Jean-Michel Iribarren

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"Vie d'Ange" 1990

 
résumé : vie de Ange Tournoyeur, qui à l'âge de 18 ans décide de mourir jeune, à l'heure qu'il choisira, seule réponse qu'il trouve pour se venger de l'horreur : Ange voulait mourir du temps de sa jeunesse. Sa volonté était à la mesure de la rage qu'il mettrait à vivre et qui sait à regretter la vie : il était le désordre à lui tout seul.

(extrait) « Extrémité du Pont-Neuf, rive gauche. À quelques mètres de là un enfant avait bouleversé sa vie, il y a plus de trois ans. Il revenait pour un autre. "Recherchons jeune professeur pour garçon seul. Très bien payé." Il était tombé par hasard sur la petite annonce. L'idée de donner des cours lui trottait dans la tête depuis déjà quelques semaines. Un boulot de professeur ce n'était pas vraiment un travail. Il aimait cette occasion d'approcher des enfants pour leur dire ce qu'il savait. Il repensait au canal. Sans professeur. Les nuits étoilées. Envie de retrouver l'enfance à peine quittée. Refaire le chemin, se donner un miroir. Que cherchait-il vraiment ? Il fallait que ce soit un garçon. En lisant ces mots dans le journal Ange eut un pressentiment. On l'attendait, lui. Il regarda l'immeuble et son dernier étage. Une immense baie vitrée. L'intérieur était faiblement éclairé, d'une lumière entre le rouge et l'or. Ange hésita. Mais il ne pouvait plus abandonner. Il monta les sept étages sans ascenseur. Philippe lui ouvrit. "Je vous attendais." Il pénétra dans un immense salon où se trouvait la baie. C'était la première fois qu'Ange découvrait tant de luxe. L'appartement ressemblait à un refuge d'exilés tsaristes. Il ne distinguait pas bien les limites de la pièce dans l'obscurité. Derrière la baie Ange ne parvenait pas à se défaire de l'idée qu'il y avait la mer. Il alla regarder mais plus loin il apercevait bien la rue du Pont-Neuf. Il ne pouvait pas se sentir bien ici. Pourtant il n'avait pas envie de s'en aller. Philippe a quatorze ans. Il est déjà en seconde. "Mon ancien professeur vient de partir, elle ne comprenait rien. Je n'ai pas besoin d'être traité comme un gamin." Il lui parle comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Il est mince, les traits fins, les cheveux noirs. Il parle d'une voix posée, un peu précieuse. "Vous avez dû beaucoup travailler pour entrer dans votre école." Ange se tait. Étonné de n'être pas encore parti. De trouver familier un environnement aussi étranger. Étonné de se trouver bien, si loin de sa chair, de sa vie, dans cette opulence honnie. La femme qui le salue rapidement n'a pas énormément de classe mais elle est sympathique et elle aime les hommes. Il le voit dans sa démarche, les seins qui avancent. "Je vous laisse avec Philippe, il vous expliquera. Vous êtes ce qu'il lui faut. Ne vous inquiétez pas pour l'argent. Il y en a." "C'est Annie, ma mère" dit Philippe avec complicité. Ils ont l'air seuls au monde dont ils semblent ignorer l'existence. Ils appartiennent au décor tout en faisant pièces rapportées. Ils transpirent l'exil. Ange reste. "Mon père est mort il y a trois ans, il était très riche. Sa famille épie nos moindres gestes. Ils n'ont jamais admis. On les emmerde. L'argent on en profite pour tous les emmerder. On est libres Annie et moi. Je voudrais faire de grandes choses, il faut que vous m'aidiez." Ange commence à comprendre pourquoi il est resté. Philippe montre les livres, les cours par correspondance. "Annie préfère que j'étudie chez nous. Je crois qu'elle a raison. Je ne suis pas sûr d'être bien accepté." Ange viendra six heures dans la semaine. "Venez plus si vous pouvez. On ne vous retiendra pas quand vous voudrez laisser tomber. Vous êtes un homme libre vous aussi, n'est-ce pas ?" Ange dit qu'il sera là demain. Il a besoin de retrouver la rue. © »

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L'œil gauche de Vladimir

Le violeur

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'œil gauche de Vladimir" 1991

 
résumé : une nuit de Paris, noire, sans électricité, un homme et une femme sous les toits, un moine à la recherche d'un livre, un assassin, et Paris comme une femme veillant sur ses enfants.

(extrait) « Vladimir glissa Maria dans les draps, il embrassa son front en sueur. Quand il quitta la chambre, il savait bien qu'il ne la reverrait plus. Mais les larmes de Maria avaient séché depuis longtemps maintenant, il partait rassuré. Il regagna la salle avec les bougies, dans l'escalier il croisa l'homme de la cuisine. "Je vais chercher du bois au grenier, tout le monde grelotte, je vais faire du feu." Juanito vint vers lui un verre à la main. "C'est pour toi. Bois, on boit tous ici, on est des bons vivants !" Il but un verre, un deuxième, puis il ne compta plus. Dans un coin, un homme et une femme faisaient l'amour. Il le voyait aller en elle, elle s'accrochait à lui, elle disait des mots orduriers, elle lui dit même "je t'aime". Juanito les regardait faire. "Là, elle exagère un peu. "Je t'aime", elle le dit tous les soirs. Je crois qu'elle est sincère. Ici, on parle souvent d'amour. On n'a jamais épuisé le sujet !" Les yeux de Vladimir brillaient. Il lui semblait qu'il n'avait jamais quitté cet endroit. Peu importait la suite, il reviendrait. "Tu vois le garçon là-bas, c'est celui dont je te parlais tout à l'heure. Il vient souvent ici. Des fois, il passe de longs mois sans venir. Je crois qu'il n'est pas de chez nous. Il est très beau, il doit avoir trente ans. C'est les garçons qu'il préfère, les garçons pas les hommes. Toi, tu es déjà trop vieux pour lui. Va le voir, peut-être qu'il ne sera plus là dans cinq minutes. Il a toujours été libre. Il est le seul que je connaisse à n'avoir rien accepté. Il habitait Paris, près du canal Saint-Martin. Un beau jour, il est parti. Je crois qu'il en avait marre. Il les a tous bien eus. N'aie pas peur. Malgré les apparences, vous pourrez vous entendre. Il a confiance en des gens comme toi." Vladimir s'approcha du garçon et se présenta. L'autre lui sourit aussitôt. Il avait près de lui un couteau qu'il rangea. "Moi, c'est Ange." Rien qu'à le regarder, Vladimir comprenait qu'on ne pouvait lui résister. Même la vie avait dû s'y casser les dents. © »

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L'œil gauche de Vladimir

Le violeur

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"Le Violeur" 1993

 
résumé : Deux ans de la vie d'Alexandre de Beaumanoir au collège Barbe Bleue, loin de Paris adoré, Alexandre le solitaire, différent, qui fera le chemin pour découvrir les mystères du château Barbe Bleue, de vie et de mort, jusqu'à trouver l'amitié, et la liberté toujours à recommencer.

(extrait) « "Et quoi le cheval ! vous ne pensiez tout de même pas que j'allais le faire abattre, je ne suis pas un boucher ! un jour il ne restera plus que ça, des chevaux. Wagner m'a causé de vous, il ne s'est pas trompé !" Alexandre ne lui demanda pas ce qu'avait bien pu lui raconter le sorcier de la forêt, sans doute qu'il aimait mieux rester dans l'ignorance et puis que pouvait savoir Wagner ? Etait-il si transparent qu'on pût lire son âme ? Il laissa encore parler le chanoine. Les rôles étaient distribués depuis le premier jour, c'était ce qu'Alexandre voulait, Laberge pérorait, et lui il écoutait, il se gardait pour d'autres, quand le jour viendrait, Barbe Bleue répugnait que l'on brouillât les cartes, les joueurs les avaient en main une fois pour toutes, à eux de gagner la partie qui n'avaient pas de règles. "Vous n'aviez qu'à demander, on ne vous empêchera pas de remonter, mais il y a des heures pour ça. Vous êtes adulte maintenant, si vous avez envie de vous suicider..." Ses yeux se fermèrent. Alexandre le regarda partir vers où on ne pouvait pas le suivre, les paupières fermées Laberge se remit à prêcher, persuadé qu'Alexandre ne comprendrait pas, Alexandre ou un autre, des lieux connus de lui seul, ces chemins où il aurait parfois voulu entraîner les garçons, sans trop les révéler, comme s'ils devaient le suivre à demi-mot, comme s'ils en étaient capables, "il y a plus de vingt ans que je suis là, la route touche à sa fin, c'est un bien lourd fardeau de commander aux hommes, aux enfants c'est insupportable, je n'avais pas le choix, j'avais juré de ne pas baisser les bras, je suis comptable d'une longue tradition, quand bien même j'aurais voulu y échapper... on n'échappe pas à la Providence mon petit, on le croit, on essaie, j'ai essayé, un jour j'irai dans un foyer de charité, j'y finirai ma vie, enfin", la tradition hantait le chanoine, la peur de s'apercevoir à la fin que tout avait échoué, cet abîme monstrueux où se perdaient les gestes, les adorations, précipité dedans par des mains barbares qui ruineraient en un instant l'illusion de la vie, l'abîme lui faisait froid dans le dos, la tradition le réchauffait, elle remontait en des temps anciens, il en restait le seul dépositaire, elle revivait dans les plaies des saintes dont il racontait à nouveau l'agonie à Alexandre, il disait les naufrages, l'imbécilité du monde, il suffisait d'une main charitable pour racheter les péchés, "nos péchés, nous sommes tous coupables, nous nous sommes trompés sans arrêt, nous avons persévéré dans l'erreur, maintenant c'est la nuit. Lorsque je vous ai parlé de la bibliothèque je vous délivrais là un grand secret, il ne faut pas avoir peur, Dieu merci vous n'êtes qu'un enfant, il faut que vous sachiez, nous vivons au milieu des ténèbres, c'est notre lot, je suis vieux aujourd'hui, mais d'autres vont venir, je crains qu'ils ne recommencent, toujours recommencer, nous en mourrons, ou alors nous vivrons, il n'y a guère d'alternative, que voulez-vous ? Moi je n'ai pas connu de miracle, aucune apparition, si seulement la Vierge m'avait dit, quelques mots d'encouragement, ou le pire, quelque chose, rien, toujours rien, j'en ai pris mon parti, vous parlez à Jésus de temps en temps ? Vous devriez, je n'arrête pas de le répéter, je prêche dans le désert, c'est épuisant à la fin"... © »

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H

L'acharnement de soi-même

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Amalia




"H" 1994

 
résumé : Après la mort de H à trente-cinq ans. Tout commence : "qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur".

