Jean-Michel Iribarren

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"Vie d'Ange"

 
résumé : vie de Ange Tournoyeur, qui à l'âge de 18 ans décide de mourir jeune, à l'heure qu'il choisira, seule réponse qu'il trouve pour se venger de l'horreur : Ange voulait mourir du temps de sa jeunesse. Sa volonté était à la mesure de la rage qu'il mettrait à vivre et qui sait à regretter la vie : il était le désordre à lui tout seul.

(extrait) « Claire aussi était impatiente. "Les Incorruptibles" sans Ange ce n'était pas vraiment ça. Ils attendaient depuis une heure lorsqu'enfin il arriva. Seul Antoine fit une remarque. Moins pour affronter Ange que pour éprouver la situation privilégiée qui était la sienne dans le groupe. Mais Ange désarmait les critiques. Édouard le sentit absorbé. Changé. Il expliqua son plan concernant Robert. Exécution prévue le lendemain. Claire derrière le comptoir écoutait en émettant parfois un commentaire. Là elle désapprouvait. "Tarik, Claire te regarde beaucoup ce soir" entonna Ange. Claire, la brune. Elle et "les Incorruptibles" s'étaient choisis d'un commun accord. Elle aimait les enfants, dans ses bras maternels. Après Antoine qui aimait toutes les femmes elle aurait bien voulu Tarik. "Son cul" gloussa-t-elle en rentrant dans la cuisine. Son grand regret c'était Ange. Elle avait compris vite. Il le savait. Claire était devenue sa mère plus qu'Odile. Il y pensait en haussant les épaules. Quand des clients grognaient parce que les garçons étaient trop bruyants, Claire folle de rage mettait les râleurs à la porte. "Quand j'aime, j'aime", en passant la main dans sa chevelure bouclée.
...........
Claire se leva et ferma son bar avant l'heure. Cette fumée partout, l'odeur qui présageait du reste et "les Incorruptibles" assommés et rieurs, c'était un peu gênant. Le nombre de fois où elle avait fermé plus tôt ! Elle avait dû en perdre comme ça des clients. Et tous ces sacrifices pour ce jour où ils ne seraient plus là ! Elle n'y pensait pas trop, quelquefois le soir en s'endormant ou alors le matin. Quand ça lui prenait au milieu de la nuit, elle repoussait bien vite la pensée ou alors elle ne se rendormait plus. Elle s'en voulait parfois d'avoir tout mis sur eux. Plus d'hommes ou presque. Elle s'était recyclée dans les gamins, pas désagréable mais plus ingrat, plus rare aussi. L'amour elle y pensait plus qu'elle ne le faisait. Elle se consolait en se disant que c'était toujours le cas. Elle, elle disait "toujours". À quarante-cinq ans elle savait de quoi elle parlait. Elle n'avait rien raconté aux garçons. Elle était là pour écouter. Ne pas confondre les rôles sinon y avait maldonne. Il lui semblait que certains d'entre eux la devinaient un peu. Elle avait eu cette impression tout de suite avec Mathieu. Mais était-ce bien vrai ? Ange, elle ne savait pas. Il paraissait avoir tout compris et en même temps trop dans l'instant, dans le plaisir ou en alerte. Où était-il ? Elle n'avait donc rien révélé de sa vie. Sa vie, c'était les hommes, c'était l'amour, alors qu'aurait-elle pu dire ? Trop banal, déjà vu. Unique, incompréhensible. Une série d'échecs lamentables pour payer des instants trop courts de jouissance, parfois d'amour mais jamais de bonheur. Dans les meilleurs moments elle pressentait le pire et elle y était un peu malheureuse. Son histoire c'était celle des chansons. Elle avait appelé son café "La Vie en rose" parce qu'au fond d'elle, c'est ça, elle y croyait toujours. Sinon, même avec ses mômes, elle aurait arrêté de tout donner. Elle allait encore passer à la caisse, de l'autre côté. "La petite mort", comme elle l'appelait. Une des rares confidences faites à Ange, un joint dans le nez. Mais finalement elle s'en foutait. Claire aimait l'amour, elle croyait à l'éternité. C'était écrit dans ses colères, dans les cheveux qui tombaient sur ses yeux, la vieille robe mauve qu'elle portait toujours. Une robe qu'elle avait tant aimée quand elle l'avait vue dans ce magasin du boulevard Beaumarchais qu'elle en avait acheté une et que son Jules lui en avait payé deux autres. Toujours l'amour. © »

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Vie d'Ange

L'œil gauche de Vladimir

Le violeur

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'œil gauche de Vladimir"

 
résumé : une nuit de Paris, noire, sans électricité, un homme et une femme sous les toits, un moine à la recherche d'un livre, un assassin, et Paris comme une femme veillant sur ses enfants.

(extrait) « La gare Saint-Lazare approchait. Les voies silencieuses. C'est là que Paris l'aperçut avant de s'en aller conclure l'affaire qui l'occupait. Elle avait vu l'obstination de son regard, cette obstination lui faisait un peu peur, comme tous ceux qu'elle voyait souffrir pour quelques clopinettes, des soleils pâles qui ne les éblouissaient jamais assez, ou bien ils y laissaient leur peau. C'était un peu de masochisme de sa part car elle l'aimait, cette obstination à la dérive. Elle lui avait donné ses plus beaux jours. "Il faut souffrir." Sur le point de partir, elle vit plus loin l'enfant. Si elle n'avait pas eu plus urgent, elle serait restée là pour assister à leur rencontre. Car elle en était sûre, l'enfant venait vers lui. Vladimir ne savait pas encore, il faisait un effort pour deviner la gare, imaginer les trains. Avant de s'en aller, elle regarda l'enfant. Il avait la peau mate d'un petit Espagnol. Ses yeux noirs étaient doux. Des yeux qui n'attendaient rien des hommes, c'est ce qu'il lui sembla. Ou si peu, un sourire, qu'on dise quelque chose. Sans être vraiment sûre, elle crut voir aussi de la dureté dans les yeux de l'enfant, mêlée à la douceur, curieux mélange. Elle n'avait plus le temps. Il tenait à la main un bâton et sur le dos, une guitare. A regret elle les abandonna.
L'enfant se mit à jouer. Vladimir se laissa guider par les notes et s'approcha de lui. Il ne distinguait rien. L'enfant s'arrêta presqu'instantanément et saisit son bâton. "J'étais parmi les enfants qui sont passés près de toi tout à l'heure. Ils sont allés plus loin pour semer la terreur. On ne sait pas nos noms, on voulait être bons, ce soir on a pris notre chance. On va renverser l'ordre s'ils nous laissent le temps." Maintenant Vladimir apercevait l'enfant. "Tu dois t'appeler Vladimir. Je suis Juanito." Qu'il sache son prénom n'étonna pas vraiment Vladimir. Les mystères il y était habitué. "Tu vas me faire la peau ?", lui demanda-t-il en riant. Il ne plaisantait pas. Il connaissait cette colère, il l'avait espérée, refusée en même temps, elle ne ferait pas de détail, rien ne l'apaiserait. "Pas toi, répondit Juanito, on va avoir besoin l'un de l'autre. Tu seras épargné, je ne suis qu'un enfant. La seule différence avec les autres, c'est que je vis la nuit." Il se remit à jouer, il avait l'air moqueur. Juanito s'arrêta de jouer plusieurs fois. Il lui expliqua ce qui s'était passé avec les autres enfants. Ils étaient entrés chez des gens, ils avaient défoncé des portes, il parlait de sang, de terreur. © »

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Amalia




"Le Violeur"

 
résumé : Deux ans de la vie d'Alexandre de Beaumanoir au collège Barbe Bleue, loin de Paris adoré, Alexandre le solitaire, différent, qui fera le chemin pour découvrir les mystères du château Barbe Bleue, de vie et de mort, jusqu'à trouver l'amitié, et la liberté toujours à recommencer.

(extrait) « Alexandre se redressa sur les planches de bois. C'est là qu'il vit l'aigle, plutôt qu'il l'entrevit, tout au bout du ponton, au ras de l'eau, il allait s'envoler, les ailes comme un rideau de velours cachaient le lac. Mais l'aigle ne bougeait pas. Alexandre non plus qui n'avait plus envie de dormir. Il s'attendait à le voir disparaître dans le noir ou bien se ruer vers lui. Quand il vit l'aigle s'avancer, les ailes repliées, son cœur se mit à battre plus fort. Il se sentit perdu, définitivement, mourir là, près du lieu où quelques jours avant il avait échangé sa fortune contre un rire qui avait transformé sa vie... Alors il s'allongea offert, le nez dans les quelques étoiles du ciel noir de Cap-Hosse. Il entendit l'oiseau approcher et le ponton craquait comme les arbres. Au moment où il sentit sa présence presqu'au-dessus de lui Alexandre ferma les yeux. L'aigle ne lui voulait pas de mal. Il était venu de Dieu sait où, de loin sans doute, pour le rencontrer lui dans cette forêt refuge des premiers jours, cet endroit à l'abri du mal qu'on lui faisait, où rien ne pouvait l'atteindre, il avait eu tort de se croire en danger, déjà il regrettait d'avoir trahi sa foi. La tête de l'aigle posée contre son cœur, il se souvint des fois où ici-même Francisco avait abandonné la sienne dans ses mains. Alors Alexandre refit les mêmes gestes, les doigts le long des ailes, douceur du souffle de l'oiseau contre la peau, son poids qui l'écrasait léger, la chaleur de son flanc. Comment était-il venu le trouver dans ce trou tout juste bon pour de vieux prêtres et des garçons qui n'y restaient jamais ? Alexandre avait appris à croire, il avait traversé des pays tellement inconnus qu'on se serait encore moqué de lui s'il en avait parlé, il se taisait, il avait tellement besoin d'être moins seul... Doucement Alexandre se dégagea de l'emprise de l'aigle qui se mit sur ses pattes. Il alluma son briquet et en profita pour prendre une cigarette... Il éteignit le briquet et l'oiseau reprit sa place contre lui. Alexandre se mit à lui parler tout bas, il lui raconta son histoire, il se confia si longtemps que des mots lui échappèrent, il devait parler le langage de l'aigle, s'ils s'étaient rencontrés c'est qu'ils se ressemblaient. Des oiseaux s'étaient mis à chanter, ce qu'ils ne faisaient jamais à cette heure-là, Alexandre ne s'aperçut pas que peu à peu son débit devenait plus lent, les mots s'espacèrent, il s'endormit avant de lui avoir tout dit. Au matin l'aigle s'était envolé... © »

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"H"

 
résumé : Après la mort de H à trente-cinq ans. Tout commence : "qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur".

