se méfient de lui. Moi, j'ai voté pour Dos Santos. D'Angelo est pâle comme un suaire, j'espère qu'il ne va pas nous faire un malaise, il faudrait tout recommencer. Le comédien s'appelle Claudio, il tourne à Hollywood mais Samuel dit qu'il ne sera jamais un grand comédien parce qu'il est riche. C'est la théorie de Samuel : on ne peut pas tout avoir. Qu'est-ce que j'ai, à part Vous ? L'argent ne m'intéresse pas, mais j'ai sans doute tort. L'argent c'est le nerf de la guerre, on ne peut pas vivre comme si la vie n'était pas la vie. Mama essayait de faire des économies sur son salaire d'employée des postes mais elle n'y arrivait jamais. Sur des étiquettes de sacs de patates, elle faisait de la retape dans tous les coins de Tombouctou, pour ses chats de poussière, elle vantait "l'établissement" comme elle l'appelait, et l'établissement c'était la case où s'accumulaient les chats de poussière qu'elle appelait "macédoine de l'Afrique". Vincent ne m'a pas passé les feuilles sur mama, je ne le lui ai pas demandé et il ne l'a pas fait, la vie de mama comme un roman, comme le sont toutes nos vies, le roman de Benjamin Sané, on ne sait jamais ce qui est vrai dans sa vie, si je suis élu pape je ne saurai pas non plus si c'est vrai, la vérité restera quelque part, ailleurs, connue de Vous seul. Qu'en faites-Vous de notre vérité ? Un autre roman ? Vous aussi Vous faites un beau roman, le seul roman possible, celui que Vincent échouera à écrire, nous sommes voués à l'échec et on s'en fout, on est tous des perdants, certains plus malheureux que d'autres, je veux perdre, je ne veux pas gagner, si je gagne je suis perdu. Sur la croix, si Vous y étiez, Vous avez choisi de perdre, la résurrection n'y a rien changé, c'était fait, Vous êtes le plus grand perdant de tous, et nous Vous y aidons bien. Les vieilles biques ressemblent à des petits écoliers studieux, le nez sur leur feuille. Visconti dessine Danilo sur sa feuille mais je fais semblant de ne pas le voir ; Visconti est un artiste raté, les plus beaux. © »

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L'insecte

Yaguine

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Wild Samuel

Géant

Âmes dehors (trilogie)

Matteo le magnifique




trilogie « Âmes dehors »

 

premier roman : "Décal'âge" 2018

résumé : Velma est veuve depuis un an. Alain, l'homme de sa vie, est mort. Elle décide de s'en aller à la recherche de son fils parti il y a dix ans aux Etats-Unis et dont elle n'a plus de nouvelles. Ce roman raconte la quête de Velma là-bas, loin de Paris.

(extrait) « L'été finissait, c'était les derniers jours de l'été qu'ils partageaient tous les deux ici avec la mer de New York, ils savaient qu'ils avaient le temps maintenant, elle avait le temps de revoir Frédéric, si elle le revoyait, pour rien au monde elle n'aurait voulu le revoir maintenant, là, avec Matthew, le soir dans sa chambre elle l'a encore écouté, c'était pareil et un peu différent, tu vas lui dire qu'on s'est retrouvés ? Oui, on se dit tout, ou à peu près, tu le connais, il déteste le mensonge. Oui, pas comme toi, elle dit. Pas comme moi, heureusement on est différents. Je n'arrive pas à croire qu'on parle de ça, de lui, comme ça, comme si c'était naturel, tu ne veux pas savoir comment j'ai su, toi et lui, comment j'ai compris ? Tu me diras plus tard, tu es une sacrée femme, c'est pour ça que je suis parti, c'était fou, oui tu me diras, on se dira tout, je ne mentirai plus, je ferai comme lui, des fois tu sais je n'en peux plus de lui, il me presse comme un citron, juste d'être ce qu'il est, alors des fois je m'en vais, il sait que ce n'est pas pour longtemps, on se connaît depuis dix ans, on doit avoir le même âge. Arrête. Pardon. Il fallait qu'il arrête, c'était trop vite, et trop beau, comment il parlait de lui, trop inespéré. Ils se sont allongés sur des espèces de planches faites pour ça, pour s'allonger, avec une inclination pour relever le dos, au milieu de garçons et de filles, les yeux vers le ciel qui n'était pas aussi bleu que la première fois qu'elle était venue ici. C'est lui alors, quand tu m'avais dit que tu étais allé avec un seul garçon ? C'est lui, mais ce n'est pas non plus vraiment ce que tu crois. Je crois quoi ? On est pas un couple. Vous êtes quoi ? Mieux. Il la regardait souvent. Comme avant, et plus tout à fait comme avant, sûrement à cause de Frédéric. Mais oui, comme avant aussi, et aujourd'hui ça lui semblait étrange, incestueux. Mais elle se laissait faire. Il n'avait pas changé. Il lui prenait la main. Il était doux. Il était toujours ce qu'elle voulait, et ne voulait pas. Tout était Alain. Tout serait toujours Alain, aujourd'hui plus que jamais et elle savait que même ça, il devait le comprendre, à sa façon mais il le comprenait, déjà là-bas, dans la 105, il comprenait, c'est pour ça qu'ils se voyaient, qu'ils continuaient à se voir : il la comprenait. Tu as toujours le poème ? Qu'est-ce que tu crois ? Il a dit que c'était la seule chose qu'il avait trouvée pour que son absence ne soit pas une trahison. Ce jour-là, il est rentré avant elle, au Village, elle préférait qu'ils ne rentrent pas ensemble, elle est restée avec la mer un peu plus longtemps, il a pris le métro, il a retrouvé Frédéric, il ne l'a pas dit à Velma mais elle n'avait pas besoin de demander, elle savait, elle lui a dit qu'elle était à l'hôtel River, il a dit qu'il savait. Avant de se laisser ils se sont juste regardés, et il a dit, à demain. © »