(extrait) « j'ai souvent demandé à H de me faire rencontrer quelqu'un, nous ne nous sommes jamais interdit d'autres liens, nous savions bien qu'ils étaient nécessaires, on ne s'illusionnait pas sur cet amour qui n'était pas tout-puissant, c'était de le savoir tel qui nous l'avait rendu précieux, si humain et si peu à la fois, aide-moi, je le lui répète sans cesse, tu m'as laissé la vie pour laquelle j'ai si peu de goût, avec toi elle m'était supportable mais sans toi ! alors ne fais pas les choses à moitié, si je reste dans la vie j'y reste totalement, regarde j'ai continué à vivre, pas arrêté de rire, les combats dérisoires je les mène toujours, le restaurant du samedi soir j'y retourne avec la même envie, à tel point que ceux qui ne savent pas seraient bien en peine d'imaginer l'exil qui est le mien, et même ceux qui savent, c'est ça notre défi, ta mort que je retourne en vie, ma vie passée dans ton exil, je rencontrerai d'autres gens il le faut, qu'ils n'aillent pas croire que c'est la mort que j'aime. Commencé à relire hier soir le second roman de H, extrait : "en ce sens, la mort était moins l'achèvement de la vie que la conséquence de son principe même, il y avait là plus qu'une nuance, cela revenait à énoncer que la mort était le moteur de la vie, contradiction qui ne se résolvait que dans la création, l'une des formes de l'amour". Pourquoi recommencer ailleurs un chemin qui ne pourrait, au mieux, que m'emmener là où je suis déjà. J'ai rencontré ce jour un éditeur, ai parlé de H, le privilège de l'avoir suivi aussi dans l'écriture, cela n'allait pas de soi, bien sûr le destin, mais le destin sans la liberté que nous nous sommes apportée a-t-il un sens ? © »

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L'acharnement de soi-même

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Amalia




"L'acharnement de soi-même" 1995

 
résumé : une parenthèse dans la vie de Hugo, l'hôtel du Palais dans une ville qui ressemble à Amsterdam, la mer. Le cercle des amis de Hugo au Palais dont il est la lumière alors que lui-même essaie de survivre à la mort de Vincent. Cette ville où la chanteuse Bill Feria dit-on s'est suicidée dans la tour qui porte son nom désormais.

(extrait) « Je te reviens. Je ne serai pas parti pour rien. Te revenir comme on retourne à soi-même, dans ce noir où seulement je vois. Il n'y a pas de mots. L'instinct me commandait d'oublier. Pas toi, pas le noir, pas la mer. Je n'ai pas oublié Hugo. J'avais treize ans, je promenais la solitude, déjà ils se trompaient sur moi. De ton côté tu imaginais l'improbable, tu guerroyais sur des champs de bataille inventés, la musique faisait le reste, tu commençais ta vie d'artiste, tu t'éblouissais de solitude. Au cœur des solitudes il y eut cet amour, méconnaissable et méconnu. L'instinct, pouah ! J'ai fait le contraire de ce que j'aurais voulu. Quand je dis "je", je veux dire "ils". Ce "ils" qui résume le monde, sur lequel on crachait, ce "ils" qui prétendait aimer. Tu feras que jamais je n'oublie le sens, ce fil ténu qui lie la bête à l'homme, cette lumière comme la bougie que portait l'enfant, si faible qu'elle permit de voir, qu'elle évita le chaos. Nous ne nous sommes jamais résignés au chaos. On l'aimait sans jamais y succomber. Le chaos, c'est nous. Ce gouffre traversé. Nous ne pactisons que de loin. On recouvre de noir ce qui brille avec tant de morgue. On tend la main pour mieux préserver l'autre. Nous, jamais là où on aurait voulu. Tu ne voulais pas y aller, tu y es allé quand même. Je m'inventais une parenthèse. Des cygnes blancs d'hier aux minotaures de demain. Je veux en venir que sans toi il n'y aurait plus d'espoir. Que sans toi le bal serait fini, la main aurait sculpté pour rien, l'aube aurait pleuré des larmes inutiles. Elle est belle l'absence. Qu'on a nourrie de chair, de foutre, d'impuissance. Sans la vie nous n'aurions rien pu faire. Si on vomit la vie c'est qu'on en a partout. On en a pour dix mille ans encore. Toutes ces différences qui nous faisaient souffrir. Pour une nuit elles se sont rencontrées. Contraintes de se voir. Contraintes d'avoir peur. Sur la terrasse je suis parti te rejoindre. Je déteste la fin, il n'y en aura jamais, comment le leur montrer ? Un jour ils voient et le lendemain ils oublient. Il y a son regard, il n'ignore pas l'effroi, déjà il t'aime, sans quoi je n'aurais fait que rêver, et même rêver c'est toi. Elle est cruelle l'absence d'être à ce point facile. S'il me reste le monde, tu me restes. Mourir mais une autre fois. Quand mourir ne sera que déposer le masque. Je sais le décor, les habits, presque le texte. L'essentiel est ailleurs. Ici ou autre part ce sera toujours ailleurs, alors... Ils ne savent pas. Ton ailleurs j'en ai déjà les mains salies. Je ne verrai plus mes mains. Un jour je ne te verrai plus. Il n'y a pas que toi, il n'y a pas que moi. Ce jour-là tu m'apparaîtras à nouveau. Il y a dans le ciel un oiseau. Il semble que je sois le seul à le voir. Il vole, disparaît, il revient, il ressemble à un loup. De ma chambre je le guette chaque jour. Ne m'en veux pas, je repars, il m'attend, cet oiseau-là il a confiance en toi. Prépare-toi à le voir arriver, il appartient au silence et aux mers infinies, aime-le, dis-lui qu'un jour il pourra se poser, mais ne lui dis pas quand. © »

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"La solitude du Mal" 1997

 
résumé : des meurtres sans explication, œil crevé et sable sur le sol, qui ressemblent au roman noir qu'écrit Léo Tirictiscu au moment où il rencontre Coutil, rencontre qui fera s'envoler la frontière entre le livre et sa vie.

(extrait) « Face à la Seine dans l'appartement minuscule et assis devant une table dépliée pour l'occasion, ils devisèrent lui d'écriture, elle de ses échecs et succès dans le monde de la criminalité. D'origine new yorkaise, elle avait épousé un Français décédé trois ans après leur arrivée en France. Forte de son expérience- elle était une des meilleures dans son pays- elle avait intégré la police française pour rester à Paris qu'elle aimait. Et puis elle confessa son penchant pour les idées communistes et les boucles d'oreilles, et trouva étrange la présence de peluches dans l'appartement d'un écrivain. "Un écrivain n'est pas une généralité, se contenta de répondre Léo, il ne rend aucun compte.
- Décidément vous ne leur ressemblez pas.
- A qui ?
- Aux écrivains, aux autres.
- Merci mais je leur ressemble aussi, c'est un tiraillement perpétuel entre soi et les autres.
- Et ces tableaux ? Ils ne sont pas de vous, je me trompe ?
- Mon meilleur ami les a peints, David, il est mort il y a trois ans."
A l'heure du digestif ils s'étaient retrouvés sur le canapé-lit. Il sirotait encore et elle tirait sur la taille de sa jupe. "J'ai trop mangé, dit-elle, à chaque fois c'est pareil. Je pense que vous savez pourquoi j'ai voulu vous rencontrer (elle parlait lentement)." Léo la regarda sans comprendre et (il allait y repenser souvent) s'étonna de la réponse qu'il lui fit. "Les meurtres je suppose, le sable et tout le tintouin.
- J'aurais dû vous en parler avant.
- Je ne m'y attendais pas.
- Alors ?...
- Je ne sais pas, j'écris un roman en ce moment...
- La même histoire ?
- Non, pas du tout, enfin je ne sais pas, continuez (un mouvement de son verre trahissait sa nervosité)."
Gaby Steamer essaya de trouver une justification à une visite aux airs de plus en plus surréalistes. Elle avait été chargée de l'enquête et n'avait pas avancé d'un pas. Un médecin, une jeune fille et un cadre assassinés et pas le commencement d'une explication. Aucun lien apparent entre les victimes, pas de témoins et aucune empreinte. A chaque fois le même rituel : les yeux crevés, un temps entre chaque oeil, du sable sur le sang et un livre aux pages arrachées entre les mains du mort, jamais le même. On avait recherché les originaux à grand-peine, retrouvé les pages manquantes, disséquées depuis sans résultat. Bref, Gaby Steamer pataugeait et, en désespoir de cause, s'en remettait à la littérature qu'elle chérissait. Seuls indices : les meurtres ont été perpétrés un vendredi, l'arme du crime serait un couteau de poche suisse et les pages arrachées sont au nombre de treize pour chaque livre. "Vous voyez le genre, vendredi 13 ! si c'est un fou nous ne sommes pas sortis de l'auberge ! lança-t-elle.
- Au contraire, il finira par se faire prendre.
- Dans les romans ils finissent par se faire prendre ! Je ne crois pas qu'il soit fou.
- Pourquoi ?
- Parce que d'abord ils ne sont jamais fous, parce qu'ils ont tous une raison.
- Et celui-là ?
- Il est intelligent. Il ne crève pas les deux yeux en même temps. Il attend. Il doit aimer les livres. Mais il y a autre chose, ah ! et puis j'ai oublié un détail..."
A cet instant le répondeur se mit en route. C'était Coutil qui demandait à Léo de le rappeler. "Il a une drôle de voix, pensa l'inspecteur tout haut. Vous avez beaucoup d'amis jeunes ?... © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"Amalia" 1998

 
résumé : Amalia Sané photographe, qui vit avec Tadzio le petit singe de Lisbonne, Amalia dont personne ne veut des photos et qui recherche pour se venger celui qui un jour lui a donné sa caméra (VL), Julien Rivière, le seul qui la comprend, le plus beau.