(extrait) « (lettre de JM à H, 21 décembre 1987) Ce qui s'est passé samedi n'est pas grave, cette lettre n'est pas grave. Je pensais que tu me rappellerais vite et puis c'est tout. Mais j'avais déjà voulu t'écrire pour nos fameux 10 ans et aussi pour ton livre. Alors je t'écris aujourd'hui. Sereinement. Tu es ma seule force et même ces petits événements me font souffrir. Et ils arrivent toujours au mauvais moment.
La nuit où j'ai commencé ton livre, quand je l'ai eu posé et aussi en le lisant, je pensais beaucoup à toi, à nous 2. J'ai écrit ce que je ressentais parce que je sais que ces moments où l'on peut exprimer ce que l'on sent passent. Voilà ce que j'avais marqué sur un papier, tel quel : "Je crois que personne n'est plus dépendant que je le suis de toi. Pourtant c'est toi qui m'as fait libre. Je crache à la gueule du monde entier parce que je t'ai. Je suis grand et fier de toi, par toi. Et ma souffrance c'est de ne pouvoir le dire et que personne ne le saura jamais. Tu es au-delà des mots."
En lisant ça, ne va pas croire que tu m'aimes moins ou mal. Il ne faut pas te complaire dans tes faiblesses comme une fatalité. Tu m'aimes, tu aimes Mark, à ta façon. Peut-être y a-t-il moins d'amour dans un sens mais il y a peut-être aussi plus d'autre chose que chez moi. L'amour ce n'est pas que l'amour... en même temps mon amour n'est pas tout accepter, il est bien supérieur, j'ai réagi ainsi samedi pour nous, c'est aussi pour ça que l'on en est là. Je sais que tu souffres de cette sorte d'impuissance à aimer comme on t'aime. Mais dépasse-la. Pour moi. Pour Mark. Cela en vaut la peine. Notre amour doit nous rendre forts. La vie sera peut-être plus longue que tu ne le penses. Je suis sûr que nous ferons de grandes choses grâce à cette certitude que nous avons. Je suis convaincu de ton talent. Mais le talent n'est rien sans la persévérance. Ni l'amour.
Tu vois, je n'ai même pas envie de te parler de ces derniers temps où c'est vrai je te trouvais un peu égoïste de ne parler que de toi, sans trop t'inquiéter de ce qui m'arrivait aussi à moi. Cette sorte d'abandon de toi et donc de nous que tu avais. Si tu savais ce que je ressentais quand tu m'as dit au "Diable des Lombards" que tu sentais ne plus en avoir pour longtemps. "Il faudra t'y faire", tu m'as dit. Il ne faut pas me dire ça, pas comme ça, tu ne te rends pas compte.
Mon chéri il faut nous préserver. Nous sommes déjà arrivés bien loin. Mais chaque minute compte. Cet amour qui passe le temps est à ce prix. Essaie d'aimer comme tu l'écris si bien dans "Alba" ou quand tu parles de Julien et Jérôme. Et tu verras nous serons intouchables alors. Tous les 3. J'en suis arrivé maintenant, à ce propos, à tenir à nous 3 autant qu'à nous 2. J'aime Mark aussi. C'est indissociable.
Je vous attends tous les deux le 31 à Dax. Et merde à tout le reste ! Tu vois chez nous le temps n'a rien détruit, il nous a au contraire rapprochés. Et je ferai tout pour continuer. JM © »

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L'acharnement de soi-même

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"L'acharnement de soi-même"

 
résumé : une parenthèse dans la vie de Hugo, l'hôtel du Palais dans une ville qui ressemble à Amsterdam, la mer. Le cercle des amis de Hugo au Palais dont il est la lumière alors que lui-même essaie de survivre à la mort de Vincent. Cette ville où la chanteuse Bill Feria dit-on s'est suicidée dans la tour qui porte son nom désormais.

(extrait) « Je te reviens. Je ne serai pas parti pour rien. Te revenir comme on retourne à soi-même, dans ce noir où seulement je vois. Il n'y a pas de mots. L'instinct me commandait d'oublier. Pas toi, pas le noir, pas la mer. Je n'ai pas oublié Hugo. J'avais treize ans, je promenais la solitude, déjà ils se trompaient sur moi. De ton côté tu imaginais l'improbable, tu guerroyais sur des champs de bataille inventés, la musique faisait le reste, tu commençais ta vie d'artiste, tu t'éblouissais de solitude. Au cœur des solitudes il y eut cet amour, méconnaissable et méconnu. L'instinct, pouah ! J'ai fait le contraire de ce que j'aurais voulu. Quand je dis "je", je veux dire "ils". Ce "ils" qui résume le monde, sur lequel on crachait, ce "ils" qui prétendait aimer. Tu feras que jamais je n'oublie le sens, ce fil ténu qui lie la bête à l'homme, cette lumière comme la bougie que portait l'enfant, si faible qu'elle permit de voir, qu'elle évita le chaos. Nous ne nous sommes jamais résignés au chaos. On l'aimait sans jamais y succomber. Le chaos, c'est nous. Ce gouffre traversé. Nous ne pactisons que de loin. On recouvre de noir ce qui brille avec tant de morgue. On tend la main pour mieux préserver l'autre. Nous, jamais là où on aurait voulu. Tu ne voulais pas y aller, tu y es allé quand même. Je m'inventais une parenthèse. Des cygnes blancs d'hier aux minotaures de demain. Je veux en venir que sans toi il n'y aurait plus d'espoir. Que sans toi le bal serait fini, la main aurait sculpté pour rien, l'aube aurait pleuré des larmes inutiles. Elle est belle l'absence. Qu'on a nourrie de chair, de foutre, d'impuissance. Sans la vie nous n'aurions rien pu faire. Si on vomit la vie c'est qu'on en a partout. On en a pour dix mille ans encore. Toutes ces différences qui nous faisaient souffrir. Pour une nuit elles se sont rencontrées. Contraintes de se voir. Contraintes d'avoir peur. Sur la terrasse je suis parti te rejoindre. Je déteste la fin, il n'y en aura jamais, comment le leur montrer ? Un jour ils voient et le lendemain ils oublient. Il y a son regard, il n'ignore pas l'effroi, déjà il t'aime, sans quoi je n'aurais fait que rêver, et même rêver c'est toi. Elle est cruelle l'absence d'être à ce point facile. S'il me reste le monde, tu me restes. Mourir mais une autre fois. Quand mourir ne sera que déposer le masque. Je sais le décor, les habits, presque le texte. L'essentiel est ailleurs. Ici ou autre part ce sera toujours ailleurs, alors... Ils ne savent pas. Ton ailleurs j'en ai déjà les mains salies. Je ne verrai plus mes mains. Un jour je ne te verrai plus. Il n'y a pas que toi, il n'y a pas que moi. Ce jour-là tu m'apparaîtras à nouveau. Il y a dans le ciel un oiseau. Il semble que je sois le seul à le voir. Il vole, disparaît, il revient, il ressemble à un loup. De ma chambre je le guette chaque jour. Ne m'en veux pas, je repars, il m'attend, cet oiseau-là il a confiance en toi. Prépare-toi à le voir arriver, il appartient au silence et aux mers infinies, aime-le, dis-lui qu'un jour il pourra se poser, mais ne lui dis pas quand. © »

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"La solitude du Mal"

 
résumé : des meurtres sans explication, œil crevé et sable sur le sol, qui ressemblent au roman noir qu'écrit Léo Tirictiscu au moment où il rencontre Coutil, rencontre qui fera s'envoler la frontière entre le livre et sa vie.

(extrait)
« La gitane est vêtue de noir, grande, mince, le visage cuivré, les rides princières. Léo la trouve belle. Elle veut lire dans ses mains. Cinq cents pesetas. Il hésite, elle insiste, elle voit bien qu'il n'est pas comme les autres, lui il la regarde quand elle parle, il lui sourit. Qu'a-t-il à perdre si c'est pour lui faire plaisir ? Il disait que le destin n'est pas écrit d'avance. Que le destin s'arrange avec la liberté. Il tend sa main. Celle de la femme est douce, c'est une caresse. Elle se tait, longtemps. Enfin elle le regarde. Elle lui sourit et ses lèvres sur la main de Léo lui donnèrent un baiser. Elle s'en alla en laissant les cinq cents pesetas sur la table. Léo pense à la nuit qu'il va passer. Le couteau dans la poche, presque neuf et déjà vieux. Qui l'empêchera ? Depuis le meurtre de New York il n'y en a pas eu d'autres. Avec l'aide des Français, la police américaine a recherché Coutil. Elle ne l'a pas trouvé. Coutil est là, à chaque instant. Il a suffi de six mois, six mois pour que plus rien ne sépare. David est là, à chaque instant. La mort avait réuni David et Léo quand la vie n'était plus assez grande. C'est un peu pareil avec Coutil. Il leur fallait autre chose. Léo est fait pour vivre séparé. David lui avait écrit : "Notre éternité je l'ai peinte". Maintenant il est passé dans le tableau. David et Coutil ensemble. L'amour ne finit pas tant que la souffance ne finit pas. N'importe quelle souffrance, n'importe où, et c'est aimer qui ne finit pas. C'est ce qu'Angel avait voulu lui dire. En lui tendant la main, c'était ses propres mains que Léo réconciliait. A New York Coutil a tué pour lui. Mais qui tuait à Paris ? Coutil ? Probablement. Il sait ce que la femme ne lui a pas dit. Elle voulait lui parler de Coutil, avant, maintenant et demain. Et puis elle a compris que seul son roman possède le secret. A lui de le transmettre ou de l'enterrer à jamais. Angel était le meurtre. A lui seul il était la solution. Et puis il a écrit. Le contraire d'une rédemption. Ne pas s'exclure du mal. Léo l'apprit d'Angel. Tout s'est passé trop vite. Léo a l'impression de n'avoir pas quitté le Retiro, quand il y était venu pour réfléchir à son roman. Il se lève et part s'allonger plus loin dans le parc. Il s'endort. Lorsqu'il se réveille, c'est la nuit. Ses pas le ramènent vers l'Ange Déchu. La statue du Diable illuminée. Plantée haut sur l'une des ailes de l'Ange, l'ombre d'un pigeon ressemble à celle d'un aigle. Léo regarde à nouveau le visage de Satan. Il regarde et il voit. Comme il s'était trompé. Il avait cru que ce visage riait alors que sa beauté était emplie de peur. L'Ange suppliait les hommes de voir ce qu'il voyait. Il ne souriait pas, il voulait secourir. © »

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"Amalia"

 
résumé : Amalia Sané photographe, qui vit avec Tadzio le petit singe de Lisbonne, Amalia dont personne ne veut des photos et qui recherche pour se venger celui qui un jour lui a donné sa caméra (VL), Julien Rivière, le seul qui la comprend, le plus beau.