deuxième roman : "Rollercoaster" 2021


résumé : suite de "Décal'âge" : New York, Frédéric, Velma (sa mère), Matthew. Matthew vit avec Frédéric depuis douze ans, il est aussi l'amoureux de la mère de Frédéric. Frédéric fait une émission de nuit à la radio : Streetwalk, sous le nom de Jimmy Prince. Et il y a ceux qui l'écoutent la nuit dont les chemins de certains vont finir par se rencontrer, et parmi eux, Diego, le jeune immigré qui rencontre madame Soledad, et aussi celui qui a écrit à Jimmy une lettre avec le mot 'rollercoaster'... jusqu'au virus qui désole NYC... mais la cité revit quand même...

(extrait) « Pendant l'été Soledad Balboa eut plusieurs rendez-vous avec Chet Lone. Tout est fin prêt maintenant pour sa succession en faveur de Diego quand l'heure de sa mort arrivera. Diego se douta bien un peu de la teneur de ces rendez-vous mais ne lui demanda rien. Juste : où étiez-vous ? Au Pierre bien sûr, Diego. Encore ? Oui encore, nous aimons les hôtels vous et moi, vous êtes d'accord ? En juillet ils étaient allés tous les deux comme prévu à l'hôtel Monroe, pour l'anniversaire de Diego, ses vingt et un ans. Ils s'étaient promenés au bord de la mer, elle à son bras, ils faisaient des projets, peut-être que finalement Diego allait travailler dans la radio de Jimmy, ce ne sera qu'un début, avait dit Soledad, un début ? oui, je vous vois aller loin, Diego, quand je dis loin je me comprends, pas là où vont les autres, vous savez bien, enfin, je ne suis pas née de la dernière pluie. Ils riaient beaucoup, nous nous comprenons, Diego, nous nous comprenons totalement.
La santé de Soledad déclina début septembre. Puis elle alla mieux. Je veux être en forme lors de la venue de votre mère, Diego. Et vous lui présenterez Lena n'est-ce pas ? Peut-être, avait répondu Diego, oui, je crois. Mais oui, cette petite le mérite bien (encore cette petite ! pensa-t-il).
À Columbia les cours ont repris pour Andrew, Pete, Steven et James, leur dernière année. James n'était finalement pas allé à Miami, pour rester auprès de Ronald et continuer à répéter la scène de La chatte sur un toit brûlant. Ils la répétaient même dans leurs rêves ! Les cours de Marmelstein ont repris aussi et James donc passera dans quelques jours son audition pour l'Actors Studio, pourtant il ne sait plus s'il a vraiment envie d'être comédien. Ronald se porte bien et continue à voir souvent Velma. Ils ont le projet d'aller eux aussi à l'hôtel Monroe.
Matthew avait dit à Frédéric : le jour où Soledad mourra, Diego sera inconsolable. Alors on le consolera, avait dit Frédéric, c'est ce qu'on fait quand on aime, aimer n'est rien qu'une grande consolation. Donne-moi ta main.
Salut, Jimmy avec vous jusqu'à trois heures du matin pour déambuler la ville qui console les âmes, les âmes dehors.
(à suivre) © »





troisième roman : "Hotel Monroe" 2022-... à suivre


résumé : suite de "Rollercoaster" : New York - Frédéric, Matthew, Soledad, Diego et les autres emménagent tous dans l'hôtel Monroe de Manhattan que Soledad et Velma ont acheté... commence une nouvelle vie