(extrait) « Elle a développé les photos Enfermés. Elle n'a pas pu les regarder. Quand elle a pu quelques semaines après, elle s'est demandé qui pourrait regarder ces photos. Et elle a repensé à Julien. Mais elle n'avait pas cessé de penser à lui. Elle a senti qu'elle devait retourner au square des Batignolles. C'était une question de secondes. On ne pouvait pas la tromper sur ça. La mort, la manipulation. L'aquatique. Elle est arrivée. Elle a trouvé Julien allongé sur le lit. Il respirait à peine. Elle n'a pas vu qu'il avait laissé une lettre pour elle à côté du lit. Elle ne l'a su qu'après. Elle ne l'a jamais lue.
On a sauvé Julien.
J'ai voulu refaire des photos. Le VL était cassé.
Des appareils photo il y en aura toujours. Il n'y a qu'un Julien.
A l'hôpital ils n'ont pas pu s'empêcher de verbaliser. Ils m'ont demandé si j'étais un parent. J'ai dit que je ne comprenais rien à leur ratatouille, qu'ils n'avaient qu'à demander à Julien. En sortant il leur a répondu. Il a dit que j'étais Amalia Sané. © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'Insecte" 1999
Éditions du Seuil - collection Solo, dirigée par René de Ceccatty
 


résumé : monologue du virus du sida : On a beaucoup parlé de moi et pas d'eux.

(extrait) « un jour seulement, un jour bien sûr les autres fatalement consentiront à parler d'eux mais ce jour-là ce ne sera plus eux, seulement un placebo d'eux, un jour les autres fatalement parleront d'eux parce que les autres finissent par tout assimiler, comme ils ont fini par assimiler les six millions de juifs qui sont morts dans les camps de concentration et même aujourd'hui ils inventent des histoires sur les camps de concentration et ils en font des films auxquels les autres accordent toutes sortes de récompenses, les autres ont tellement bien assimilé les millions de juifs qui sont morts dans les camps de concentration qu'ils se scandaliseront sûrement qu'on puisse faire ne serait-ce qu'un rapprochement entre eux et les millions de juifs qui sont morts dans les camps de concentration, les autres qui d'ailleurs ont déjà commencé à les assimiler eux puisque même les pédés aujourd'hui préfèrent oublier, préfèrent les oublier eux, et c'est comme ça que les autres ont toujours opéré : en contraignant tout ce qui ne leur ressemble pas à se rallier et à oublier, les autres finissent par tout assimiler pour le plus grand bien de l'implacable système immunitaire qui perpétue "la vie", finalement le seul système immunitaire qui soit, un jour donc les autres parleront d'eux en donnant libre cours à leur propension inouïe à s'émouvoir, ils se feront peut-être même des reproches comme les autres adorent faire leur mea culpa (les autres, par exemple, ont déjà fait un procès à des hommes politiques- donc à eux-mêmes- à propos des hémophiles que l'on avait soignés avec du sang contaminé par moi-même, mais ils n'ont fait ce procès que pour se dispenser encore une fois de parler d'eux) mais ils ne feront leur mea culpa que dans le seul but de perpétuer "la vie" et son implacable système immunitaire et sans attacher aucune importance aux mots qu'ils diront puisque les autres ont toujours méprisé les mots et n'ont fait que s'en servir pour le seul intérêt de "la vie" et de son implacable système immunitaire, les autres parleront d'eux mais ce ne sera plus eux, il ne restera plus que les autres, il ne faudra jamais compter sur les autres pour dire eux et c'est pour ça que Sang Inquiet écrit son livre dans lequel il me fait monologuer... © »

article dans "Le Monde": https://archive.is/VyGL

Amazon: https://www.amazon.com/Linsecte-French-Edition-Jean-Michel-Iribarren/dp/2020407205

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"Yaguine" 2000

 
résumé : dialogue entre JM et Yaguine, l'enfant malien mort caché dans la soute de l'avion qui devait le porter jusqu'à la France.

(extrait) « Il n'aurait jamais pu rencontrer Bouna devant la mer. Il pleuvait. C'était il y a un mois il pleuvait sans arrêt. Il avait plu pendant tout le voyage jusqu'à la frontière. Sœur Mouna se donnait du courage en buvant du coca, c'était la drogue de sœur Mouna et là elle avait peur de s'endormir au volant. Ce qui aurait été un comble après tout ce qu'elle avait fait pour que lui et Bouna se rencontrent (elle en Guinée et soeur Koumba au Sénégal). Sœur Mouna et l'amour des hommes : c'était quand même difficile de ne pas croire en l'amour des hommes quand c'était sœur Mouna. Surtout avec des jambes pareilles. Elle le faisait rire. Lui qui ne riait pas souvent, pas de quoi d'ailleurs, sourire ça suffisait et il souriait beaucoup. Surtout cette histoire d'Ava Gardner qui le faisait rire. Ça tournait à l'obsession chez elle : voir une fois dans sa vie un film avec Ava Gardner (elle lui avait écrit le nom sur un papier, sinon il comprenait Elle va garder, garder quoi ?...). Une obsession qui datait de ce Foté qui lui avait dit un jour qu'elle ressemblait à Ava. Ava Gardner par-ci, Ava Gardner par-là. La cinquantaine de sœur Mouna entre Ava Gardner et sida. Et la pluie qui ne s'arrêtait pas. Bouna faisait le chemin de l'autre côté avec sœur Koumba, la même sœur Koumba qui était venue le visiter dans sa prison à la demande express de sœur Mouna : fraternité des sœurs Caritas, les sœurs pesticide comme les appelait Mouna dans le journal qu'elle tenait plus que tout à tenir. C'était comme ça que lui et Bouna avaient commencé à s'écrire, même si c'était surtout lui qui écrivait. Il avait eu moins de chance Bouna : quoique plus jeune sœur Koumba avait tout d'un petit boudin. Le petit boudin faisait les rues de Dakar avec un sac-poubelle rempli de préservatifs Prudence. Trop de maladies vraiment, c'est clair. Et toujours rien à la télé. Sœur Koumba : l'anti-télé, le contraire du silence. Ce qui la mettait le plus en rogne avec les préservatifs, c'était s'entendre dire, moi, je suis fidèle ! à chaque fois elle en devenait folle, le seul mensonge qu'elle ne supportait pas, pour elle c'était un mensonge à tous les coups. Pour ça qu'elle conduisait à toute allure et qu'elle ponctuait toutes ses phrases par "voilà". Bouna et lui avaient un peu parlé de leur sœur pesticide respective avant de passer aux choses sérieuses, avant le meurtre, le début du meurtre, avec la pluie qui pleuvait toujours et les loups qui hurlaient.
L'idée de la lettre, c'est Bouna qui l'a eue.
- Tu dois écrire avant de partir, il lui avait dit de sa voix douce.
- Et dire ce qu'on s'est dit cette nuit ?
- Non, pas ça, ça c'est impossible. Non, une lettre que tu emporterais avec toi au cas où...
Au cas où : il avait compris tout de suite. Bouna serait le complice du meurtre qu'ils avaient élaboré dans la nuit sans jamais en prononcer le mot. Tout ne serait que manigances, exactement à l'image de leur ennemie commune.
- On recommencera ? Bouna avait souri.
- Toujours.
Au retour il pleuvait encore. © »

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"Undead" 2002

 
résumé : autobiographie.