(extrait) « Julien se penche. Il caresse mes cheveux. Nos regards l'un dans l'autre sans se détourner. Longtemps comme ça. Le soleil pâlit et Julien me caresse encore les cheveux. On se regarde encore. Ma main s'est mis à voyager son visage. Le creux de ses oreilles. Son nez aux narines rebondies. A l'intérieur de ses narines. Longtemps aussi. Sous le pli de ses yeux. Là où c'est doux. Plus doux qu'ailleurs. Par-dessus les os des pommettes. J'appuie sur la chair. Son front moite. Mes doigts suivent les lignes. Ils reviennent en arrière. Son menton, à la racine des poils qui piquent mes doigts. Doucement puis de plus en plus vite. Il remue la tête en cadence de mes gestes. La nuit est tombée. Sa main est descendue sur mes lèvres. Et la mienne en même temps sur les siennes. Au-dessous de la lèvre inférieure. Au coin des lèvres. Dans l'espace en creux qui sépare le bas de son nez de la lèvre supérieure. C'est mon doigt qui le premier passe entre la lèvre inférieure et le bas de la mâchoire. C'est chaud comme Julien. Comme son haleine. C'est aquatique déjà. Ses doigts caressent ma langue. Sous la langue. J'ai resorti mon doigt. Mes deux mains prennent ses joues. Une main pour chaque joue qui la tire jusqu'à ce que le visage de Julien se déforme. Il me sourit avec ce visage déformé. Je ne lâche pas ses joues. Ses doigts sont remontés sur le dessus de ma langue. Ils avancent. Ils avancent de plus en plus profond. Les cinq doigts serrés avancent. Je tire sur ses joues. Il avance ses doigts encore. J'ai l'impression de vômir. Mais il n'y a rien sur la main de Julien que ma salive. Il ressort sa main pour la passer sur mon visage. Doucement. J'ai lâché ses joues. Il reste la marque de mes doigts. Il approche sa langue de sa main salivée qui parcourt mes joues et il lèche sa main et mes joues en même temps. J'ai posé mes doigts sur sa nuque au bas des cheveux noirs. J'entends battre. Je passe sur les côtés sur les veines. Il y a dans nos gestes le même rythme. La même lenteur. Nos deux lenteurs ensemble c'est une danse. Les lumières s'éteignent... © »

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Amalia




"L'Insecte"
Éditions du Seuil - collection Solo, dirigée par René de Ceccatty
 


résumé : monologue du virus du sida : On a beaucoup parlé de moi et pas d'eux.

(extrait) « car moi virus du sida à leur côté j'ai tout vu, à défaut de tout comprendre, je les ai vus eux : d'abord je les ai vus eux face à leurs "premières fois", leur premier mort, les premiers symptômes, les premiers hôpitaux, les premiers cimetières, ils ignoraient alors que ce n'était qu'un début, d'ailleurs ils n'y ont jamais pensé, ils n'ont jamais pensé à ce genre de choses comme désespérer, ou que c'était foutu, même la mort ils n'y pensaient pas comme les autres y pensent : ils disaient "la mort", ça c'est vrai ils disaient facilement "la mort", pas comme les autres qui ne le disent jamais qu'à regret, finalement le seul mot qui leur brûle les lèvres, eux ils disaient "la mort" mais ils pensaient la vie, ils se battaient comme des fous pour vivre, je ne sais pas : marcher encore, respirer encore, regarder encore le ciel, faire encore l'amour, et rire toujours, je disais donc leurs "premières fois" : au début, quand les autres ne m'avaient même pas encore trouvé de nom, quand on ne savait rien de moi- les autres disaient juste "cancer gay", ils perdaient pas de temps- au début ils mouraient comme des bêtes, sans savoir de quoi ils mouraient, n'en dire pas davantage : leurs visages au moment de mourir là comme des bêtes sans savoir de quoi ils mouraient, ces visages-là n'appartiennent qu'à eux, ils font partie de l'histoire, rien à dire là-dessus, tout le monde sait bien ces visages, la vérité c'est que tout le monde sait bien ces visages, alors juste dire cela : les autres n'ont pas bougé, rien... © »

article dans "Le Monde": https://archive.is/VyGL

Amazon: https://www.amazon.com/Linsecte-French-Edition-Jean-Michel-Iribarren/dp/2020407205

voir interview France Culture

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Matteo




"Yaguine"

 
résumé : dialogue entre JM et Yaguine, l'enfant malien mort caché dans la soute de l'avion qui devait le porter jusqu'à la France.

(extrait)
« Le monde reste incroyablement beau. Même la misère quand tu la regardes elle est belle, incroyablement belle. Pasolini assassiné mais les garçons de Rome s'embrassent dans les parcs la nuit, à deux pas de ce qu'il reste des dieux. On fait toujours l'amour, un beau couple c'est toujours bouleversant, rien n'y fait. Les écrivains écrivent, ils n'ont jamais été aussi nombreux et quand on sait ce que ça peut te coûter d'écrire, même une merde... La mort ne tue toujours pas l'amour. Ceux qui meurent sont beaux : l'infirmière disait d'Hervé sur son lit de coma qu'il ressemblait à un ange, tu as embrassé son front glacé à la morgue. Les enfants croient tout ce qu'on leur raconte, ou bien ils pleurent mais ça ne dure jamais. La mer a toujours de ces couleurs. Les gens écoutent encore les gens : va faire un tour dans les cafés, le matin à Paris. Les gens consolent encore les gens. Les femmes étendent encore le linge. Dans les banlieues il y a de ces femmes noires et comment elles regardent leurs enfants : les mères restent les mères, avec la peur. L'horreur non plus n'a pas disparu, on peut encore mourir de faim, ou dans une flaque de sang : les cris résonnent encore, partout, même en silence. Ni l'horreur, ni la révolte, tu connais des cœurs à éclater de révolte. Le monde reste incroyablement humain quand même.
Alors d'où ça vient ? Cette impression de fin du monde. © »

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"Undead"

 
résumé : autobiographie.

(extrait) « j'ai marché toute la journée, je sais plus où, dans ces grandes avenues où je sentais le souffle de ma vie, où ma vie était déjà là sans moi qui m'attendait, y avait en ce temps dans Paris une partie de moi qui me courait après, qui désarmait pas... vers le soir j'ai pris le chemin du retour, je suis monté dans un bus qui me ramènerait chez moi, rien avait changé, simplement j'avais arrêté de travailler le temps d'une journée, j'étais assis au fond du bus, à un moment j'ai regardé en face de moi : il devait avoir mon âge ou un peu moins, il était blond, il était magnifique de beauté, je lui ai jamais parlé, il sait pas qui je suis, je lui dois tout... c'est en le voyant lui, ce garçon blond qui avait je crois un manteau vert, qu'en une seconde j'ai basculé : vers moi, pour ce que j'ai toujours appelé l'acceptation, pas la résignation, l'acceptation des garçons, que ce serait ça et pas autre chose, que depuis toujours j'étais homosexuel, sale mot mais puisque c'est le mot : c'est ce que j'étais, en une seconde ça m'a paru magnifique de l'être, et stupéfiant d'avoir tant attendu, j'allais le dire à la terre entière, la terre entière allait le savoir, je voyais celui que j'étais déguerpir sans demander son reste, il reviendrait plus jamais, je le plantais là l'inaudible, il me laissait aucun regret, il me dégoûtait presque et avec lui tous ceux qui l'avaient forcé à rester inaudible... en même temps j'avais envie de leur dire merci à ceux-là, tous, les humiliateurs, les empêcheurs, je leur devrai toujours tout aux humiliateurs et aux empêcheurs, je leur devrai toujours cette seconde dans le bus, sans eux y aurait jamais eu cette seconde, ce moment où tout a basculé, où demain s'est écrit d'un seul coup, tout ce qui allait venir, j'en voudrai jamais au malheur comme les autres lui en veulent, le malheur m'a tout donné de jamais l'avoir accepté, les empêcheurs de jamais leur avoir cédé, cette seconde restera pour toujours indescriptible, y aura jamais de mots pour dire ce que c'est de devenir soi-même, ç'allait se voir physiquement le changement dû à cette seconde dans le bus, ç'allait se voir pour tout, je viens de cette seconde qui elle-même vient de si loin que je saurai jamais d'où : de l'enfance peut-être, de l'oppression que c'est l'enfance, que ce sera toujours et quelle que soit l'enfance, l'oppression que c'est la famille, que ce sera toujours et quelle que soit la famille, elle venait la seconde du garçon à la barque qui me souriait près du canal et que j'avais laissé repartir, de cet autre croisé devant un marchand de journaux, elle venait peut-être de Lucien quand il avait dit l'important c'est d'aimer, elle venait de la solitude, ces nuits passées seul avec Kali dans ses pattes et son flanc, de tous les regards assassins que j'avais dû affronter, elle venait du meurtre ma seconde, de tous ceux qui sont morts parce qu'ils ont jamais eu comme moi une seconde dans un bus une fin d'après-midi : elle venait de tous les autres, de lui le garçon blond qui saura jamais ce que je lui dois, ceux d'avant moi qui comme moi un jour s'étaient pas résignés, ceux d'après moi qui comme moi se résigneraient pas que le monde soit ce qu'il est, impitoyable et sans aucune raison, assassin et sans aucune raison, et nos bourreaux, un grand merci à nos bourreaux d'être ce qu'ils sont, on leur doit à nos bourreaux de pas leur ressembler, de pas aimer la vie qu'ils servent avec tant de zèle et sans aucune raison, qu'ils continueront de servir avec autant de zèle qu'avant et sans aucune autre raison que celle de faire des victimes, toujours davantage de victimes, elle venait ma seconde de Vincent et elle lui reviendrait, tout pouvait commencer. © »

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L'insecte

Yaguine

Undead

Wild Samuel

Géant

Rollercoaster trilogie

Matteo




"Wild Samuel"

 
résumé : Wild et Mathieu se connaissent à l'âge de onze ans, leur lien est si fort qu'ils peuvent même se retrouver dans leurs rêves. Mathieu meurt à vingt ans. Wild ne pourra se résigner à être séparé de lui et le recherchera même malgré lui, accompagné par Ankhchen, la femme mystérieuse et si proche à la fois qu'il retrouve à Berlin.