(extrait) « La salle de restaurant est au premier étage, avec les cuisines juste à côté. C'est là qu'ils mangent régulièrement quand ils ne sont pas dehors. Là se retrouvent souvent les couples ou les trios d'avant. Matthew avec Frédéric, Soledad avec Diego que Lena laisse parfois seuls comme autrefois, Ronald et James etc. Mais souvent aussi il y a des mélanges. Souvent le second du couple n'est pas toujours là, par exemple si Soledad est seule, Lena peut dîner avec elle, Lena ou n'importe lequel ou laquelle des autres, c'est un grand mélange la Jimmy Fraternity, il n'y a pas de règles, chacun se fout la paix mais chacun aime à se retrouver avec les autres aussi. Chacun aussi fait sa propre cuisine dans les cuisines d'à côté. Certains se sont mis à cuisiner, à apprendre, Velma par exemple a fait des progrès, même James ! Mais il faut reconnaître que souvent ils commandent dehors des plats qu'on leur apporte, et très souvent c'est le Muscade d'Alex qui s'en charge. À moins que l'un d'eux ne revienne les bras chargés de mets achetés chez un traiteur quelconque, ou au MacDo d'à côté. La salle de restaurant elle-même est royale. Très hautre de plafond, avec comme des loges dans le haut où l'on pourrait dîner aussi, ces loges sont rarement occupées. Les clients de l'hôtel, bien que pouvant tout à fait utiliser la salle de restaurant (en se préparant eux-mêmes leur nourriture, seul le petit-déjeuner est compris dans le prix) y ont rarement recours. Pour autant l'actrice française y a un jour mangé un poulet qu'elle-même s'était préparé, elle a dit à James qu'elle adorait le poulet. Les cuisines sont parfaitement équipées, on se croirait à Downton Abbey, façon 2023. Justement, nous sommes jeudi 23 novembre 2023. C'est la fête. Thanksgiving. Il a été décidé d'un grand dîner le soir où ils sont tous réunis. On prepare la dinde. On a rapproché toutes les tables. Même Pete est revenu de Washington pour l'occasion, c'est-à-dire qu'il a avancé le jour de son retour de fin de semaine, Pete essaie toujours, malgrés ses occupations politiques, d'être à l'hôtel les fins de semaines. Ils se préparent dans leur chambre. Velma et Ronald sont aux cuisines pour la dinde. D'autres, comme Soledad, sont au salon d'en bas, elle fume en parlant avec Lena qui vient de revenir de son travail dans la galerie de peinture de Chelsea. Diego et James ne sont pas encore rentrés du cours de Marmelstein. Le cours de Marmelstein se termine à vingt heures, avant c'était vingt et une heures et ça commençait à dix-huit, mais Marmelstein en a eu marre de finir si tard et les cours désormais commencent à dix-dept heures. Tout le monde attend James et Diego. Commencez sans nous, ont-ils dit avant de partir, mais Soledad y est totalement opposée, et les autres aussi pensent qu'il faut commencer en étant tous réunis. Soledad est toujours au centre de la grande table, tradition. À sa droite Pete qui a ce privilège parce qu'on ne le voit pas aussi souvent que les autres, et à sa gauche Frédéric (Diego l'a suggéré). On a mis une musique en fond sonore, très bas, Billie Holiday, Soledad dit qu'elle l'a vue une fois à l'Apollo, à Harlem. Vous vous aventuriez à Harlem ? Bien sûr Pete, je ne suis pas née de la dernière pluie. Diego pense que maintenant elle dit qu'elle n'est pas née de la dernière pluie à tout propos, même quand cela n'a rien à voir, mais avec elle, tout a à voir, un jour elle lui a dit, vous savez Diego tout est dans tout. Ils avaient invité Bertha au dîner mais cette dernière était prise par l'Hotel Monroe des Hamptons et la fête de Thanksgiving aussi là-bas. Quelqu'un parle de la guerre en Israël mais Soledad les arrête, pas ce soir, on en reparlera, j'y tiens absolument mais à mon âge, on commence à en avoir assez des horreurs, je voudrais un dîner à votre image, on oublie les horreurs. Des horreurs elle en avait eues et vues assez, à commencer par le sida de son fils, elle débordait d'horreurs et cela l'avait rendue vivante parce qu'elle avait toujours voulu faire le contrepoids dans la balance, elle avait comprensé l'horreur par les merveilles, même après la mort de son fils, elle avait essayé de le retrouver au-delà de la mort, et ça, même seulement essayer, c'était une merveille, jusqu'à la merveille définitive qu'elle avait laissé entrer chez elle et qu'elle avait gardée pour la protéger : Diego. Et de reparler des quelques jours de tournage de James avec Scorsese, les plaisanteries de Scorsese avec James, il lui avait dit qu'ils rejoueraient sûrement ensemble, Leo avait souri à James. Mais c'était surtout Pete qui était le centre d'attraction, il était assis à côté de Andrew, on lui demandait de raconter ses journées au Capitole, il avait plein d'anecdotes, il avait même connu Nancy Pelosi qui lui avait donné un baiser sur la joue, elle n'était plus députée mais c'était un jour où elle était passée revoir son ancienne maison. Après le dîner il faut débarrasser, s'occuper de la vaisselle, les femmes ont décidé que ce serait les garçons qui s'en chargeraient, et même Ronald s'y était mis, il ne se plaignait pas Ronald d'être entouré d'autant de garçons talentueux. On termina la soirée dans le salon du rez-de-chaussée, des petits groupes se reformèrent, et puis chacun regagna sa chambre, Frédéric allait partir faire son émission de radio, Matthew et James l'accompagneraient. Trevor faisait la réception cette nuit mais on lui avait gardé un morceau de dinde, et du gâteau au chocolat de chez Muscade. Donnez-moi votre bras Lena, vous m'aiderez à monter, notre Diego est occupé, ne le privons pas de son plaisir. Diego se précipita quand il la vit s'éloigner au bras de Lena, il voulut les accompagner mais Lena lui dit qu'elle le retrouverait après, c'est ça, après, renchérit Soledad, et ella ajouta : je garderai notre porte de séparation ouverte, j'aime sentir votre présence Diego même quand vous n'êtes pas là. © »

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"Matteo le magnifique" 2023

 
résumé : deux longs voyages à 45 ans de distance, deux tournants qui se rejoignent