(extrait) « j'ai marché toute la journée, je sais plus où, dans ces grandes avenues où je sentais le souffle de ma vie, où ma vie était déjà là sans moi qui m'attendait, y avait en ce temps dans Paris une partie de moi qui me courait après, qui désarmait pas... vers le soir j'ai pris le chemin du retour, je suis monté dans un bus qui me ramènerait chez moi, rien avait changé, simplement j'avais arrêté de travailler le temps d'une journée, j'étais assis au fond du bus, à un moment j'ai regardé en face de moi : il devait avoir mon âge ou un peu moins, il était blond, il était magnifique de beauté, je lui ai jamais parlé, il sait pas qui je suis, je lui dois tout... c'est en le voyant lui, ce garçon blond qui avait je crois un manteau vert, qu'en une seconde j'ai basculé : vers moi, pour ce que j'ai toujours appelé l'acceptation, pas la résignation, l'acceptation des garçons, que ce serait ça et pas autre chose, que depuis toujours j'étais homosexuel, sale mot mais puisque c'est le mot : c'est ce que j'étais, en une seconde ça m'a paru magnifique de l'être, et stupéfiant d'avoir tant attendu, j'allais le dire à la terre entière, la terre entière allait le savoir, je voyais celui que j'étais déguerpir sans demander son reste, il reviendrait plus jamais, je le plantais là l'inaudible, il me laissait aucun regret, il me dégoûtait presque et avec lui tous ceux qui l'avaient forcé à rester inaudible... en même temps j'avais envie de leur dire merci à ceux-là, tous, les humiliateurs, les empêcheurs, je leur devrai toujours tout aux humiliateurs et aux empêcheurs, je leur devrai toujours cette seconde dans le bus, sans eux y aurait jamais eu cette seconde, ce moment où tout a basculé, où demain s'est écrit d'un seul coup, tout ce qui allait venir, j'en voudrai jamais au malheur comme les autres lui en veulent, le malheur m'a tout donné de jamais l'avoir accepté, les empêcheurs de jamais leur avoir cédé, cette seconde restera pour toujours indescriptible, y aura jamais de mots pour dire ce que c'est de devenir soi-même, ç'allait se voir physiquement le changement dû à cette seconde dans le bus, ç'allait se voir pour tout, je viens de cette seconde qui elle-même vient de si loin que je saurai jamais d'où : de l'enfance peut-être, de l'oppression que c'est l'enfance, que ce sera toujours et quelle que soit l'enfance, l'oppression que c'est la famille, que ce sera toujours et quelle que soit la famille, elle venait la seconde du garçon à la barque qui me souriait près du canal et que j'avais laissé repartir, de cet autre croisé devant un marchand de journaux, elle venait peut-être de Lucien quand il avait dit l'important c'est d'aimer, elle venait de la solitude, ces nuits passées seul avec Kali dans ses pattes et son flanc, de tous les regards assassins que j'avais dû affronter, elle venait du meurtre ma seconde, de tous ceux qui sont morts parce qu'ils ont jamais eu comme moi une seconde dans un bus une fin d'après-midi : elle venait de tous les autres, de lui le garçon blond qui saura jamais ce que je lui dois, ceux d'avant moi qui comme moi un jour s'étaient pas résignés, ceux d'après moi qui comme moi se résigneraient pas que le monde soit ce qu'il est, impitoyable et sans aucune raison, assassin et sans aucune raison, et nos bourreaux, un grand merci à nos bourreaux d'être ce qu'ils sont, on leur doit à nos bourreaux de pas leur ressembler, de pas aimer la vie qu'ils servent avec tant de zèle et sans aucune raison, qu'ils continueront de servir avec autant de zèle qu'avant et sans aucune autre raison que celle de faire des victimes, toujours davantage de victimes, elle venait ma seconde de Vincent et elle lui reviendrait, tout pouvait commencer. © »

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L'insecte

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Wild Samuel

Géant

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"Wild Samuel" 2013

 
résumé : Wild et Mathieu se connaissent à l'âge de onze ans, leur lien est si fort qu'ils peuvent même se retrouver dans leurs rêves. Mathieu meurt à vingt ans. Wild ne pourra se résigner à être séparé de lui et le recherchera même malgré lui, accompagné par Ankhchen, la femme mystérieuse et si proche à la fois qu'il retrouve à Berlin.

(extrait) « Mathieu avait dit à propos du baiser, c'était bien. Tu vois, c'est toi qui as commencé, pas moi. Puis en riant, mais j'ai pas envie qu'on passe pour les deux tarlouzes du lycée, ça suffit d'une. C'était une montagne, sans neige, en bas il y avait une sorte de petit village comme endormi, auquel on accédait par une route qui montait entourée de ravins, mais des ravins accessibles, verts. Ils avaient pris un chemin dans la montagne, qui montait, montait. A un moment le chemin était devenu de plus en plus étroit. Ils ne pouvaient plus passer qu'en se tenant l'un derrière l'autre. En bas le vide, et aucune protection dans le chemin. Ils avaient peur mais ils continuaient quand même à monter et il semblait que le chemin rétrécissait encore. C'est là que Wild s'était retourné. Il avait dit, c'était écrit dans le cahier de Mathieu, il avait dit, masse et doine, comme ça en trois mots, et il avait embrassé Mathieu. Un vrai baiser. Mais qui dans le rêve était bien davantage encore. Aujourd'hui il a oublié la sensation, il se souvient juste que c'était bien, et que c'était bien davantage qu'un baiser. Ils s'étaient faits à leur deuxième réalité. Elle n'était pas la même que celle de la vie mais elle était devenue la leur aussi, elle les étonnait bien sûr et elle ne les étonnait pas non plus. Mathieu lui avait dit vers la fin, tu te rends compte, tout ce qu'on a déjà, qu'est-ce qui va bien pouvoir se passer après. Tu imagines quoi ? avait dit Wild. Plus, j'imagine plus. Un jour où ils dormaient chez Mathieu, seuls parce que les parents de Mathieu étaient absents, ils avaient rêvé qu'ils dormaient, puis qu'ils se réveillaient pour le lycée, ils avaient pris le chemin d'Henri IV à pied, le boulevard Saint-Germain, à un endroit du boulevard ils avaient aperçu par les vasistas d'un immeuble au rez-de-chaussée, en sous-sol, des salles immenses où mangeaient des foules de gens, comme un monde souterrain, puis ils avaient retrouvé le lycée, avant d'entrer dans la salle de cours, ils avaient vu Marlon Brando qui en sortait. Du coup ce jour-là ils s'étaient réveillés en retard et n'étaient arrivés à Henri IV qu'à dix heures du matin. © »

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"Géant" 2016

 
résumé : une heure dans la vie de trois personnages, la même heure. Vincent l'écrivain, dans sa chambre à Paris. Léa dans sa chambre d'hôpital où elle va mourir. Et Ben, le jeune cardinal noir au conclave de Rome qui élira le prochain pape.

(extrait) « (Ben) Je ne fais pas le compte des voix, je n'écoute plus. Visconti à côté, lui, tient les comptes comme un expert-comptable, et il me jette des regards à la dérobée, je ne sais plus ce que ces regards veulent dire. Je contemple Danilo. Il me regarde aussi, il n'y a que nous. Je me perds dans la contemplation de Danilo sans me gêner. Les vieilles biques sont trop occupées sur leur feuille à noter, elles n'osent même pas me regarder. Seul d'Angelo me regarde d'un air de dire, si seulement c'était toi. J'imagine Republica faisant le ménage dans une chambre à l'Hôtel du Désir, la télévision allumée pour voir si son frère sera le prochain pape. J'imagine le monde les yeux rivés sur Rome pour savoir qui commandera à l'Eglise, si l'Afrique enfin y aura droit, au blanc. Pourquoi suis-je devenu prêtre ? Mama avait été élevée par "les bons pères", comme elle disait en rigolant. Elle m'a appris à me méfier de Géant, pense à toi d'abord, Il est trop débordé là-haut pour s'occuper de toi, ne compte que sur toi, Il ne peut faire face à l'afflux des demandes, et d'ailleurs Il s'en fout, elle croyait en Vous mais elle se méfiait. Est-ce qu'on sait pourquoi la Providence vous plante là, sur la route, dans le train, et allez débrouille-toi, je ne sais pas pourquoi je suis devenu prêtre, peut-être pour qu'on me fiche la paix à propos des garçons et qu'on ne dise pas, pourquoi ne se marie-t-il pas. Ce n'est pas glorieux mais on ne décide pas. Le jour où j'ai vraiment décidé, c'était fait, embarqué Benjamin Sané dans cette Providence maudite et aimée, la Vierge Marie me protégeait, et moi je décidais de plus en plus, j'ai mis longtemps à me décider à décider, j'avais un peu honte d'être noir et j'en étais tellement fier aussi, j'apprenais la guerre et je n'allais pas m'en défaire. J'ai l'impression que Visconti fredonne à côté, une chanson de Sylvie Vartan, il ne manquait plus que ça, mais l'imagination me joue peut-être des tours. Peut-être même que Danilo ne me regarde pas. Peut-être que Danilo n'existe pas. Comme Vous. Les hommes inventent, je me demande s'ils n'inventent pas comme Vous n'inventerez jamais. Vous, Vous êtes simple, comme Danilo, c'est nous qui compliquons toujours tout. Et Visconti, est-ce qu'il a seulement voté pour moi ? Pervers comme il est il a peut-être voté pour moi pour me mettre dans la merde, ça doit lui plaire l'idée d'avoir un jeune pape beau et inexpérimenté, il se dit peut-être qu'il sera mon mentor, mais moi le seul mentor que j'ai c'est Vous, Vous, l'absent, le difficile, l'inconnu. Personne n'a été mon mentor, j'ai eu mieux, on m'a aimé. L'orage me manque, j'avais l'impression d'être dans un film, dans un drame shakespearien comme ceux où brille Samuel. Samuel était éblouissant avant même de devenir comédien, il était éblouissant dans sa vie, il était éblouissant quand il me disait, viens, ce soir on va voir Garbo. Il y a des êtres qui doivent Vous ressembler, on se rend à eux, on Vous devine derrière, le fou que Vous êtes. Et puis la horde des autres sans qui il ne servirait à rien de briller, je Vous voyais encore davantage dans les enfants du sida qui mouraient dans ma main que dans ceux qui brillent et devant qui on se rend. © »

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trilogie « Âmes dehors »

 

premier roman : "Décal'âge" 2018

résumé : Velma est veuve depuis un an. Alain, l'homme de sa vie, est mort. Elle décide de s'en aller à la recherche de son fils parti il y a dix ans aux Etats-Unis et dont elle n'a plus de nouvelles. Ce roman raconte la quête de Velma là-bas, loin de Paris.