(extrait) « L'Aston Martin roule sur les flaques dans la nuit de Berlin. John conduit. L'orage est passé. Alexander Platz. Ils se taisent. Dans la voiture en l'attendant, elle a vieilli. Il a encore plus envie d'elle. Elle le sait. Ils le savent. Elle dit, cette Lydia, les femmes battues, les femmes, toutes les femmes, sans les femmes rien. Il se tait. Elle a dit qu'elle l'emmenait voir la mer. Il a toujours été d'accord pour la mer. L'Aston Martin passe pas loin du Berghain. Il se souvient. Une éternité. Mathieu n'était pas encore revenu à l'époque. Ni Ellen apparue, ou Sarah. Elle dit sans le regarder, tu es sûr ? Il dit, oui. L'Oberbaumbrücke à leur droite. Puis le siège d'Universal, là où ils ont répété avec les poètes. Il le lui dit. Elle demande s'il a un titre pour le disque. Altraum, peut-être, ou La muerte loca. La muerte loca, c'est bien, dit Ankhchen. Ils avancent lentement dans la Stralauer Allee. John n'a jamais conduit aussi doucement. Il les regarde dans le rétroviseur. Son beau regard. La voiture s'immobilise juste avant l'Eisenbrücke. A tout à l'heure, John, dit Ankhchen. Elle sort. Juste avant que Wild sorte à son tour, John lui dit, good night, Wild. Merci, John, il bafouille. Dehors la nuit est encore chaude, humide. Ils respirent la nuit mouillée, les pierres mouillées, la chaussée, les trottoirs, l'odeur de la ville après la pluie. Ils errent le long de ce qui reste du Mur. Il ne demande rien. Elle lui a pris la main, presque violemment. C'est ça la mer ? demande Wild en montrant le fleuve. Elle dit que oui, tu l'aimes n'est-ce pas ? Oui, parce que c'est là qu'il est le plus large, dit Wild, comme un port. Elle sort une cigarette, lui aussi. Tu m'emmènes où ? Je t'emmène où tu veux, mon petit Wild, là, derrière, si tu veux. C'est quoi ? Un petit hôtel de rien du tout mais de la chambre on verra l'eau, on verra tout. Il sent qu'il tremble. Il dit, d'accord. Ils écrasent leur cigarette. Main dans la main. Ils y vont. L'Aston Martin a disparu. L'homme de la réception, un jeune Noir, lui donne les clés. Madame Ankhchen, il dit. Elle passe devant lui dans l'escalier étroit. Il entend son souffle. Au premier étage, il dit, alors tu vas m'aider ? Au deuxième étage, elle prend son visage entre les mains et elle dit, oui, viens. La chambre huit est au troisième étage. Ils entrent. C'est une chambre de rien du tout. Elle ouvre la fenêtre. Il la rejoint. Ils regardent le fleuve, les autos qui passent, un couple qui se donne la main, puis encore l'eau, les bateaux, le pont, les lumières dans l'eau. Elle le déshabille lentement. Il tremble. Elle lui sourit. Tu ne vas pas t'évanouir, hein ? Il sourit et l'embrasse. Leur baiser dure, et dure encore. Wild, elle dit. Ils s'embrassent encore. Ils se touchent. Ses mains sur lui. Ses mains sur elle. Il ne voit que ses yeux. Elle commence à lui parler. Il l'entend même si elle ne dit rien. Sans lumière que celle de la nuit qui passe par la fenêtre ouverte sur l'eau. Leurs corps sur le lit. Il l'entend encore. Lui dans elle. Elle dans lui. A pleurer. Il l'entend dans leurs chavirements. Elle dit même, la muerte loca. Il entend aussi qu'elle l'entend, lui. Elle dit, mon petit Wild, tu es vraiment là ? Je suis là, aide-moi ! Non, débrouille-toi maintenant, il entend qu'elle dit en silence, en pleurs. Ils pleurent leur histoire. Leur jouissance. Plus rien. Wild retrouve Mathieu dans une salle de concert où ils sont déjà allés plusieurs fois. Une grande salle dans un bateau immense. Près de New York, ou dans le Pacifique, ils n'ont jamais su. Là autrefois ils ont entendu chanter Diana Ross. Cette nuit, c'est Lola Segui qui y chante. Il se réveille tard dans la matinée. Seul dans la chambre à la fenêtre ouverte. Sur un papier elle a écrit, à plus tard, mon petit Wild. © »

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L'insecte

Yaguine

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Wild Samuel

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Matteo




"Géant"

 
résumé : une heure dans la vie de trois personnages, la même heure. Vincent l'écrivain, dans sa chambre à Paris. Léa dans sa chambre d'hôpital où elle va mourir. Et Ben, le jeune cardinal noir au conclave de Rome qui élira le prochain pape.

(extrait) « (Ben) On appelle ça le dépouillement. Comme en démocratie. La politique m'a toujours intéressé, elle n'intéressait pas du tout mama. Le peuple, qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce que Vous dites le peuple ? Nous avons chacun notre feuille devant nous. Nous allons chacun marquer le nombre de suffrages, au fur et à mesure, pour moi, ou pour d'Angelo. Je n'ai pas envie de marquer quoi que ce soit. D'Angelo lui non plus n'a même pas son stylo à la main. J'ai mal au cœur. Je voulais régner sur ma vie. Et c'est la vie qui me rattrape, comme un train, je voudrais descendre, je voudrais revenir dans la fleur de savane, je voudrais être avec elle le soir devant la case, l'entendre se moquer des politiciens. Et de Vous. J'étais à Paris quand Laurent m'a annoncé sa mort. On n'avait plus de nouvelles d'elle. On l'a retrouvée, a dit Laurent, et j'ai compris. J'avais compris avant, on se connaissait trop bien elle et moi, j'avais compris que la minute de désespoir quotidienne cette fois avait duré plus d'une minute. Combien de temps va durer le dépouillement ? Elles sont lentes les vieilles biques, le bulletin de Fernandez à Spadolini, de Spadolini à Connelly qui annonce la première voix pour moi. Silence. L'orage a cessé tout à coup. On entendrait voler un ange. Elle m'appelait mon sauvage parfois, sa rose, et puis elle est morte. Pourquoi est-ce que je pense autant à elle ce soir ? Et en pensant à elle, je pense à Vincent et à Léa. Je sais combien ils étaient liés. Et après c'est le fils qui annonce la mort de la mère aux autres, cette cruauté d'être un fils. Visconti vient de me marmonner quelque chose, j'ai entendu le mot 'morte', je crois. Je ne lui réponds pas. Je voudrais sortir, courir, m'enfuir, recommencer à zéro, ailleurs, l'Eglise est un piège, j'ai peur de Vous perdre, je Vous aime, je ne suis rien sans Vous, je le comprends maintenant, je n'explique rien, je me refuse à expliquer. Léa m'a dit un jour, je ne sais plus bien, si à Paris, ou ici, à Rome, non, peut-être au jardin du Luxembourg, elle m'avait dit qu'elle se souvenait de moi à Trouville, j'étais très jeune, elle avait dit qu'elle me regardait et que je ne ressemblais pas à ce qu'on disait de moi, que j'avais la réputation d'être autoritaire mais que quand elle me regardait, elle voyait un enfant. Trouville, c'est là que j'ai fait mon stage diaconal, mais je n'ai jamais rencontré Léa là-bas... © »

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Rollercoaster trilogie

Matteo




"Rollercoaster trilogie"

 

premier roman : "Décal'âge"

résumé : Velma est veuve depuis un an. Alain, l'homme de sa vie, est mort. Elle décide de s'en aller à la recherche de son fils parti il y a dix ans aux Etats-Unis et dont elle n'a plus de nouvelles. Ce roman raconte la quête de Velma là-bas, loin de Paris.