(extrait) « Le mois précédant mon voyage en Californie, j'avais vu sur les Champs Elysées un film allemand sur un garçon homosexuel, le film s'appelait La Conséquence, film magnifique et pour la première fois j'étais entré dans la salle de cinéma sans raser les murs, fier d'être là, fier de ma vie qui se profilait. Et curieusement dans mon charter, dans le magazine de la compagnie aérienne, bizarre d'ailleurs qu'un charter propose une revue d'actualités aux passagers, enfin bref, dans cette revue il y avait un article sur le film avec la photo du garçon angélique, photo que j'ai achetée par la suite dans un des nombreux magasins de photos de cinéma qu'il y avait à Paris à l'époque, et que j'ai toujours, et moi dans mon charter, avec mes voisins de rangée à côté, je me privais pas de la regarder la photo, fier je te dis, même si fier ne sera jamais le mot mais je fais comme je peux avec les mots, à la guerre comme à la guerre. Mes voisins de rangée, parlons-en justement, encore aujourd'hui je me souviens d'eux, et de moi avec eux, surtout ça d'ailleurs. Avant on ne dira pas que j'étais sans charme, non, ça non, mais j'étais toujours un peu sur la réserve avec les autres, j'étais en-dessous, à cause de ça, cette homosexualité que j'acceptais sans l'accepter, je la savais mais je ne voulais pas en tirer des conséquences, et pour tout dire ça m'empoisonnait la vie, je rougissais pour un oui pour un non. Après ma seconde dans le bus, laquelle seconde il faut bien le dire était certes une seconde mais avait été préparée par toutes les années qui précédaient, pas de hasard là-dedans, celui que j'étais au-dedans, sous la glace, qui en pouvait plus de frapper la glace, brisa la glace : juin 1978. Même Hervé qui était passé dans ma chambre récupérer des notes de travail me dirait plus tard qu'il m'avait trouvé changé, ces choses-là du dedans elles éclatent aussi au-dehors, rien à faire, ça se voit, et ça se verrait. Donc après ma seconde dans le bus, j'étais plus vraiment le même. Ça m'enivrait de me regarder ne plus être le même, regarder le moi que j'étais devenu, que j'avais toujours été mais que les autres n'avaient eu de cesse d'enterrer, d'empêcher. Je n'ai cessé dans ma vie de courir après cette seconde, de vouloir qu'il y en ait d'autres, d'autres révolutions. Il y en eut mais jamais de cette ampleur, jamais de cette puissance-là. Et d'ailleurs avoir connu ça une seule fois, c'est suffisant en somme, tellement ça rejaillit sur tout, et quand je dis tout, c'est tout. La libération est toujours à la mesure de l'oppression. Et dans l'avion, avec mes voisins de rangée, c'était moi le leader, moi qui ne l'avais jamais été avant, leader, moi le feu d'artifice. C'était fou de vivre ça. Ils devaient avoir mon âge ou à peu près, deux filles et un garçon... © »

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"Parce qu'eux" 1989
Éditions Saint-Germain-des-Prés

... et autres poèmes

 



Sachez-le ! Rien n'est ici à sa place et tout y sonne juste. L'amour surgit de ces poèmes comme de rites impurs ("des anges y croisent des robes noires"), le désespoir affleure sans l'emporter jamais. Car..., là où le verbe nous entraîne, "l'écume au loin des vagues éclaire un peu ces lieux". Force et lucidité de la vie incarnées dans les mots.
(Hervé Loyez)

« (Le sommeil de Carthage)

La mer est noire aux vagues hostiles
Elle me retient de son courant
Quand les chiens loups deviennent enfants
Enfin le temps est immobile

C'est un pays ou c'est un temps
Que je rejoins volets fermés
Le noir est sa porte d'entrée
Peut-être que le soleil ment

Il est semblable à mes éveils
Cependant tout est différent
Et si la mort est toujours vieille
Elle ne dure jamais longtemps

Ma nuit est un monde effrayant
Tout plein de merde à en vomir
Je tue la nuit en m'acharnant
Des yeux sont arrachés sans rire

Je pleure le jour mon impuissance
Les compromis avec l'enfance
Mais là ils sont tenus au sol
Et moi je vole enfin je vole

C'est dans ce monde de silence
Que je vais retrouver les miens
Ceux qui me faisaient l'insouciance
Qu'elle m'enleva en assassin

Kali le loup au regard tendre
Vous qui m'appreniez la luxure
On a rendez-vous sans attendre
Au fond d'une nuit qui perdure

La mort n'a pas le dernier mot
Je crois ce que je ne vois pas
Déjà je desserre l'étau
La lumière perd de son éclat

Tous ces cadavres qui bougent encore
Et l'océan encore si sombre
Tout me retient dans ce décor
Mais j'ai peur au milieu des ombres

Une vallée des temps antiques
Menace de resurgir au temps
Sombres cavernes d'un drame épique
Sont des cités noyées de sang

Lorsque le Nil retrouvera son eau
Moi je retrouverai Carthage
Qui dort des ruines de mon âge
On n'entend pas le moindre oiseau

Un jour je retournerai aux dieux
Car le voyage est infini
Aujourd'hui c'est peut-être ici
Je vais encore ouvrir les yeux © »


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France Culture : "Du jour au lendemain" par Alain Veinstein : "L'Insecte", de Jean-Michel Iribarren, éditions du Seuil, interview 2000

Alain Veinstein : Vous êtes né en 58 Jean-Michel Iribarren et votre éditeur nous informe que vous avez exercé divers métiers dans la politique et le cinéma, la politique et le cinéma c'est pas tout à fait la même chose...

Jean-Michel Iribarren : II y a beaucoup de gens qui disent que c'est pareil, je ne sais pas... Vous voulez que je vous dise exactement ce que j'ai fait ?...


Dites ce que vous voulez, vous êtes libre...