(extrait) « ils passent près d'un immeuble un peu délabré, graffiti, avec le drapeau arc-en-ciel au balcon, le drapeau Stonewall, gay, elle le regarde, tu as vu ? oui, il dit, j'ai changé mais je ne suis pas aveugle, c'est beau non ? je t'emmènerai, à Stonewall, on ira tous les trois, on fera la fête, je veux pas être malheureux, je veux pas que vous soyez malheureux toi et lui, elle dit : et dans dix ans, tu y as pensé ? à quoi ? à moi et lui, ou à toi et lui ? les deux mon chéri, les deux, il dit : j'y pense et puis j'oublie, on sera vigilants, Matt dit toujours ça, sois vigilant mon amour, il t'appelle mon amour ? parfois oui, et vous aussi vous serez vigilants, et lui, là-haut il continuera à te protéger, lui là-haut, nous en bas, mais qu'est-ce que tu racontes ! tu es devenu croyant ? il m'a ouvert les yeux, dit Frédéric, il doit être triste sans nous, je devrais l'appeler, mais il est heureux aussi, c'est grâce à lui tout ça, elle : il a dit que c'était ton idée, oh il dit ça mais c'est lui qui t'a cherchée, pour moi, on lui doit tout. Peu à peu ils se rapprochent de la fin de la High Line. Ils auraient bien continué comme ça sans fin, elle à son bras, avec tous les Matthew dans la conversation, elle a peur qu'il l'appelle, ça lui fait étrange, son fils parlant avec Matt, le jour tombe, il fait plus frais, fin septembre, tu vas avoir froid, quelle idée tu as eu d'aller courir comme ça avant le rendez-vous, si je n'avais pas couru je n'aurais pas pu venir, j'en avais besoin, oh n'exagère pas, tu frissonnes, non je t'assure, non je vais t'acheter un pull ou quelque chose ou alors on prend un taxi et tu retournes te changer, oui et comme ça tu verras Matt, ça ce n'est pas la meilleure idée aujourd'hui elle pense, non je vais t'acheter quelque chose pour avoir chaud, cela fait si longtemps que je ne t'ai rien acheté, tu te rappelles quand on allait au Bon Marché tous les deux, dit Frédéric et il lui prend le bras, j'aimerais qu'il connaisse Paris mais le problème c'est que moi je n'y retournerai pas, alors il pourrait y aller avec toi, tais-toi un peu mon chéri, tu me soûles, c'est parce que je suis ivre. © »



deuxième roman : "Rollercoaster" 2021


résumé : suite de "Décal'âge" : New York, Frédéric, Velma (sa mère), Matthew. Matthew vit avec Frédéric depuis douze ans, il est aussi l'amoureux de la mère de Frédéric. Frédéric fait une émission de nuit à la radio : Streetwalk, sous le nom de Jimmy Prince. Et il y a ceux qui l'écoutent la nuit dont les chemins de certains vont finir par se rencontrer, et parmi eux, Diego, le jeune immigré qui rencontre madame Soledad, et aussi celui qui a écrit à Jimmy une lettre avec le mot 'rollercoaster'... jusqu'au virus qui désole NYC... mais la cité revit quand même...

(extrait) « Elle prend toujours un whisky. Enfin, c'était la première fois que j'allais chez elle mais comme au Pierre, un whisky. Matthew, passez me voir un jour, seul, et Diego et Jimmy ne m'en veuillez pas mais Matthew et moi avons de chers amis en commun, Patricia et Julian, ça me ferait du bien d'évoquer nos souvenirs avec Matthew, et Diego ne soyez pas jaloux. Pas du tout, a dit Diego en souriant. C'est impossible que Diego soit jaloux de choses comme ça, ils sont tellement liés l'un à l'autre, ça saute aux yeux tout de suite, cet amour. La vieille femme et l'enfant roi, comme dans ma nouvelle. Alors j'y suis allé. Tu me raconteras, a dit Frédéric. Elle était seule donc. C'est elle qui a ouvert. Je n'ai même pas vu sa gouvernante, cette Rosa. Matthew, vous me rendez heureuse. J'ai souri. Son grand appartement. J'imaginais la vie de Diego là, après les années difficiles, et sa vie à elle, là, après la mort de son fils. Elle nous l'a déjà dit, Frédéric et moi avons l'âge de son fils quand il est mort. Vous prenez un whisky ? J'ai décliné, je ne suis pas très porté sur l'alcool et je n'ai pas osé lui proposer un joint, kidding. Il y avait une tarte aux amandes, elle y a à peine touché. Les Holdridge étaient les meilleurs amis de mes parents. Et peut-être aussi ses meilleurs amis à elle, malgré la différence d'âge, ou à cause, je n'ai jamais adoré être avec des gens de mon âge en vieillissant, vous me direz je suis servie maintenant. Et elle a ri de son rire inimitable. Elle voulait parler d'eux mais elle a surtout parlé de son fils. Vous êtes écrivain, vous comprenez ces choses Matthew, les écrivains, les vrais j'entends, n'écrivent que sur la mort, même quand ils écrivent sur la vie, vous êtes d'accord, Matthew ? Diego m'avait prévenu, elle me dirait, vous êtes d'accord Matthew ? Et je l'étais. La mort c'est notre gagne-pain. J'aurais tant voulu assister à votre mariage, Patricia et Julian y étaient aussi n'est-ce pas ? Elle était très curieuse de ce que moi un garçon qui aime les filles soit avec un garçon qui aime les garçons. C'est plus simple vous croyez ? Je ne savais pas que répondre. J'ai dit qu'aimer n'était jamais simple. Ça non, a-t-elle dit, c'est même la seule chose compliquée et Dieu merci, avec mon Julio c'était simple pourtant mais j'ai dû oublier les complications, une vie si longue, vous savez, on oublie, il ne reste que ce qu'il reste. Elle a le cerveau d'une adolescente, elle se souvient contrairement à ce qu'elle dit, elle tirait sur sa cigarette, vous pouvez fumer un joint si vous voulez, je ne suis pas à ça près. J'ai sursauté et souri, elle sait tout. Mais je n'avais pas de quoi fumer sur moi et de toute façon je ne l'aurais pas fait, mes restes de bonne éducation. Je déteste les tabous, Matthew, surtout à mon âge ce serait ridicule. Je suis resté dîner, Diego n'était toujours pas rentré, il devait avoir son cours avec sa Marmelstein. J'ai enfin connu Rosa, Soledad a ouvert une bouteille de vin blanc, ou plutôt je l'ai ouverte. Elle avait commandé à son restaurant favori. J'ai toujours adoré les restaurants, c'est ma vie, imaginez tous ces restaurants avec Patricia et Julian. Nous aussi, j'ai dit, Frédéric les adore, et sa mère aussi. Vous me la présenterez n'est-ce pas, sa mère ? On a fini la soirée en parlant de Diego. C'est là que j'ai compris. Qu'elle mourrait sans lui, dans la seconde. J'ai compris, pas tant à ce qu'elle disait, non, ailleurs, quelque part, qu'elle en mourrait, survivre à Vicente avait empêché toute autre survie. Alors c'était comment ? m'a demandé Frédéric avant l'émission. Trop long pour te raconter en une minute, mais elle aimerait connaître ta mère. Et tu lui as raconté pour toi et maman ? C'est ça ! oui, dans tous les détails. Tu aurais dû, elle aime les livres, rien ne l'étonnerait. Il avait raison, et l'émission a commencé. Je me suis demandé si elle était en train de l'écouter. Et combien de temps il lui restait à vivre. © »





troisième roman : "Hotel Monroe" 2022-... à suivre



résumé : suite de "Rollercoaster" : New York - Frédéric, Matthew, Soledad, Diego et les autres emménagent tous dans l'hôtel Monroe de Manhattan que Soledad et Velma ont acheté... commence une nouvelle vie

(extrait) « Cette nuit Danielo les accompagne à la radio. Danielo, le frère de Barvortch. Il est passé dans la journée à l'hôtel, c'est Matthew qui l'a accueilli. Danielo a vingt ans. On se rappelle que Barvortch avait dit qu'il travaillait dans une boucherie. Je ne sais pas pourquoi elle a dit ça, dit Danielo en riant, je travaille dans une librairie mais je lui avais peut-être dit que je travaillais dans une boucherie, je mens souvent. Est-ce que Danielo sait que Mattthew a couché avec sa sœur. Probablement pour la manière dont il sourit à Matthew, il a du charme, il en joue. Il s'extasie, lui qui travaille dans une librairie, devant l'abondance de livres dans le salon de l'hôtel. Barvortch dit que tu es poète ? Matthew confirme. Et tu en vis ? Matthew dit que personne ne vit d'être poète. Tu m'étonnes, répond Danielo. Ta sœur dit aussi que tu veux être aviateur. Ça c'est presque vrai, en fait aviateur ce doit être trop tard, mais je dessine, je dessine des avions, des moteurs d'avion, elle a dit que tu pourrais m'aider. Il sourit, je crois que j'ai dit ça pour essayer de la revoir mais on peut essayer, mon mari Frédéric fait une émission à la radio, il connaît des gens. Alors toi aussi tu es un menteur ? Moi je mens vrai. Moi aussi... alors t'es marié avec un garçon et tu te tapes ma sœur, c'est fort ça. Le voilà. Frédéric les rejoint au salon. Présentations. Tu ne travailles pas aujourd'hui ? Danielo dit que c'est son jour de repos. Finalement ils décident de dîner ensemble et puis Danielo les accompagnera à la radio. En attendant le dîner chacun à ses affaires. Danielo repasse chez lui, il habite dans l'East Village. Seul ? Non pas seul, avec un pote. C'est vrai ou tu mens ? Ah ça! On dînera où ? Ici, au premier étage, on commandera quelque chose.
Danielo adorait l'hôtel et il plut à tout le monde. Soledad parla des avions avec lui. Je ne savais pas que vous vous intéressiez autant aux avions, lui dit Diego ensuite. Mais pas du tout, Diego, mais à mon âge on essaie de s'intéresser aux choses des autres et puis ce petit Danielo est si charmant. En somme, vous essayiez de le séduire. En quelque sorte, Diego, mais uniquement avec votre autorisation. Vous écoutez toujours Jimmy le soir ? Oh vous le savez bien, souvent je dors, mais si je ne dors pas et vous non plus nous l'écoutons ensemble, comme avant, comme pendant le covid, vous vous rappelez ? Oh oui, ça c'était bien, pas le reste mais ça oui. Leurs souvenirs.