(extrait) « Vous ne devriez pas fumer, c'est mauvais pour la santé.
Elle lève la tête.
Ils ont rendez-vous au bout de Christopher Street, face à l'Hudson, près de la fontaine, une sorte de petit square, tout petit, on peut s'asseoir au bord de la fontaine, c'est là, elle attend, le cœur bat, forcément il bat, en se jurant de ne pas pleurer mais elle le sent, elle ne pleurera pas, les larmes c'était avant, mais va savoir : surtout ne pas pleurer. Elle fume. Quand elle a appelé Matt hier pour le lui dire, voir son fils, Frédéric était à ses côtés, c'est lui qui a dit, demain. Elle ne pense plus à rien, juste qu'elle est là, que son voyage finit là, qu'elle a réussi, elle y pense sans y penser, elle pense à Matthew aussi, sans y penser. Vous ne devriez pas fumer, c'est mauvais pour la santé. Elle lève la tête. Pardon ? La première seconde elle ne l'a pas reconnu. Il a parlé en anglais, elle a répondu, excuse me? Le garçon est en sueur, il vient de courir. Oh mon Dieu c'est toi !
Elle aurait envie de le gifler, comme dans les films, pour le mal qu'il lui a fait, pour la mort de son père, pour l'enterrement où il n'était pas, pour la vie sans lui, pour Matthew, pour tout, mais, tu es un homme maintenant ! elle dit juste ça, il s'est assis à côté d'elle, il est essoufflé, et toi tu es toujours aussi belle.
Et puis ils se taisent. Il est devenu un homme oui, moins maigre, plus américain, les yeux, le regard, n'ont pas changé. Tu pleures ? elle demande. Il se tait. Il a posé la tête sur son épaule. Il la relève. Non, regarde, il a du mal à sourire. Il a les yeux un peu rougis mais il ne pleure pas. Tu mens, tu pleures, elle lui prend la main. Je ne mens jamais, demande-lui, à lui. Et voilà que Matthew s'insinue entre eux, il ne finira pas d'y être, entre eux deux, dans la bouche de Frédéric.
Tu me diras pourquoi ? C'est venu sans vouloir, tu me diras pourquoi. Pourquoi te le dire, tu es là maintenant, ma belle. Il ne pleure plus et elle, elle n'a pas pleuré. Il lui dit, ma belle. On va rester là comme des âmes en peine ? viens, je t'emmène, on ne se quittera plus, viens. Elle se lève, elle a cent ans. Il est plus grand qu'elle, elle ne le regarde pas, elle se recoiffe maladroite, on va où ? Suis-moi, je t'emmène sur la High Line. La High Line, l'ancienne voie du métro aérien reconvertie en promenade au-dessus de New York, pas loin de là, elle n'y est pas encore allée, elle voulait y aller avec eux. Alors il paraît que tu m'écoutes la nuit ? © »



deuxième roman : "Rollercoaster"


résumé : suite de "Décal'âge" : New York, Frédéric, Velma (sa mère), Matthew. Matthew vit avec Frédéric depuis douze ans, il est aussi l'amoureux de la mère de Frédéric. Frédéric fait une émission de nuit à la radio : Streetwalk, sous le nom de Jimmy Prince. Et il y a ceux qui l'écoutent la nuit dont les chemins se croisent, et parmi eux, Diego, le jeune immigré qui rencontre madame Soledad, et aussi celui qui a écrit à Jimmy une lettre avec le mot 'rollercoaster'... jusqu'au virus qui désole NYC... mais la cité revit quand même...

(extrait) « Matthew

Elle prend toujours un whisky. Enfin, c'était la première fois que j'allais chez elle mais comme au Pierre, un whisky. Matthew, passez me voir un jour, seul, et Diego et Jimmy ne m'en veuillez pas mais Matthew et moi avons de chers amis en commun, Patricia et Julian, ça me ferait du bien d'évoquer nos souvenirs avec Matthew, et Diego ne soyez pas jaloux. Pas du tout, a dit Diego en souriant. C'est impossible que Diego soit jaloux de choses comme ça, ils sont tellement liés l'un à l'autre, ça saute aux yeux tout de suite, cet amour. La vieille femme et l'enfant roi, comme dans ma nouvelle. Alors j'y suis allé. Tu me raconteras, a dit Frédéric. Elle était seule donc. C'est elle qui a ouvert. Je n'ai même pas vu sa gouvernante, cette Rosa. Matthew, vous me rendez heureuse. J'ai souri. Son grand appartement. J'imaginais la vie de Diego là, après les années difficiles, et sa vie à elle, là, après la mort de son fils. Elle nous l'a déjà dit, Frédéric et moi avons l'âge de son fils quand il est mort. Vous prenez un whisky ? J'ai décliné, je ne suis pas très porté sur l'alcool et je n'ai pas osé lui proposer un joint, kidding. Il y avait une tarte aux amandes, elle y a à peine touché. Les Holdridge étaient les meilleurs amis de mes parents. Et peut-être aussi ses meilleurs amis à elle, malgré la différence d'âge, ou à cause, je n'ai jamais adoré être avec des gens de mon âge en vieillissant, vous me direz je suis servie maintenant. Et elle a ri de son rire inimitable. Elle voulait parler d'eux mais elle a surtout parlé de son fils. Vous êtes écrivain, vous comprenez ces choses Matthew, les écrivains, les vrais j'entends, n'écrivent que sur la mort, même quand ils écrivent sur la vie, vous êtes d'accord, Matthew ? Diego m'avait prévenu, elle me dirait, vous êtes d'accord Matthew ? Et je l'étais. La mort c'est notre gagne-pain. J'aurais tant voulu assister à votre mariage, Patricia et Julian y étaient aussi n'est-ce pas ? Elle était très curieuse de ce que moi un garçon qui aime les filles soit avec un garçon qui aime les garçons. C'est plus simple vous croyez ? Je ne savais pas que répondre. J'ai dit qu'aimer n'était jamais simple. Ça non, a-t-elle dit, c'est même la seule chose compliquée et Dieu merci, avec mon Julio c'était simple pourtant mais j'ai dû oublier les complications, une vie si longue, vous savez, on oublie, il ne reste que ce qu'il reste. Elle a le cerveau d'une adolescente, elle se souvient contrairement à ce qu'elle dit, elle tirait sur sa cigarette, vous pouvez fumer un joint si vous voulez, je ne suis pas à ça près. J'ai sursauté et souri, elle sait tout. Mais je n'avais pas de quoi fumer sur moi et de toute façon je ne l'aurais pas fait, mes restes de bonne éducation. Je déteste les tabous, Matthew, surtout à mon âge ce serait ridicule. Je suis resté dîner, Diego n'était toujours pas rentré, il devait avoir son cours avec sa Marmelstein. J'ai enfin connu Rosa, Soledad a ouvert une bouteille de vin blanc, ou plutôt je l'ai ouverte. Elle avait commandé à son restaurant favori. J'ai toujours adoré les restaurants, c'est ma vie, imaginez tous ces restaurants avec Patricia et Julian. Nous aussi, j'ai dit, Frédéric les adore, et sa mère aussi. Vous me la présenterez n'est-ce pas, sa mère ? On a fini la soirée en parlant de Diego. C'est là que j'ai compris. Qu'elle mourrait sans lui, dans la seconde. J'ai compris, pas tant à ce qu'elle disait, non, ailleurs, quelque part, qu'elle en mourrait, survivre à Vicente avait empêché toute autre survie. Alors c'était comment ? m'a demandé Frédéric avant l'émission. Trop long pour te raconter en une minute, mais elle aimerait connaître ta mère. Et tu lui as raconté pour toi et maman ? C'est ça ! oui, dans tous les détails. Tu aurais dû, elle aime les livres, rien ne l'étonnerait. Il avait raison, et l'émission a commencé. Je me suis demandé si elle était en train de l'écouter. Et combien de temps il lui restait à vivre. © »





troisième roman : "Hotel Monroe"



résumé : suite de "Rollercoaster" : New York, Frédéric et les autres emménagent tous dans l'hôtel Monroe

(extrait) « Et oui elle en a parlé à Diego. Diego- ils étaient assis dans le salon, avant la lecture de L'amant de Marguerite Duras- Diego, vous savez cet hôtel Monroe, pas le nôtre, l'autre, je vous en ai parlé, celui dont m'a parlé Velma, elle vient de me dire qu'elle songe à l'acheter. Oh. Oui, oh, Diego, qu'en pensez-vous ? Je dois en penser quelque chose ? Bien sûr, Diego, nous sommes là pour penser vous et moi, surtout moi d'ailleurs, j'exerce mon cerveau pour ne pas avoir Alzheimer. Alzheiner ? si vous deviez avoir Alzheiner, ce serait déjà fait. Ah Diego, vous êtes si délicat, vous voulez dire que je suis trop vieille maintenant pour l'attraper ? Pas du tout, vous savez que je ne vous trouve pas trop vieille, au contraire, mais c'est un fait, à quatre-vingt-dix ans Alzheimer ce serait le bouquet. Probablement, probablement, mais le bouquet comme vous dites, ça arrive toujours sans prévenir, il faut se tenir sur ses gardes, je ne suis pas née de la dernière pluie. Ça non (chaque fois qu'elle dit qu'elle n'est pas née de la dernière pluie, ce qui est souvent, Diego trouve à chaque fois une réponse différente, quand il répond, parce que parfois il se contente de glousser, vous gloussez, Diego ?). Alors qu'en pensez-vous, il s'agit de la mère de Frédéric quand même, votre Jimmy, notre Jimmy, vous devez bien avoir une idée. Pour tout vous dire, je suis au courant, Frédéric et Matthew en ont parlé à James qui me l'a raconté pendant le cours de Marmelstein. Et alors ? Frédéric est tout à fait pour, il dit que sa mère le ferait pour son mari, le père de Frédéric, vous savez qu'il possédait une chaîne d'hôtels de luxe qui portait le nom d'elle. Oh je sais. Il dit qu'à lui aussi ça lui plairait, parce qu'il a toujours aimé les hôtels. Oui, comme moi, nous en avons parlé souvent au Plaza. Et puis il dit que cet hôtel-là, avec tous les livres, c'est l'occasion ou jamais, même si bien sûr il faudrait le visiter d'abord. Mais vous, Diego ? Moi je suis de l'avis de Frédéric, c'est tout, (elle pense, le contraire m'aurait étonnée), mais vous Soledad, qu'en pensez-vous ? C'est de cela que je voulais vous parler, mon cher enfant (il aime quand elle lui dit, mon cher enfant), vu tout ce que nous savons... Tout ce que nous savons ? Oui Diego, si vous m'interrompez sans arrêt, mon cerveau ne suivra pas, oui tout ce que nous savons, les hôtels, les livres, l'autre hôtel Monroe dont vous aviez rêvé et où nous sommes allés ensemble, la mort, tout ça... La mort ? Ah vous recommencez Diego ! la mort de son mari, le temps d'avant, vous comprenez ? Bien sûr. Et bien oui je trouve cela une excellente idée et j'ai même décidé de l'acheter avec elle, à la condition que vous soyez d'accord bien sûr. À votre... À mon âge Diego, à mon âge, nous ne pouvons pas faire nos vies vous et moi en pensant seulement à nos âges, le mien, ancestral, et le vôtre, le bel âge. Ce serait ma dernière aventure, vous voyez. Ou l'avant-dernière, vous voyez ce que je veux dire. Il voyait. Mais... vous avez l'argent ? Vous savez bien que oui, c'est vous qui vous occupez de mes affaires maintenant, mais laissons l'argent de côté, soyons bien élevés. Un hôtel donc ? Oui un hôtel, Diego, cet hôtel, avec Velma, la mère de votre Jimmy... écoutez, nous allons prendre un whisky, sauter la séance de lecture pour une fois, et nous essaierons d'avoir les idées claires. Ici ? Ici ou Plaza, au Plaza ce serait bien, un autre hôtel, vous êtes d'accord ? Il était toujours d'accord pour elle, pour les hôtels, pour les lectures, pour son fils mort. Dans la rue elle lui dit, le printemps approche, Diego, je revis, tout est une question de revivre, mon chéri. Oui, ma chérie, revivons. Et ils y allèrent, à pied, son bras sous le bras de l'enfant au bel âge. © »