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de choses... le parcours qui m'a mené a l'écriture a été long... j'ai commencé à écrire tard, à l'âge de 30 ans à peu près et je crois que ce que j'ai fait avant n'a pas franchement d'intérêt... ce qui est intéressant, c'est que tout ça menait à l'écriture, que l'écriture était déjà là même quand je n'écrivais pas, que mon meilleur ami, dont je parle dans le livre, lui, voulait écrire depuis qu'il était petit, ça a été long...


Et vous c'est une décision plus tardive ?

Ce n'a pas été une décision, c'est toujours une chose qui m'a étonné... J'ai toujours voulu, ça paraît un peu bête à dire comme ça, je ne sais pas : trouver sa place, m'exprimer dans une chose artistique, et ça a pris des chemins contournés, j'ai fait de la radio, j'ai voulu être comédien, et cette place je ne la trouvais pas... j'ai même tourné un rôle dans un moyen métrage de Jean-Luc Godard, et je crois que ça date de là, je me suis dit : c'est vraiment lui qui crée quelque chose, moi rien... alors je me suis dit qu'est-ce qu'il me reste ? il me reste écrire, alors j'ai écrit... parce que ce livre, c'est quand même pas le premier que j'ai écrit, c'est le premier publié mais c'est pas le premier que j'ai écrit.


J'allais vous poser la question

J'en ai écrit beaucoup...


Et pourquoi n'ont-ils pas été publiés... d'après vous ?

C'est très difficile que l'auteur dise ça, parce que s'il dit : c'est la faute des autres, on va dire c'est facile... je crois que le chemin qui mène de toute façon à une certaine reconnaissance, il est long et j'ai toujours dit que tout le temps que j'ai écrit sans être publié, j'avais une extraordinaire liberté, je crois que peut-être je n'aurais pas écrit L'Insecte si je n'avais pas été autant refusé, parce que j'ai vraiment été extraordinairement refusé, partout... j'ai rencontré des gens qui me disaient en substance : c'est bien ce que vous faites mais on ne va pas l'éditer ou... enfin il y avait toujours des raisons, honnêtes ou moins honnêtes, je n'en sais rien... je n'en sais rien, c'est difficile parce que maintenant je suis publié, je suis dans une maison d'éditions, alors je ne peux pas non plus cracher dans ma propre soupe, mais en même temps pourquoi pas...


Vous êtes publié mais en même temps, avec ce premier livre publié, vous faites une expérience dont vous m'avez parlé par écrit, puisque vous m'avez envoyé votre livre avec une lettre, une longue lettre, bien intéressante, vous faites l'expérience du silence, vous êtes heurté, c'est le mot que vous employez, au silence qui a accompagné la sortie de ce livre qui est sorti il y a 2-3 mois, et depuis 2-3 mois pas assez d'articles selon vous, pas assez de retentissement médiatique...


Non, il n'y a pas que ça, parce que si ce n'était que ça... On m'a dit aussi que c'était le propre de tout auteur de se heurter, quand il a écrit, à un certain silence... vraisemblablement... Mais ce livre parle du silence, et en l'écrivant, et dans ce que j'ai écrit, j'ai dit qu'il se heurterait au silence... j'avais un peu anticipé le silence parce que je croyais qu'il ne serait pas publié, alors il l'a été, et même à bras ouverts, de manière presque un peu inquiétante, et le silence c'est plutôt après, ce n'est pas un silence total, c'est un silence sournois... Ce livre je m'attendais à ce qu'il soit - peut-être naïvement, alors que ce que j'ai écrit n'est, je crois, pas naïf, mais c'est peut -être ce qui prouve que je suis encore dans la vie dans ce qu'elle peut avoir de... je ne sais pas comment dire... - donc les gens qui auraient dû soutenir ce livre ne le soutiennent pas, on me dit qu'ils ne savent pas comment en parler...


Et vous pensez qu'un livre ne peut pas se défendre tout seul...

Oui... oui, à la limite c'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux, sûrement même ce qui pourrait lui arriver de mieux, parce que je pense que quelquefois dans la manière dont on défend un livre il y a beaucoup de malentendus aussi... mais c'est difficile pour un livre de se défendre tout seul, je ne sais pas si c'est plus difficile aujourd'hui qu'avant... mais le problème d'écrire, c'est qu'on est très libre quand on écrit, presque trop, presque trop parce qu'on est quand même coupé d'une certaine réalité, même si c'est bien aussi de s'en couper de cette réalité, parce que peut-être si on n'en était pas coupé on n'écrirait pas, et peut-être qu'on est plus proche d'une réalité plus essentielle... mais en même temps quand ce livre est écrit, il a besoin des autres, il a besoin d'être défendu, moi depuis 2-3 mois je me pose la question : est-ce qu'un auteur doit vraiment défendre ce qu'il a écrit ? c'est une question... en fait je réponds toujours oui, il faut défendre ce qu'on a écrit... mais peut-être que l'on devrait laisser les mots... et puis tant pis s'il y a le silence, peut-être qu'on devrait se résoudre à ça... je crois qu'il y a un orgueil aussi de l'écrivain qui est mal placé, il y a une envie de reconnaissance, de gloire, de gloire oui, enfin de gloire c'est exagéré, qui est mal placée aussi, qui est mal placée mais en même temps si on a écrit c'est parce qu' on a envie que ses mots "passent", les mots qui ne "passent" pas ils meurent, et moi je parle du silence alors si ce livre reste dans le silence, c'est aussi un échec du livre.