"Salut Jimmy avec vous pour explorer la nuit, la rendre encore plus mystérieuse, jusqu'à trois heures du matin".
Voix dans la nuit : vis ta vie, pas celle des autres, pas celles que tu croises dans cette ville trop grande pour camoufler les bonheurs, pas celles des passants, tu les envies les passants ? ne fais pas ça, envie la chance que tu as de marcher là dans cette ville trop grande pour camoufler les malheurs, la chance que tu as d'être ce que tu es, l'unique passant de cette ville, l'unique homme, l'unique femme, homme femme tu t'en fous, disons l'unique toi, tu marches, tu aimes ça, tu marches au milieu des uniques, certains uniques, beaucoup en fait, ne savent pas qu'ils le sont, uniques, alors ils s'effacent un peu, ils pâlissent au soleil de la ville, à sa neige, mais pas toi, le soleil ou la neige te creusent, te sculptent, et tu finis par ressembler à la ville, sa grandeur, ses bonheurs, ses malheurs, marche sans te lasser, sommes tous des marcheurs, tous allant vers où on va, tu crois qu'on ne sait pas vers où on va ? tant mieux ! c'est la découverte qui compte, mon amour, je vais vers toi...
Ils déposent Danielo chez lui. Je pourrai vous revoir ? Quand tu veux, dis à ta sœur que tu nous as vus. Jimmy ? Quoi ? Non, rien, merci à tous les deux. © »

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"Matteo le magnifique" 2023

 
résumé : deux longs voyages à 45 ans de distance, deux tournants qui se rejoignent

(extrait) « Et en 1978 ? Et bien 78 c'était le début, le début des restaurants aussi mais un peu plus tard, début 79 avec Hervé quand nous serions amoureux pour une brève mais intense période, premier amour, des restaurants pas chers, à Paris, surtout sur les Champs Élysées qui étaient à l'époque notre quartier général, plus tard ce serait Mouffetard, les Halles et le Marais. À Santa Barbara je ne me souviens pas de restaurants. Je me souviens d'un endroit où je mangeais quand je revenais seul de Los Angeles, mais avec Daphne et Bill on devait bien manger quand même, mais où ? Je ne sais plus, ce ne devait pas être très marquant. Des restaurants j'en avais déjà fait beaucoup avec ma mère quand elle venait me voir à Paris du temps de Sciences Po. Je ne sais plus exactement quand j'ai commencé à boire du vin. Avec Hervé je suppose. J'ai tout commencé avec Hervé. Mais à l'époque de Santa Barbara comme j'ai dit, nous étions dans une sorte de froid, déjà, dans ma relation avec lui jusqu'à sa mort, seize ans, ce serait une succession de chaud et de froid, toujours à cause de moi, parce que je voulais davantage et que lui voulait aussi vivre en dehors de moi, trop long pour tout expliquer ici mais on comprend non ? Ce premier froid en 1978 c'était aussi parce que je considérais avoir fait beaucoup pour nous, notre amitié, sans être payé de retour, il n'avait même pas donné suite à notre projet de voyage ensemble en Californie. Du coup j'ai tout stoppé du jour au lendemain. Hervé me dirait un jour qu'il était fasciné par ma capacité de me tenir à une décision si la réalité ne correspondait pas à ce que j'avais souhaité. Il ne le disait pas qu'avec admiration, fasciné peut-être mais pas admiratif. On continuait quand même à se voir en conférence d'Économie puisque c'est là qu'on s'était connus. Mais on avait arrêté de travailler ensemble dans ma chambre. Quand j'ai vécu ma seconde, je l'ai donc vécue seul. Comme je l'ai dit, il était passé peu après récupérer des notes à lui qu'il avait laissées dans la chambre, j'avais un polo jaune pas boutonné, je m'en souviens de ça, pas des restaurants à Santa Barbara mais de ça oui, plus tard il m'a dit qu'il m'avait trouvé changé, presque désirable, ce qui n'était pas le cas avant et pour cause, je travaillais du soir au matin. Changé tu parles ! Et pas qu'un peu. Du coup, à cause du froid, je lui ai écrit une carte postale de Californie avec des nouvelles les plus insignifiantes possibles, mais quand même, je lui ai écrit. Et du coup aussi, au retour à Hossegor, je recevrais une carte de lui avec des choses écrites encore plus insignifiantes, je l'ai encore la carte, avec toutes les lettres qu'on a pu s'échanger, essentiellement pendant la période de nos froids, pendant seize ans, j'en ai fait un livre qui s'appelle H, les lettres de notre jeunesse, de ce qui ne meurt pas, de notre amour. © »

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"Parce qu'eux" 1989
Éditions Saint-Germain-des-Prés
(et autres poèmes)

 



Sachez-le ! Rien n'est ici à sa place et tout y sonne juste. L'amour surgit de ces poèmes comme de rites impurs ("des anges y croisent des robes noires"), le désespoir affleure sans l'emporter jamais. Car..., là où le verbe nous entraîne, "l'écume au loin des vagues éclaire un peu ces lieux". Force et lucidité de la vie incarnées dans les mots.
(Hervé Loyez)

« (prudence)

le temps

qu'il y en ait eu tant, et toi si peu

prudence !

rescapé, adoré, abîmé

cette envie qui au fil du temps

t'anéantit

d'être à l'égal d'un dieu

bloc fissuré

le sang des maux

l'or

toujours aussi vif

les démons, les paradis

la mer morte

qu'ils reviennent !

que les démons les retrouvent

seulement un début

pas de fin

le mal faisait du bien

fuir

tenir à distance

reconquérir,

l'enfance,

et soi,

reconquérir le monde

attends ! © »


Amazon: https://www.amazon.fr/Parce-queux-Jean-Michel-Iribarren/dp/2243031795/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1431619725&sr=1-2&keywords=jean+michel+iribarren

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Parce qu'eux




France Culture : "Du jour au lendemain" par Alain Veinstein : "L'Insecte", de Jean-Michel Iribarren, éditions du Seuil, interview 2000

Alain Veinstein : Vous êtes né en 58 Jean-Michel Iribarren et votre éditeur nous informe que vous avez exercé divers métiers dans la politique et le cinéma, la politique et le cinéma c'est pas tout à fait la même chose...

Jean-Michel Iribarren : II y a beaucoup de gens qui disent que c'est pareil, je ne sais pas... Vous voulez que je vous dise exactement ce que j'ai fait ?...


Dites ce que vous voulez, vous êtes libre...

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de choses... le parcours qui m'a mené a l'écriture a été long... j'ai commencé à écrire tard, à l'âge de 30 ans à peu près et je crois que ce que j'ai fait avant n'a pas franchement d'intérêt... ce qui est intéressant, c'est que tout ça menait à l'écriture, que l'écriture était déjà là même quand je n'écrivais pas, que mon meilleur ami, dont je parle dans le livre, lui, voulait écrire depuis qu'il était petit, ça a été long...


Et vous c'est une décision plus tardive ?

Ce n'a pas été une décision, c'est toujours une chose qui m'a étonné... J'ai toujours voulu, ça paraît un peu bête à dire comme ça, je ne sais pas : trouver sa place, m'exprimer dans une chose artistique, et ça a pris des chemins contournés, j'ai fait de la radio, j'ai voulu être comédien, et cette place je ne la trouvais pas... j'ai même tourné un rôle dans un moyen métrage de Jean-Luc Godard, et je crois que ça date de là, je me suis dit : c'est vraiment lui qui crée quelque chose, moi rien... alors je me suis dit qu'est-ce qu'il me reste ? il me reste écrire, alors j'ai écrit... parce que ce livre, c'est quand même pas le premier que j'ai écrit, c'est le premier publié mais c'est pas le premier que j'ai écrit.


J'allais vous poser la question

J'en ai écrit beaucoup...


Et pourquoi n'ont-ils pas été publiés... d'après vous ?

C'est très difficile que l'auteur dise ça, parce que s'il dit : c'est la faute des autres, on va dire c'est facile... je crois que le chemin qui mène de toute façon à une certaine reconnaissance, il est long et j'ai toujours dit que tout le temps que j'ai écrit sans être publié, j'avais une extraordinaire liberté, je crois que peut-être je n'aurais pas écrit L'Insecte si je n'avais pas été autant refusé, parce que j'ai vraiment été extraordinairement refusé, partout... j'ai rencontré des gens qui me disaient en substance : c'est bien ce que vous faites mais on ne va pas l'éditer ou... enfin il y avait toujours des raisons, honnêtes ou moins honnêtes, je n'en sais rien... je n'en sais rien, c'est difficile parce que maintenant je suis publié, je suis dans une maison d'éditions, alors je ne peux pas non plus cracher dans ma propre soupe, mais en même temps pourquoi pas...