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Matteo




"Matteo" (écriture en cours)
titre provisoire

 
résumé : deux longs voyages à 45 ans de distance

(extrait) « Nous somme donc rentrés à l'hôtel après notre tour sur le promontoire de l'île. Nous avons décidé de faire une machine de linge sale. Il y avait des machines tout près de notre étage, lavage et séchage. Je ne suis pas absolument sûr de la chronologie de cet après-midi-là mais peu importe. Laissons de côté le linge. Matteo était sur la terrasse. Moi dans la salle de bain. Je chiais. En m'essuyant je sens à nouveau quelque chose de dur près du trou. Je vais dans la douche me nettoyer. J'enduis mon doigt de savon, je me mets accroupi et j'enfonce le plus grand doigt, main droite, dans le cul : toucher rectal. C'était encore là, plus dur que jamais, côté gauche, comme un os, ce que tu veux, c'était là. État de panique ? je ne sais pas, vu que j'avais senti la même chose peu de jours auparavant. Mais je ne pouvais plus regarder ailleurs. J'avais quelque chose. Quoi ? Je ne savais pas. Dans ce genre de circonstances on ne pense pas vraiment au cancer, on y pense comme à beaucoup d'autres possibilités, on est pas médecin, on ne sait pas. Il reste l'intime conviction. Matteo me dira plus tard que décidément je connaissais bien mon propre corps. Quand je souffre de quelque chose dont j'ai déjà souffert je ne m'inquiète pas, pas trop. Quand c'est quelque chose d'inconnu, oui que je m'inquiète. Là c'était inconnu. Je m'inquiétais. Et au fond de moi, inconsciemment ou pas, appelle ça comme tu veux, je savais.
Je suis allé rejoindre Matteo sur la terrasse. Je me suis assis à sa gauche. J'ai allumé une cigarette. Et là je l'ai dit. Le doigt, le truc dur, et tout. Il a changé de visage. Il a dit : tu vois, si je pouvais là, me droguer, me repiquer avec la meth, là maintenant, pour oublier tout ça, je le ferais. Ce ne sont pas ses mots exacts, je ne me souviens pas des mots exacts, il y avait bien l'histoire de se piquer, ça oui. L'essentiel c'est qu'il me disait qu'il en avait marre, de mon hyponcondrie, qu'est-ce que tu as besoin de te mettre un doigt dans le cul pour voir, personne fait ça, il a dit ça aussi, il en avait marre qu'on lui gâche son voyage, lui qui avait eu tant de problèmes avant, qui avait tant souffert à Berlin d'être seul dans notre appartement pendant huit jours quand j'était à l'hôpital pour mon appendicite sans savoir si j'en survivrais, lui qui avait des problèmes permaments à s'occuper avec ses parents, lui qui était fort mais si fragile, qui avait des crises où il était méconnaissable, il voulait juste un mois ici en Australie sans rien, sans malheur, et voilà que moi je lui parlais de maladie, de choses dont on savait tous les deux qu'elles pourraient être graves. Et juste au moment où je lui ai parlé de ça, avant qu'il réagisse comme je viens de dire, à l'instant même où j'a dit ce qui s'était passé dans la salle de bain, toute la rambarde de notre terrasse, qui était une longue rambarde, toute, entièrement, a été recouverte d'oiseaux. Les oiseaux à crête jaune à l'instant précis où je l'ai dit, ont accouru sur notre terrasse, à la seconde près. Dix, quinze, je ne sais pas. C'était terrifiant. Quand on en a reparlé plus tard, nous n'avions pas la même interprétation. Matteo y avait vu comme une consolation, une protection. Moi j'y avais plutôt vu la mort, ou au moins le défi de la mort, encore une fois. Mais aujourd'hui encore je me demande le sens de ce qui s'est passé. Je les ai chassés à l'instant. L'arrivée de ces oiseaux avait donné à mes mots quelque chose de tragique qu'ils ne devaient pas avoir au départ, elle les avait élevés au niveau du drame antique. Les oiseaux partis, c'est là que Matteo a réagi comme je viens de dire. Voyant cela, j'ai rétropédalé. Ne t'inquiète pas, ça ne va pas nous gâcher le voyage. Et cela n'a pas gâché le voyage. J'ai pris sur moi. Cela n'a pas gâché mon voyage, cela l'a juste rendu romanesque, la preuve, j'en écris, comme dirait Duras. Et cela n'a pas gâché le sien, plus d'une fois il me dira comme il avait été heureux là-bas, pas au retour à Madrid, mais pendant le voyage oui. Il m'a demandé énervé ce que je voulais faire, si je voulais voir un médecin, ici, en Australie, j'ai dit que non, bien sûr que non. Alors nous avons fait un peu comme si rien ne s'était passé. Matteo est parti se baigner dans la mer, je suis resté dans la chambre. Ce serait la dernière fois que je me ferais une exploration rectale. La prochaine fois ce serait le médecin à Madrid qui la ferait. Que pensais-je de la réaction de Matteo ? J'y pense encore aujourd'hui. Il m'a dit récemment, j'en ai par-dessus la tête de ton cancer. Je suis un peu tombé des nues, n'est-ce pas la dernière chose à dire à un malade, je me retrouvais dans une solitude totale. Et puis je me suis dit qu'il ne disait pas qu'il en avait par-dessus la tête de moi ayant un cancer mais qu'il était en rage contre le cancer lui-même, ce qu'il nous faisait subir à tous les deux. Matteo me dit souvent qu'il ne veut pas parler parce que je ne vais pas le comprendre. Ce qui me blesse plus que tout. Je peux tout entendre, tout comprendre, tout pardonner même, et je pardonne tout à la longue, mais je ne supporte pas qu'il dise que je ne comprends pas, et puis c'est trop facile. Sait-il lui-même ce qu'il veut dire quand il dit des choses pareilles. Nous vivons ensemble depuis vingt-huit ans, je le connais comme on peut connaître celui qu'on aime : Matteo est un monstre d'égoïsme, on lui a toujours dit oui, un monstre d'égoïsme. Mais il faut aussi être égoïste pour vivre et pour donner. Il est aussi un monstre de fragilité, alors il se protège à sa manière. Et un monstre d'amour, derrière ce qu'il m'a dit sur la terrasse, ou après, il y a la peur panique d'être sans moi si je meurs, parce que j'ai treize ans de plus que lui. Nous vivons comme ça. Si tu ne veux pas souffrir, n'aime pas. L'amour c'est de survivre. Je n'ai jamais voulu abandonner cette idée que j'ai d'aimer. Que j'ai depuis toujours. Je ne saurai qu'à la fin, et encore, si j'ai eu raison ou si j'ai échoué. Aimer non plus c'est pas pour les mauviettes. Mais c'est ça qui me plaît. Et on est jamais seul sur les deux à aimer, jamais seul sur les deux à tirer l'amour vers l'éternité, on est deux, toujours. © »

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Matteo




"Parce qu'eux"
Éditions Saint-Germain-des-Prés
(et autres poèmes)

 



Sachez-le ! Rien n'est ici à sa place et tout y sonne juste. L'amour surgit de ces poèmes comme de rites impurs ("des anges y croisent des robes noires"), le désespoir affleure sans l'emporter jamais. Car..., là où le verbe nous entraîne, "l'écume au loin des vagues éclaire un peu ces lieux". Force et lucidité de la vie incarnées dans les mots.
(Hervé Loyez)

« (New York, dédié à Alfredo)

elle gronde
suffoque
t'appelle
je l'avais dans les yeux
je l'ai dans le ventre
l'amour me porte
Est-ce là où elle vivait ? je demande
- yes, répond l'homme
l'au-delà de Garbo
Ground Zero
gronde
Sa folie te prend
va !
dessous, dessus, maintenant, autrefois
: toujours
c'est LA ville
celle qui tremble à l'infini
la mer, la mère absolue
mal de mère
lumières de nuit, songe
en haut en bas
en bas brûlent les gens
dans l'enfer que c'est, la vie
elle gronde oui
pleure
elle se souvient
: Stonewall : résistance
parce qu'elle riait la folle
movies, mouvances
multicolore et noire
odeurs humaines
juive sauvée
on longeait le fleuve
on s'y précipitait
le soleil
marche amour, guide-moi,
traversons les ponts !
elle t'enchaîne
elle traverse la mer morte
terrains vagues
vagues humaines
corps de garçons
garçons maudits
écris !
la cinquante-deuxième rue
un ange à Central Park
un ange pour me guider
elle tue
elle dort lumière
elle dort reflets dans l'eau
elle ouvre tôt les yeux
: et c'est reparti
humaine, sauvage
Luna Park
direction : Coney Island
des immigrants, des visages
: entrez !
Manhattan Transfer
cinq types mangent un burger
poulet chinois
Chinatown chie
garçons agonisants
l'ange de Central Park pour les ressusciter
Stonewall, c'est partout
de l'or dans l'Hudson
les garçons de New York survivent
elle pue le fric
elle pue la misère
la sueur de l'eau
elle pisse le sang, memories
NYC
les beaux et les damnés
- elle gagne par chaos © »


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Parce qu'eux




France Culture : "Du jour au lendemain" par Alain Veinstein : "L'Insecte", de Jean-Michel Iribarren, éditions du Seuil, interview

Alain Veinstein : Vous êtes né en 58 Jean-Michel Iribarren et votre éditeur nous informe que vous avez exercé divers métiers dans la politique et le cinéma, la politique et le cinéma c'est pas tout à fait la même chose...

Jean-Michel Iribarren : II y a beaucoup de gens qui disent que c'est pareil, je ne sais pas... Vous voulez que je vous dise exactement ce que j'ai fait ?...


Dites ce que vous voulez, vous êtes libre...