C'est un livre, c'est le moins qu'on puisse dire, qui crée un trouble... chez le lecteur...

C'est-à-dire...


L'Insecte, là, que vous publiez dans la collection de René de Ceccatty, Solo, parce que d'abord on ne sait pas si c'est un roman, ou si c'est un récit autobiographique...

C'est déjà son problème, pour ceux qui seraient chargés de le défendre... c'est un livre qui ne rentre pas dans une catégorie, c'est pas un essai, ça pourrait l'être, c'est pas vraiment un témoignage mais ça l'est aussi, alors au bout du compte je dis que c'est un roman, je pense qu'à partir du moment où j'ai fait parler le virus du sida...


Oui, parce que ça, c'est l'autre élément du trouble, c'est que dans ce livre-là, et à ma connaissance il n'y en a pas beaucoup qui en font autant, vous donnez la parole au mal, qui aujourd'hui en effet est le mal absolu, le mal qui à l'intérieur même du roman tue les personnages...

Il les a tués déjà... oui... est-ce que c'est le mal absolu ?... Ce qui est écrit aussi dans le livre, c'est que le mal absolu, c'est peut -être de ne pas regarder le mal...


L'indifférence...

Oui, l'indifférence... mais l'indifférence quelquefois ça n'est pas voulu, alors qu'il y a aussi une volonté de ne pas regarder le mal, il y a une forme d'organisation qui est basée, bâtie sur : ne pas regarder le mal... Ce que j'ai essayé d'écrire, c'est que ce qui fonde la vie, c'est aussi de ne pas regarder le mal, que tout se ramène finalement à ça... Le virus du sida, le pauvre, il a fait son travail de virus du sida et si je lui ai donné la parole c'est parce que justement je me suis dit que personne ne pouvait raconter, que j'en étais là, que personne ne pouvait raconter ce qui s'était passé et que justement celui qui pourrait le mieux le dire, ce serait le virus du sida... mais à partir de là on est quand même dans un romanesque, c'est pour ça qu'on peut dire que c'est aussi un roman mais c'est vrai que je ne raconte pas vraiment une histoire...


Non, c'est pas vraiment un roman à l'eau de rose... donc, il parle, il monologue, ce virus dans un livre écrit par un autre, un certain Sang Inquiet, qui est séronégatif, et qui vit avec Or Vif...

Sang Inquiet, c'est celui qui écrit le livre... donc c'est moi... et Or Vif, c'est la personne avec laquelle je vis, oui...


Sang Inquiet, c'est de l'encre noire...

Qu'est-ce que vous voulez dire ?


II est très noir...

Je ne crois pas.


... par son inquiétude même...

Non, ce qui est noir c'est justement de ne pas être inquiet, alors franchement je trouve que les gens qui vivent sans être inquiets sont... inquiétants... et qu'est-ce que ça veut dire être noir ?...


Noir comme l'encre...

Mais encore...


l'encre de l'écriture de ce livre... parce que c'est tout de même un livre...

ah oui, c'est un livre...


un livre ça ne s'écrit pas avec rien, ça s'écrit avec son sang, c'est-à-dire avec de l'encre...

Oui mais ça reste des mots... on ne sait pas en fait ce que c'est... et quand on a écrit un livre, on se dit que si ce n'est qu'un livre c'est pas la peine, si ce n'est qu'un livre...


Et qu'est-ce que ça peut être d'autre...

Peut-être qu' on écrit aussi pour le savoir... je crois qu' on se pose tout le temps la question... mais vous me disiez c'est noir, je sais que les gens qui ont aimé ce livre ne l'ont pas ressenti justement comme un livre "noir", ils l'ont ressenti comme un livre qui, je ne sais pas, qui leur donnait envie de lutter, qui n'était pas un livre désespéré, et que justement peut-être en disant le désespoir, en disant le mal, en approchant le mal, c'est là qu'on s'en sortait... C'est quand même ce que j'ai voulu raconter : que mes amis qui sont morts, ou ceux que je ne connaissais pas, j'ai eu l'impression que justement ils n'étaient pas morts pour rien, et que c'était le silence des autres qui voulait que cette mort soit vraiment une mort définitive... Dans la première page, je parle de colera alegria, j'ai voulu écrire une colère joyeuse, parce que ceux qui sont morts, dont on n'a pas parlé, n'ont pas cessé de rire, n'ont pas eu peur d'affronter leur mal... Mais la vraie question c'est quand même celle que vous m'avez posée, vous me dites c'est un livre, évidemment c'est un livre mais on se dit quand même, même si on a écrit ça, qu'un livre c'est pas grand-chose quelquefois, on ne peut pas se contenter de se dire qu'on a écrit, parce que quand on a écrit un livre on se sent un peu "quitte" aussi avec ce qu'on a écrit... je crois qu'on écrit pour savoir ce que c'est qu'un livre...


Qu'est-ce qu'il vous a appris ce livre-là sur vous-même ?