Vous êtes publié mais en même temps, avec ce premier livre publié, vous faites une expérience dont vous m'avez parlé par écrit, puisque vous m'avez envoyé votre livre avec une lettre, une longue lettre, bien intéressante, vous faites l'expérience du silence, vous êtes heurté, c'est le mot que vous employez, au silence qui a accompagné la sortie de ce livre qui est sorti il y a 2-3 mois, et depuis 2-3 mois pas assez d'articles selon vous, pas assez de retentissement médiatique...


Non, il n'y a pas que ça, parce que si ce n'était que ça... On m'a dit aussi que c'était le propre de tout auteur de se heurter, quand il a écrit, à un certain silence... vraisemblablement... Mais ce livre parle du silence, et en l'écrivant, et dans ce que j'ai écrit, j'ai dit qu'il se heurterait au silence... j'avais un peu anticipé le silence parce que je croyais qu'il ne serait pas publié, alors il l'a été, et même à bras ouverts, de manière presque un peu inquiétante, et le silence c'est plutôt après, ce n'est pas un silence total, c'est un silence sournois... Ce livre je m'attendais à ce qu'il soit - peut-être naïvement, alors que ce que j'ai écrit n'est, je crois, pas naïf, mais c'est peut -être ce qui prouve que je suis encore dans la vie dans ce qu'elle peut avoir de... je ne sais pas comment dire... - donc les gens qui auraient dû soutenir ce livre ne le soutiennent pas, on me dit qu'ils ne savent pas comment en parler...


Et vous pensez qu'un livre ne peut pas se défendre tout seul...

Oui... oui, à la limite c'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux, sûrement même ce qui pourrait lui arriver de mieux, parce que je pense que quelquefois dans la manière dont on défend un livre il y a beaucoup de malentendus aussi... mais c'est difficile pour un livre de se défendre tout seul, je ne sais pas si c'est plus difficile aujourd'hui qu'avant... mais le problème d'écrire, c'est qu'on est très libre quand on écrit, presque trop, presque trop parce qu'on est quand même coupé d'une certaine réalité, même si c'est bien aussi de s'en couper de cette réalité, parce que peut-être si on n'en était pas coupé on n'écrirait pas, et peut-être qu'on est plus proche d'une réalité plus essentielle... mais en même temps quand ce livre est écrit, il a besoin des autres, il a besoin d'être défendu, moi depuis 2-3 mois je me pose la question : est-ce qu'un auteur doit vraiment défendre ce qu'il a écrit ? c'est une question... en fait je réponds toujours oui, il faut défendre ce qu'on a écrit... mais peut-être que l'on devrait laisser les mots... et puis tant pis s'il y a le silence, peut-être qu'on devrait se résoudre à ça... je crois qu'il y a un orgueil aussi de l'écrivain qui est mal placé, il y a une envie de reconnaissance, de gloire, de gloire oui, enfin de gloire c'est exagéré, qui est mal placée aussi, qui est mal placée mais en même temps si on a écrit c'est parce qu' on a envie que ses mots "passent", les mots qui ne "passent" pas ils meurent, et moi je parle du silence alors si ce livre reste dans le silence, c'est aussi un échec du livre.


C'est un livre, c'est le moins qu'on puisse dire, qui crée un trouble... chez le lecteur...

C'est-à-dire...


L'Insecte, là, que vous publiez dans la collection de René de Ceccatty, Solo, parce que d'abord on ne sait pas si c'est un roman, ou si c'est un récit autobiographique...

C'est déjà son problème, pour ceux qui seraient chargés de le défendre... c'est un livre qui ne rentre pas dans une catégorie, c'est pas un essai, ça pourrait l'être, c'est pas vraiment un témoignage mais ça l'est aussi, alors au bout du compte je dis que c'est un roman, je pense qu'à partir du moment où j'ai fait parler le virus du sida...


Oui, parce que ça, c'est l'autre élément du trouble, c'est que dans ce livre-là, et à ma connaissance il n'y en a pas beaucoup qui en font autant, vous donnez la parole au mal, qui aujourd'hui en effet est le mal absolu, le mal qui à l'intérieur même du roman tue les personnages...

Il les a tués déjà... oui... est-ce que c'est le mal absolu ?... Ce qui est écrit aussi dans le livre, c'est que le mal absolu, c'est peut -être de ne pas regarder le mal...


L'indifférence...

Oui, l'indifférence... mais l'indifférence quelquefois ça n'est pas voulu, alors qu'il y a aussi une volonté de ne pas regarder le mal, il y a une forme d'organisation qui est basée, bâtie sur : ne pas regarder le mal... Ce que j'ai essayé d'écrire, c'est que ce qui fonde la vie, c'est aussi de ne pas regarder le mal, que tout se ramène finalement à ça... Le virus du sida, le pauvre, il a fait son travail de virus du sida et si je lui ai donné la parole c'est parce que justement je me suis dit que personne ne pouvait raconter, que j'en étais là, que personne ne pouvait raconter ce qui s'était passé et que justement celui qui pourrait le mieux le dire, ce serait le virus du sida... mais à partir de là on est quand même dans un romanesque, c'est pour ça qu'on peut dire que c'est aussi un roman mais c'est vrai que je ne raconte pas vraiment une histoire...


Non, c'est pas vraiment un roman à l'eau de rose... donc, il parle, il monologue, ce virus dans un livre écrit par un autre, un certain Sang Inquiet, qui est séronégatif, et qui vit avec Or Vif...

Sang Inquiet, c'est celui qui écrit le livre... donc c'est moi... et Or Vif, c'est la personne avec laquelle je vis, oui...


Sang Inquiet, c'est de l'encre noire...

Qu'est-ce que vous voulez dire ?


II est très noir...

Je ne crois pas.


... par son inquiétude même...

Non, ce qui est noir c'est justement de ne pas être inquiet, alors franchement je trouve que les gens qui vivent sans être inquiets sont... inquiétants... et qu'est-ce que ça veut dire être noir ?...


Noir comme l'encre...

Mais encore...


l'encre de l'écriture de ce livre... parce que c'est tout de même un livre...

ah oui, c'est un livre...


un livre ça ne s'écrit pas avec rien, ça s'écrit avec son sang, c'est-à-dire avec de l'encre...

Oui mais ça reste des mots... on ne sait pas en fait ce que c'est... et quand on a écrit un livre, on se dit que si ce n'est qu'un livre c'est pas la peine, si ce n'est qu'un livre...


Et qu'est-ce que ça peut être d'autre...

Peut-être qu' on écrit aussi pour le savoir... je crois qu' on se pose tout le temps la question... mais vous me disiez c'est noir, je sais que les gens qui ont aimé ce livre ne l'ont pas ressenti justement comme un livre "noir", ils l'ont ressenti comme un livre qui, je ne sais pas, qui leur donnait envie de lutter, qui n'était pas un livre désespéré, et que justement peut-être en disant le désespoir, en disant le mal, en approchant le mal, c'est là qu'on s'en sortait... C'est quand même ce que j'ai voulu raconter : que mes amis qui sont morts, ou ceux que je ne connaissais pas, j'ai eu l'impression que justement ils n'étaient pas morts pour rien, et que c'était le silence des autres qui voulait que cette mort soit vraiment une mort définitive... Dans la première page, je parle de colera alegria, j'ai voulu écrire une colère joyeuse, parce que ceux qui sont morts, dont on n'a pas parlé, n'ont pas cessé de rire, n'ont pas eu peur d'affronter leur mal... Mais la vraie question c'est quand même celle que vous m'avez posée, vous me dites c'est un livre, évidemment c'est un livre mais on se dit quand même, même si on a écrit ça, qu'un livre c'est pas grand-chose quelquefois, on ne peut pas se contenter de se dire qu'on a écrit, parce que quand on a écrit un livre on se sent un peu "quitte" aussi avec ce qu'on a écrit... je crois qu'on écrit pour savoir ce que c'est qu'un livre...


Qu'est-ce qu'il vous a appris ce livre-là sur vous-même ?

Il m'a appris que j'étais encore en vie... je ne sais pas s'il m'a vraiment appris quelque chose sur moi-même... et il continue de s'écrire ce livre, peut-être qu'il m'apprend presque plus de choses maintenant, peut-être qu'il me met aussi au pied du mur maintenant, puisqu'on parlait du silence qui peut aussi entourer ce livre, se dire : qu'est-ce que je fais maintenant, par rapport à ce livre ? est-ce que je me dis : je l'ai écrit voilà ou est-ce que je le défends ?... Et les autres continuent à écrire ce livre, je crois qu'on écrit avant, on écrit pendant et on écrit après, on écrit même quand on n'écrit pas. Est-ce qu'il m'a appris quelque chose sur moi ? je ne sais pas si on attend d'un livre... c'est pas une psychanalyse, un livre... on n'attend pas d'écrire un livre pour apprendre des choses sur soi, je crois que c'est plus d'aimer qui vous apprend quelque chose sur soi... c'est la confrontation au mal aussi qui vous apprend quelque chose sur soi, je n'essaie pas de me chercher dans mes livres... je pense que quand on écrit il ne faut pas non plus avoir une idolâtrie de la chose écrite, il faut être assez humble aussi, il faut aller vers les mots mais les mots... il y a quelque chose de très impuissant dans les mots, j'ai toujours dit qu'on écrivait plutôt entre les mots que les mots eux-mêmes... en même temps il y a cette chose quand on a écrit de dire : c'est écrit, alors c'est écrit c'est fini, et moi je déteste ce qui est fini, je ne crois pas a la fin, je ne crois pas à la fin d'aimer quand on aime, et je ne crois pas à la fin d'un livre, je pense que ce livre je l'avais commencé avant, que je le continuerai après...