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de choses... le parcours qui m'a mené a l'écriture a été long... j'ai commencé à écrire tard, à l'âge de 30 ans à peu près et je crois que ce que j'ai fait avant n'a pas franchement d'intérêt... ce qui est intéressant, c'est que tout ça menait à l'écriture, que l'écriture était déjà là même quand je n'écrivais pas, que mon meilleur ami, dont je parle dans le livre, lui, voulait écrire depuis qu'il était petit, ça a été long...


Et vous c'est une décision plus tardive ?

Ce n'a pas été une décision, c'est toujours une chose qui m'a étonné... J'ai toujours voulu, ça paraît un peu bête à dire comme ça, je ne sais pas : trouver sa place, m'exprimer dans une chose artistique, et ça a pris des chemins contournés, j'ai fait de la radio, j'ai voulu être comédien, et cette place je ne la trouvais pas... j'ai même tourné un rôle dans un moyen métrage de Jean-Luc Godard, et je crois que ça date de là, je me suis dit : c'est vraiment lui qui crée quelque chose, moi rien... alors je me suis dit qu'est-ce qu'il me reste ? il me reste écrire, alors j'ai écrit... parce que ce livre, c'est quand même pas le premier que j'ai écrit, c'est le premier publié mais c'est pas le premier que j'ai écrit.


J'allais vous poser la question

J'en ai écrit beaucoup...


Et pourquoi n'ont-ils pas été publiés... d'après vous ?

C'est très difficile que l'auteur dise ça, parce que s'il dit : c'est la faute des autres, on va dire c'est facile... je crois que le chemin qui mène de toute façon à une certaine reconnaissance, il est long et j'ai toujours dit que tout le temps que j'ai écrit sans être publié, j'avais une extraordinaire liberté, je crois que peut-être je n'aurais pas écrit L'Insecte si je n'avais pas été autant refusé, parce que j'ai vraiment été extraordinairement refusé, partout... j'ai rencontré des gens qui me disaient en substance : c'est bien ce que vous faites mais on ne va pas l'éditer ou... enfin il y avait toujours des raisons, honnêtes ou moins honnêtes, je n'en sais rien... je n'en sais rien, c'est difficile parce que maintenant je suis publié, je suis dans une maison d'éditions, alors je ne peux pas non plus cracher dans ma propre soupe, mais en même temps pourquoi pas...


Vous êtes publié mais en même temps, avec ce premier livre publié, vous faites une expérience dont vous m'avez parlé par écrit, puisque vous m'avez envoyé votre livre avec une lettre, une longue lettre, bien intéressante, vous faites l'expérience du silence, vous êtes heurté, c'est le mot que vous employez, au silence qui a accompagné la sortie de ce livre qui est sorti il y a 2-3 mois, et depuis 2-3 mois pas assez d'articles selon vous, pas assez de retentissement médiatique...


Non, il n'y a pas que ça, parce que si ce n'était que ça... On m'a dit aussi que c'était le propre de tout auteur de se heurter, quand il a écrit, à un certain silence... vraisemblablement... Mais ce livre parle du silence, et en l'écrivant, et dans ce que j'ai écrit, j'ai dit qu'il se heurterait au silence... j'avais un peu anticipé le silence parce que je croyais qu'il ne serait pas publié, alors il l'a été, et même à bras ouverts, de manière presque un peu inquiétante, et le silence c'est plutôt après, ce n'est pas un silence total, c'est un silence sournois... Ce livre je m'attendais à ce qu'il soit - peut-être naïvement, alors que ce que j'ai écrit n'est, je crois, pas naïf, mais c'est peut -être ce qui prouve que je suis encore dans la vie dans ce qu'elle peut avoir de... je ne sais pas comment dire... - donc les gens qui auraient dû soutenir ce livre ne le soutiennent pas, on me dit qu'ils ne savent pas comment en parler...


Et vous pensez qu'un livre ne peut pas se défendre tout seul...

Oui... oui, à la limite c'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux, sûrement même ce qui pourrait lui arriver de mieux, parce que je pense que quelquefois dans la manière dont on défend un livre il y a beaucoup de malentendus aussi... mais c'est difficile pour un livre de se défendre tout seul, je ne sais pas si c'est plus difficile aujourd'hui qu'avant... mais le problème d'écrire, c'est qu'on est très libre quand on écrit, presque trop, presque trop parce qu'on est quand même coupé d'une certaine réalité, même si c'est bien aussi de s'en couper de cette réalité, parce que peut-être si on n'en était pas coupé on n'écrirait pas, et peut-être qu'on est plus proche d'une réalité plus essentielle... mais en même temps quand ce livre est écrit, il a besoin des autres, il a besoin d'être défendu, moi depuis 2-3 mois je me pose la question : est-ce qu'un auteur doit vraiment défendre ce qu'il a écrit ? c'est une question... en fait je réponds toujours oui, il faut défendre ce qu'on a écrit... mais peut-être que l'on devrait laisser les mots... et puis tant pis s'il y a le silence, peut-être qu'on devrait se résoudre à ça... je crois qu'il y a un orgueil aussi de l'écrivain qui est mal placé, il y a une envie de reconnaissance, de gloire, de gloire oui, enfin de gloire c'est exagéré, qui est mal placée aussi, qui est mal placée mais en même temps si on a écrit c'est parce qu' on a envie que ses mots "passent", les mots qui ne "passent" pas ils meurent, et moi je parle du silence alors si ce livre reste dans le silence, c'est aussi un échec du livre.


C'est un livre, c'est le moins qu'on puisse dire, qui crée un trouble... chez le lecteur...

C'est-à-dire...


L'Insecte, là, que vous publiez dans la collection de René de Ceccatty, Solo, parce que d'abord on ne sait pas si c'est un roman, ou si c'est un récit autobiographique...

C'est déjà son problème, pour ceux qui seraient chargés de le défendre... c'est un livre qui ne rentre pas dans une catégorie, c'est pas un essai, ça pourrait l'être, c'est pas vraiment un témoignage mais ça l'est aussi, alors au bout du compte je dis que c'est un roman, je pense qu'à partir du moment où j'ai fait parler le virus du sida...


Oui, parce que ça, c'est l'autre élément du trouble, c'est que dans ce livre-là, et à ma connaissance il n'y en a pas beaucoup qui en font autant, vous donnez la parole au mal, qui aujourd'hui en effet est le mal absolu, le mal qui à l'intérieur même du roman tue les personnages...

Il les a tués déjà... oui... est-ce que c'est le mal absolu ?... Ce qui est écrit aussi dans le livre, c'est que le mal absolu, c'est peut -être de ne pas regarder le mal...


L'indifférence...

Oui, l'indifférence... mais l'indifférence quelquefois ça n'est pas voulu, alors qu'il y a aussi une volonté de ne pas regarder le mal, il y a une forme d'organisation qui est basée, bâtie sur : ne pas regarder le mal... Ce que j'ai essayé d'écrire, c'est que ce qui fonde la vie, c'est aussi de ne pas regarder le mal, que tout se ramène finalement à ça... Le virus du sida, le pauvre, il a fait son travail de virus du sida et si je lui ai donné la parole c'est parce que justement je me suis dit que personne ne pouvait raconter, que j'en étais là, que personne ne pouvait raconter ce qui s'était passé et que justement celui qui pourrait le mieux le dire, ce serait le virus du sida... mais à partir de là on est quand même dans un romanesque, c'est pour ça qu'on peut dire que c'est aussi un roman mais c'est vrai que je ne raconte pas vraiment une histoire...


Non, c'est pas vraiment un roman à l'eau de rose... donc, il parle, il monologue, ce virus dans un livre écrit par un autre, un certain Sang Inquiet, qui est séronégatif, et qui vit avec Or Vif...

Sang Inquiet, c'est celui qui écrit le livre... donc c'est moi... et Or Vif, c'est la personne avec laquelle je vis, oui...


Sang Inquiet, c'est de l'encre noire...

Qu'est-ce que vous voulez dire ?


II est très noir...

Je ne crois pas.


... par son inquiétude même...

Non, ce qui est noir c'est justement de ne pas être inquiet, alors franchement je trouve que les gens qui vivent sans être inquiets sont... inquiétants... et qu'est-ce que ça veut dire être noir ?...


Noir comme l'encre...

Mais encore...


l'encre de l'écriture de ce livre... parce que c'est tout de même un livre...

ah oui, c'est un livre...


un livre ça ne s'écrit pas avec rien, ça s'écrit avec son sang, c'est-à-dire avec de l'encre...

Oui mais ça reste des mots... on ne sait pas en fait ce que c'est... et quand on a écrit un livre, on se dit que si ce n'est qu'un livre c'est pas la peine, si ce n'est qu'un livre...


Et qu'est-ce que ça peut être d'autre...

Peut-être qu' on écrit aussi pour le savoir... je crois qu' on se pose tout le temps la question... mais vous me disiez c'est noir, je sais que les gens qui ont aimé ce livre ne l'ont pas ressenti justement comme un livre "noir", ils l'ont ressenti comme un livre qui, je ne sais pas, qui leur donnait envie de lutter, qui n'était pas un livre désespéré, et que justement peut-être en disant le désespoir, en disant le mal, en approchant le mal, c'est là qu'on s'en sortait... C'est quand même ce que j'ai voulu raconter : que mes amis qui sont morts, ou ceux que je ne connaissais pas, j'ai eu l'impression que justement ils n'étaient pas morts pour rien, et que c'était le silence des autres qui voulait que cette mort soit vraiment une mort définitive... Dans la première page, je parle de colera alegria, j'ai voulu écrire une colère joyeuse, parce que ceux qui sont morts, dont on n'a pas parlé, n'ont pas cessé de rire, n'ont pas eu peur d'affronter leur mal... Mais la vraie question c'est quand même celle que vous m'avez posée, vous me dites c'est un livre, évidemment c'est un livre mais on se dit quand même, même si on a écrit ça, qu'un livre c'est pas grand-chose quelquefois, on ne peut pas se contenter de se dire qu'on a écrit, parce que quand on a écrit un livre on se sent un peu "quitte" aussi avec ce qu'on a écrit... je crois qu'on écrit pour savoir ce que c'est qu'un livre...


Qu'est-ce qu'il vous a appris ce livre-là sur vous-même ?