Il m'a appris que j'étais encore en vie... je ne sais pas s'il m'a vraiment appris quelque chose sur moi-même... et il continue de s'écrire ce livre, peut-être qu'il m'apprend presque plus de choses maintenant, peut-être qu'il me met aussi au pied du mur maintenant, puisqu'on parlait du silence qui peut aussi entourer ce livre, se dire : qu'est-ce que je fais maintenant, par rapport à ce livre ? est-ce que je me dis : je l'ai écrit voilà ou est-ce que je le défends ?... Et les autres continuent à écrire ce livre, je crois qu'on écrit avant, on écrit pendant et on écrit après, on écrit même quand on n'écrit pas. Est-ce qu'il m'a appris quelque chose sur moi ? je ne sais pas si on attend d'un livre... c'est pas une psychanalyse, un livre... on n'attend pas d'écrire un livre pour apprendre des choses sur soi, je crois que c'est plus d'aimer qui vous apprend quelque chose sur soi... c'est la confrontation au mal aussi qui vous apprend quelque chose sur soi, je n'essaie pas de me chercher dans mes livres... je pense que quand on écrit il ne faut pas non plus avoir une idolâtrie de la chose écrite, il faut être assez humble aussi, il faut aller vers les mots mais les mots... il y a quelque chose de très impuissant dans les mots, j'ai toujours dit qu'on écrivait plutôt entre les mots que les mots eux-mêmes... en même temps il y a cette chose quand on a écrit de dire : c'est écrit, alors c'est écrit c'est fini, et moi je déteste ce qui est fini, je ne crois pas a la fin, je ne crois pas à la fin d'aimer quand on aime, et je ne crois pas à la fin d'un livre, je pense que ce livre je l'avais commencé avant, que je le continuerai après...


II n'y a pas de dernier mot...

Non... on aimerait...


Même pour le virus...

Vous savez le virus, je l'ai fait parler mais je ne le connais pas si bien que ça, je crois que celui qui a écrit le livre... qui n'est pas totalement là, parce que c'est quand même un grand problème de venir parler de son livre, d'un livre, peut-être d'un livre comme celui-là...


C'est pas vous Jean-Michel Iribarren... ?

Oui, mais... vous savez j'aime beaucoup Barbara et elle disait : quand je chante c'est moi et ce n'est pas moi alors c'est moi et ce n'est pas moi... C'est peut-être ça, la recherche de soi-même...


Et là c'est qui aujourd'hui qui est en face de moi... ?

Ecoutez, c'est celui qui a écrit le livre qui est dans un studio de radio et qui... qui écrit mieux vraisemblablement qu'il ne parle...


Ou l'inverse...

Qui parle mieux qu'il n'écrit ?...


C'est possible, non?

... oui, j'aime bien parler... j'aime bien parler de ce que j'écris... il faut trouver le mot, la chose qui va vous faire dévider la pelote, quand on parle... Vous savez, j'ai écrit un livre à propos des homosexuels qui sont morts et je sais qu'il y en a qui se sont dit : bon c'est très bien ce qu'il écrit mais ce n'est qu'un livre, lui il n'a pas milité, il n'a pas combattu, il est séronégatif en plus, ce n'est qu'un livre... ils n'ont pas tout à fait tort non plus mais ils ont tort aussi quand même, parce qu'un livre c'est quand même beaucoup, on ne peut pas dire que c'est tout mais c'est quand même beaucoup... peut-être que c'est ça aussi le silence sur ce livre, c'est de mésestimer la force d'un livre... parce qu'il y a une force des mots... et que les mots peuvent aller contre la mort, contre le mal...


Ça, vous le pensez ?...

ah oui si je le dis, quand même...


C'est une drôle de confiance que vous leur faites aux mots...

Oui mais regardez... Je sais que le personnage que j'appelle Tête Perdue dans le livre, mon meilleur ami, qui est mort en 1993, qui était écrivain, Hervé Loyez, je sais que cette histoire avec lui continue et je sais qu'elle a beaucoup continué par les mots, ce qui prouve bien que les mots ne sont pas que les mots... Si je devais un peu mieux expliquer : il y a eu dans beaucoup de choses qu'il a écrites et que j'ai écrites avant sa mort, des choses qui anticipaient sur notre histoire "après" la mort... vous savez quand on pense que quelqu'un est mort mais qu'il est quand même encore avec vous, on est bien désemparé devant cette présence qu'on sent et qui est quand même absente, elle est quelque part, si on en est persuadé elle est quelque part, elle peut être dans les mots... c'est peut-être un peu bizarre pour celui qui entendra ça... mais oui je leur fais confiance aux mots, c'est un fait, mais je ne les crois pas tout-puissants, et puis je pense qu'il y a les mots et puis il y a les mots, et puis il y a ce qu'il y a entre les mots, et puis il y a sa propre vie quand même, je pense qu'on ne peut pas dissocier les mots de sa propre vie, et que beaucoup d'auteurs écrivent, et sûrement moi aussi, sans se dire : où est ma propre vie dans tout ça ?... vous comprenez, si l'on est qu'une institution, ou quelqu'un qui vient faire son livre comme ça... les mots se vengent de ça, les mots attendent quelque chose dans votre propre vie... les mots exigent de vous, ou alors ils vous rattrapent...


Vous n'êtes pas le maitre du jeu (je)...

On l'est trop et pas assez, on l'est trop parce que rien ne vous empêche quand on écrit, on se sent un peu tout-puissant... on ne l'est pas assez parce que tout ce qu'on cherche à dire on ne l'atteint jamais, qu'on a vraisemblablement trop parlé de soi aussi, qu'on veut écrire pour se déporter de soi mais que les mots vous ramènent toujours à vous-même quand même... je ne sais pas si cela a un rapport quand vous me demandiez : se connaître soi-même...


Je vous ai demandé ça, moi ?