II n'y a pas de dernier mot...

Non... on aimerait...


Même pour le virus...

Vous savez le virus, je l'ai fait parler mais je ne le connais pas si bien que ça, je crois que celui qui a écrit le livre... qui n'est pas totalement là, parce que c'est quand même un grand problème de venir parler de son livre, d'un livre, peut-être d'un livre comme celui-là...


C'est pas vous Jean-Michel Iribarren... ?

Oui, mais... vous savez j'aime beaucoup Barbara et elle disait : quand je chante c'est moi et ce n'est pas moi alors c'est moi et ce n'est pas moi... C'est peut-être ça, la recherche de soi-même...


Et là c'est qui aujourd'hui qui est en face de moi... ?

Ecoutez, c'est celui qui a écrit le livre qui est dans un studio de radio et qui... qui écrit mieux vraisemblablement qu'il ne parle...


Ou l'inverse...

Qui parle mieux qu'il n'écrit ?...


C'est possible, non?

... oui, j'aime bien parler... j'aime bien parler de ce que j'écris... il faut trouver le mot, la chose qui va vous faire dévider la pelote, quand on parle... Vous savez, j'ai écrit un livre à propos des homosexuels qui sont morts et je sais qu'il y en a qui se sont dit : bon c'est très bien ce qu'il écrit mais ce n'est qu'un livre, lui il n'a pas milité, il n'a pas combattu, il est séronégatif en plus, ce n'est qu'un livre... ils n'ont pas tout à fait tort non plus mais ils ont tort aussi quand même, parce qu'un livre c'est quand même beaucoup, on ne peut pas dire que c'est tout mais c'est quand même beaucoup... peut-être que c'est ça aussi le silence sur ce livre, c'est de mésestimer la force d'un livre... parce qu'il y a une force des mots... et que les mots peuvent aller contre la mort, contre le mal...


Ça, vous le pensez ?...

ah oui si je le dis, quand même...


C'est une drôle de confiance que vous leur faites aux mots...

Oui mais regardez... Je sais que le personnage que j'appelle Tête Perdue dans le livre, mon meilleur ami, qui est mort en 1993, qui était écrivain, Hervé Loyez, je sais que cette histoire avec lui continue et je sais qu'elle a beaucoup continué par les mots, ce qui prouve bien que les mots ne sont pas que les mots... Si je devais un peu mieux expliquer : il y a eu dans beaucoup de choses qu'il a écrites et que j'ai écrites avant sa mort, des choses qui anticipaient sur notre histoire "après" la mort... vous savez quand on pense que quelqu'un est mort mais qu'il est quand même encore avec vous, on est bien désemparé devant cette présence qu'on sent et qui est quand même absente, elle est quelque part, si on en est persuadé elle est quelque part, elle peut être dans les mots... c'est peut-être un peu bizarre pour celui qui entendra ça... mais oui je leur fais confiance aux mots, c'est un fait, mais je ne les crois pas tout-puissants, et puis je pense qu'il y a les mots et puis il y a les mots, et puis il y a ce qu'il y a entre les mots, et puis il y a sa propre vie quand même, je pense qu'on ne peut pas dissocier les mots de sa propre vie, et que beaucoup d'auteurs écrivent, et sûrement moi aussi, sans se dire : où est ma propre vie dans tout ça ?... vous comprenez, si l'on est qu'une institution, ou quelqu'un qui vient faire son livre comme ça... les mots se vengent de ça, les mots attendent quelque chose dans votre propre vie... les mots exigent de vous, ou alors ils vous rattrapent...


Vous n'êtes pas le maitre du jeu (je)...

On l'est trop et pas assez, on l'est trop parce que rien ne vous empêche quand on écrit, on se sent un peu tout-puissant... on ne l'est pas assez parce que tout ce qu'on cherche à dire on ne l'atteint jamais, qu'on a vraisemblablement trop parlé de soi aussi, qu'on veut écrire pour se déporter de soi mais que les mots vous ramènent toujours à vous-même quand même... je ne sais pas si cela a un rapport quand vous me demandiez : se connaître soi-même...


Je vous ai demandé ça, moi ?

Oui... vous m'avez demandé si en écrivant je me connaissais mieux...


Je vous ai demande ce que le livre vous avait appris sur vous-même...

Ce n'est pas la même chose... ?


Pas tout à fait mais enfin ne chicanons pas... II y a les mots et il y a les noms, il ya les noms que vous avez donnés aux personnages: Tête Perdue, Sang Inquiet, Or Vif... comme des noms d'indiens...

C'est un peu ça oui... c'est parce que je ne voulais pas que ces noms soient... je voulais un peu qu'ils soient symboliques, emblématiques, que ce ne soit pas totalement la réalité, mais j'ai donné aussi d'autres noms... voilà, ça c'est fait comme ça, je n'étais pas à Paris d'ailleurs, je réfléchissais à ça et j'ai trouvé ces noms-là, Sang Inquiet, Tête Perdue, Petit Balafré... mais bon, il ne faut pas y voir plus qu'il n'y a...


Et les indiens ont subi toujours de terribles hécatombes...

Peut-être, c'est vrai que quand on écrit il y a beaucoup de choses qui... on se dit après : tiens j'ai écrit ça... effectivement, peut-être... peut-être c'est en ça qu'un livre n'est jamais fini parce qu'il s'inscrit dans un lien, alors pourquoi pas, oui, avec les indiens... c'est drôle ce que vous me dites parce que j'en parle presque plus dans le livre que je viens d'écrire, de l'histoire des indiens...


Vous écrivez sur les indiens...

Non. Mais j'ai écrit un livre là, mais je ne sais pas si c'est très intéressant qu'on en parle maintenant, à propos des deux petits Guinéens qui avaient été trouvés morts dans la soute de l'avion il y a un an... j'ai imaginé un dialogue entre moi et un des garçons de cet avion... et c'est vrai que là, il y a des histoires d'indiens oui...


Et là dans L'Insecte, il y a une ligne, le livre suit une ligne qui est une ligne de partage entre "eux" et "les autres"...

Alors il faut que je vous dise qui sont "eux" et qui sont "les autres"... ? C'est ça ?


Bien, oui... mais vous pouvez y renoncer aussi mais ça serait dommage parce que c'est quand même au centre du livre...

"Eux", ce sont les homosexuels qui sont morts du sida et ceux qui étaient à leur côté, les homosexuels qui étaient a leur côté; alors "les autres", c'est... comment dire ? C'est le grand problème des autres, les autres ! Beaucoup me disent : "les autres", c'est les hétérosexuels, je sais qu'on a envie que ce soient les hétérosexuels, c'est vrai que ponctuellement dans cette histoire du sida c'est les hétérosexuels mais pour moi ce livre ne tient pas si on dit que "les autres" ce sont les hétérosexuels, "les autres" c'est : tout le monde, et "eux" se sont détachés des autres dans cette histoire du sida, ils sont devenus : eux.


Tout le monde, c'est-à-dire...

Tout vivant. Tout vivant qui participe a cette perpétuation de la vie, à ce système qui ne veut pas regarder le mal... tout ce qui est complice de ce qui fait la vie...


Vous laissez entendre que "les autres", ce sont les vrais malades... ceux qui disent n'importe quoi, qui disent par exemple que le sida a tué l'amour...

Oui, cette chose du sida qui a tué l'amour, alors ça je... le problème, c'est qu'il faudrait que je raconte tout le livre si je me mets à parler de ça, parce que le sida n'a pas tué l'amour non, ça arrangeait de dire que le sida tuait l'amour mais le sida n'a jamais empêché personne d'aimer... je pense que ce qu'on appelle l'amour est quelque chose qui soutient aussi ce que j'appelle le système de la vie... aimer vraiment c'est aller contre la vie, vous savez cette histoire de dire que l'amour est plus fort que la mort... on nous fait croire que l'amour est partout alors que c'est faux, parce que s'il était vraiment partout la vie ne serait plus ce qu'elle est... aimer va contre la vie... et le sida n'a pas tué l'amour mais le dire c'était un moyen de laisser dans le silence la mort des homosexuels...


Le sida n'a pas tué le rire non plus...

Non, parce que tous ceux qui sont morts ont beaucoup ri, beaucoup vécu, sûrement bien plus que ceux qui sont vivants, et qu'on plaisantait de la mort... Un jour je me suis levé, à un de mes meilleurs amis je lui ai dit : "alors pas encore mort !"... il y a eu une extraordinaire dignité là-dedans... et beaucoup de vie... Moi, ce qui m'embête aujourd'hui, c'est que j'ai l'impression que, même chez les homosexuels, on ne veut pas parler de cette histoire du sida, parce que la vie aussi fonctionne comme ça, sur l'oubli... alors que je pense que, si on n'oublie pas, si on regarde le mal, si on regarde la mort, c'est là qu'on est vraiment vivant, je pense que c'est ceux qui oublient, ceux qui n'ont plus la mémoire, ceux-là sont morts... et ça se retrouvera...


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"L'envol"

 
lettres à ma mère - lettres de ma mère


(lettre à ma mère)

mercredi 28 mai 1980

Mon Jean-Mi.
Voici une photo de la maison que j'ai prise sur un album, elle est jolie et... il y a Kali ! Vraiment, il est sur toutes les photos de votre enfance ! Je vais essayer de retrouver la pellicule car la photo est bien-
Quel bonheur que ta venue ici, même fini, je ressens encore toute la douceur de s'être retrouvés tous les quatre. Je crois que l'on s'aime tous un peu de trop !
Le dîner d'hier a été très bien - très gai, on s'est couchés à 1h½, très tard... © »

Jean-Michel Iribarren


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