Oui... vous m'avez demandé si en écrivant je me connaissais mieux...


Je vous ai demande ce que le livre vous avait appris sur vous-même...

Ce n'est pas la même chose... ?


Pas tout à fait mais enfin ne chicanons pas... II y a les mots et il y a les noms, il ya les noms que vous avez donnés aux personnages: Tête Perdue, Sang Inquiet, Or Vif... comme des noms d'indiens...

C'est un peu ça oui... c'est parce que je ne voulais pas que ces noms soient... je voulais un peu qu'ils soient symboliques, emblématiques, que ce ne soit pas totalement la réalité, mais j'ai donné aussi d'autres noms... voilà, ça c'est fait comme ça, je n'étais pas à Paris d'ailleurs, je réfléchissais à ça et j'ai trouvé ces noms-là, Sang Inquiet, Tête Perdue, Petit Balafré... mais bon, il ne faut pas y voir plus qu'il n'y a...


Et les indiens ont subi toujours de terribles hécatombes...

Peut-être, c'est vrai que quand on écrit il y a beaucoup de choses qui... on se dit après : tiens j'ai écrit ça... effectivement, peut-être... peut-être c'est en ça qu'un livre n'est jamais fini parce qu'il s'inscrit dans un lien, alors pourquoi pas, oui, avec les indiens... c'est drôle ce que vous me dites parce que j'en parle presque plus dans le livre que je viens d'écrire, de l'histoire des indiens...


Vous écrivez sur les indiens...

Non. Mais j'ai écrit un livre là, mais je ne sais pas si c'est très intéressant qu'on en parle maintenant, à propos des deux petits Guinéens qui avaient été trouvés morts dans la soute de l'avion il y a un an... j'ai imaginé un dialogue entre moi et un des garçons de cet avion... et c'est vrai que là, il y a des histoires d'indiens oui...


Et là dans L'Insecte, il y a une ligne, le livre suit une ligne qui est une ligne de partage entre "eux" et "les autres"...

Alors il faut que je vous dise qui sont "eux" et qui sont "les autres"... ? C'est ça ?


Bien, oui... mais vous pouvez y renoncer aussi mais ça serait dommage parce que c'est quand même au centre du livre...

"Eux", ce sont les homosexuels qui sont morts du sida et ceux qui étaient à leur côté, les homosexuels qui étaient a leur côté; alors "les autres", c'est... comment dire ? C'est le grand problème des autres, les autres ! Beaucoup me disent : "les autres", c'est les hétérosexuels, je sais qu'on a envie que ce soient les hétérosexuels, c'est vrai que ponctuellement dans cette histoire du sida c'est les hétérosexuels mais pour moi ce livre ne tient pas si on dit que "les autres" ce sont les hétérosexuels, "les autres" c'est : tout le monde, et "eux" se sont détachés des autres dans cette histoire du sida, ils sont devenus : eux.


Tout le monde, c'est-à-dire...

Tout vivant. Tout vivant qui participe a cette perpétuation de la vie, à ce système qui ne veut pas regarder le mal... tout ce qui est complice de ce qui fait la vie...


Vous laissez entendre que "les autres", ce sont les vrais malades... ceux qui disent n'importe quoi, qui disent par exemple que le sida a tué l'amour...

Oui, cette chose du sida qui a tué l'amour, alors ça je... le problème, c'est qu'il faudrait que je raconte tout le livre si je me mets à parler de ça, parce que le sida n'a pas tué l'amour non, ça arrangeait de dire que le sida tuait l'amour mais le sida n'a jamais empêché personne d'aimer... je pense que ce qu'on appelle l'amour est quelque chose qui soutient aussi ce que j'appelle le système de la vie... aimer vraiment c'est aller contre la vie, vous savez cette histoire de dire que l'amour est plus fort que la mort... on nous fait croire que l'amour est partout alors que c'est faux, parce que s'il était vraiment partout la vie ne serait plus ce qu'elle est... aimer va contre la vie... et le sida n'a pas tué l'amour mais le dire c'était un moyen de laisser dans le silence la mort des homosexuels...


Le sida n'a pas tué le rire non plus...

Non, parce que tous ceux qui sont morts ont beaucoup ri, beaucoup vécu, sûrement bien plus que ceux qui sont vivants, et qu'on plaisantait de la mort... Un jour je me suis levé, à un de mes meilleurs amis je lui ai dit : "alors pas encore mort !"... il y a eu une extraordinaire dignité là-dedans... et beaucoup de vie... Moi, ce qui m'embête aujourd'hui, c'est que j'ai l'impression que, même chez les homosexuels, on ne veut pas parler de cette histoire du sida, parce que la vie aussi fonctionne comme ça, sur l'oubli... alors que je pense que, si on n'oublie pas, si on regarde le mal, si on regarde la mort, c'est là qu'on est vraiment vivant, je pense que c'est ceux qui oublient, ceux qui n'ont plus la mémoire, ceux-là sont morts... et ça se retrouvera...


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(lettre de ma mère)

6 mai1993

...avec toi, c'est l'essentiel, aussi que dans ton écriture tu ais pu dire ce qui est important pour toi, mais, quel travail ! - Mais, nous sommes tristes de savoir tes amis touchés et je le ressens beaucoup.
Mardi, j'irai à Bayonne voir le responsable du sida et ce qu'il en est. Je t'en parlerai à Paris. Je t'embrasse tendrement mon chéri. Maman ©

Jean-Michel Iribarren


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