Il m'a appris que j'étais encore en vie... je ne sais pas s'il m'a vraiment appris quelque chose sur moi-même... et il continue de s'écrire ce livre, peut-être qu'il m'apprend presque plus de choses maintenant, peut-être qu'il me met aussi au pied du mur maintenant, puisqu'on parlait du silence qui peut aussi entourer ce livre, se dire : qu'est-ce que je fais maintenant, par rapport à ce livre ? est-ce que je me dis : je l'ai écrit voilà ou est-ce que je le défends ?... Et les autres continuent à écrire ce livre, je crois qu'on écrit avant, on écrit pendant et on écrit après, on écrit même quand on n'écrit pas. Est-ce qu'il m'a appris quelque chose sur moi ? je ne sais pas si on attend d'un livre... c'est pas une psychanalyse, un livre... on n'attend pas d'écrire un livre pour apprendre des choses sur soi, je crois que c'est plus d'aimer qui vous apprend quelque chose sur soi... c'est la confrontation au mal aussi qui vous apprend quelque chose sur soi, je n'essaie pas de me chercher dans mes livres... je pense que quand on écrit il ne faut pas non plus avoir une idolâtrie de la chose écrite, il faut être assez humble aussi, il faut aller vers les mots mais les mots... il y a quelque chose de très impuissant dans les mots, j'ai toujours dit qu'on écrivait plutôt entre les mots que les mots eux-mêmes... en même temps il y a cette chose quand on a écrit de dire : c'est écrit, alors c'est écrit c'est fini, et moi je déteste ce qui est fini, je ne crois pas a la fin, je ne crois pas à la fin d'aimer quand on aime, et je ne crois pas à la fin d'un livre, je pense que ce livre je l'avais commencé avant, que je le continuerai après...


II n'y a pas de dernier mot...

Non... on aimerait...


Même pour le virus...

Vous savez le virus, je l'ai fait parler mais je ne le connais pas si bien que ça, je crois que celui qui a écrit le livre... qui n'est pas totalement là, parce que c'est quand même un grand problème de venir parler de son livre, d'un livre, peut-être d'un livre comme celui-là...


C'est pas vous Jean-Michel Iribarren... ?

Oui, mais... vous savez j'aime beaucoup Barbara et elle disait : quand je chante c'est moi et ce n'est pas moi alors c'est moi et ce n'est pas moi... C'est peut-être ça, la recherche de soi-même...


Et là c'est qui aujourd'hui qui est en face de moi... ?

Ecoutez, c'est celui qui a écrit le livre qui est dans un studio de radio et qui... qui écrit mieux vraisemblablement qu'il ne parle...


Ou l'inverse...

Qui parle mieux qu'il n'écrit ?...


C'est possible, non?

... oui, j'aime bien parler... j'aime bien parler de ce que j'écris... il faut trouver le mot, la chose qui va vous faire dévider la pelote, quand on parle... Vous savez, j'ai écrit un livre à propos des homosexuels qui sont morts et je sais qu'il y en a qui se sont dit : bon c'est très bien ce qu'il écrit mais ce n'est qu'un livre, lui il n'a pas milité, il n'a pas combattu, il est séronégatif en plus, ce n'est qu'un livre... ils n'ont pas tout à fait tort non plus mais ils ont tort aussi quand même, parce qu'un livre c'est quand même beaucoup, on ne peut pas dire que c'est tout mais c'est quand même beaucoup... peut-être que c'est ça aussi le silence sur ce livre, c'est de mésestimer la force d'un livre... parce qu'il y a une force des mots... et que les mots peuvent aller contre la mort, contre le mal...


Ça, vous le pensez ?...

ah oui si je le dis, quand même...


C'est une drôle de confiance que vous leur faites aux mots...

Oui mais regardez... Je sais que le personnage que j'appelle Tête Perdue dans le livre, mon meilleur ami, qui est mort en 1993, qui était écrivain, Hervé Loyez, je sais que cette histoire avec lui continue et je sais qu'elle a beaucoup continué par les mots, ce qui prouve bien que les mots ne sont pas que les mots... Si je devais un peu mieux expliquer : il y a eu dans beaucoup de choses qu'il a écrites et que j'ai écrites avant sa mort, des choses qui anticipaient sur notre histoire "après" la mort... vous savez quand on pense que quelqu'un est mort mais qu'il est quand même encore avec vous, on est bien désemparé devant cette présence qu'on sent et qui est quand même absente, elle est quelque part, si on en est persuadé elle est quelque part, elle peut être dans les mots... c'est peut-être un peu bizarre pour celui qui entendra ça... mais oui je leur fais confiance aux mots, c'est un fait, mais je ne les crois pas tout-puissants, et puis je pense qu'il y a les mots et puis il y a les mots, et puis il y a ce qu'il y a entre les mots, et puis il y a sa propre vie quand même, je pense qu'on ne peut pas dissocier les mots de sa propre vie, et que beaucoup d'auteurs écrivent, et sûrement moi aussi, sans se dire : où est ma propre vie dans tout ça ?... vous comprenez, si l'on est qu'une institution, ou quelqu'un qui vient faire son livre comme ça... les mots se vengent de ça, les mots attendent quelque chose dans votre propre vie... les mots exigent de vous, ou alors ils vous rattrapent...


Vous n'êtes pas le maitre du jeu (je)...

On l'est trop et pas assez, on l'est trop parce que rien ne vous empêche quand on écrit, on se sent un peu tout-puissant... on ne l'est pas assez parce que tout ce qu'on cherche à dire on ne l'atteint jamais, qu'on a vraisemblablement trop parlé de soi aussi, qu'on veut écrire pour se déporter de soi mais que les mots vous ramènent toujours à vous-même quand même... je ne sais pas si cela a un rapport quand vous me demandiez : se connaître soi-même...


Je vous ai demandé ça, moi ?

Oui... vous m'avez demandé si en écrivant je me connaissais mieux...


Je vous ai demande ce que le livre vous avait appris sur vous-même...

Ce n'est pas la même chose... ?


Pas tout à fait mais enfin ne chicanons pas... II y a les mots et il y a les noms, il ya les noms que vous avez donnés aux personnages: Tête Perdue, Sang Inquiet, Or Vif... comme des noms d'indiens...

C'est un peu ça oui... c'est parce que je ne voulais pas que ces noms soient... je voulais un peu qu'ils soient symboliques, emblématiques, que ce ne soit pas totalement la réalité, mais j'ai donné aussi d'autres noms... voilà, ça c'est fait comme ça, je n'étais pas à Paris d'ailleurs, je réfléchissais à ça et j'ai trouvé ces noms-là, Sang Inquiet, Tête Perdue, Petit Balafré... mais bon, il ne faut pas y voir plus qu'il n'y a...


Et les indiens ont subi toujours de terribles hécatombes...

Peut-être, c'est vrai que quand on écrit il y a beaucoup de choses qui... on se dit après : tiens j'ai écrit ça... effectivement, peut-être... peut-être c'est en ça qu'un livre n'est jamais fini parce qu'il s'inscrit dans un lien, alors pourquoi pas, oui, avec les indiens... c'est drôle ce que vous me dites parce que j'en parle presque plus dans le livre que je viens d'écrire, de l'histoire des indiens...


Vous écrivez sur les indiens...

Non. Mais j'ai écrit un livre là, mais je ne sais pas si c'est très intéressant qu'on en parle maintenant, à propos des deux petits Guinéens qui avaient été trouvés morts dans la soute de l'avion il y a un an... j'ai imaginé un dialogue entre moi et un des garçons de cet avion... et c'est vrai que là, il y a des histoires d'indiens oui...


Et là dans L'Insecte, il y a une ligne, le livre suit une ligne qui est une ligne de partage entre "eux" et "les autres"...

Alors il faut que je vous dise qui sont "eux" et qui sont "les autres"... ? C'est ça ?


Bien, oui... mais vous pouvez y renoncer aussi mais ça serait dommage parce que c'est quand même au centre du livre...

"Eux", ce sont les homosexuels qui sont morts du sida et ceux qui étaient à leur côté, les homosexuels qui étaient a leur côté; alors "les autres", c'est... comment dire ? C'est le grand problème des autres, les autres ! Beaucoup me disent : "les autres", c'est les hétérosexuels, je sais qu'on a envie que ce soient les hétérosexuels, c'est vrai que ponctuellement dans cette histoire du sida c'est les hétérosexuels mais pour moi ce livre ne tient pas si on dit que "les autres" ce sont les hétérosexuels, "les autres" c'est : tout le monde, et "eux" se sont détachés des autres dans cette histoire du sida, ils sont devenus : eux.


Tout le monde, c'est-à-dire...

Tout vivant. Tout vivant qui participe a cette perpétuation de la vie, à ce système qui ne veut pas regarder le mal... tout ce qui est complice de ce qui fait la vie...


Vous laissez entendre que "les autres", ce sont les vrais malades... ceux qui disent n'importe quoi, qui disent par exemple que le sida a tué l'amour...

Oui, cette chose du sida qui a tué l'amour, alors ça je... le problème, c'est qu'il faudrait que je raconte tout le livre si je me mets à parler de ça, parce que le sida n'a pas tué l'amour non, ça arrangeait de dire que le sida tuait l'amour mais le sida n'a jamais empêché personne d'aimer... je pense que ce qu'on appelle l'amour est quelque chose qui soutient aussi ce que j'appelle le système de la vie... aimer vraiment c'est aller contre la vie, vous savez cette histoire de dire que l'amour est plus fort que la mort... on nous fait croire que l'amour est partout alors que c'est faux, parce que s'il était vraiment partout la vie ne serait plus ce qu'elle est... aimer va contre la vie... et le sida n'a pas tué l'amour mais le dire c'était un moyen de laisser dans le silence la mort des homosexuels...


Le sida n'a pas tué le rire non plus...

Non, parce que tous ceux qui sont morts ont beaucoup ri, beaucoup vécu, sûrement bien plus que ceux qui sont vivants, et qu'on plaisantait de la mort... Un jour je me suis levé, à un de mes meilleurs amis je lui ai dit : "alors pas encore mort !"... il y a eu une extraordinaire dignité là-dedans... et beaucoup de vie... Moi, ce qui m'embête aujourd'hui, c'est que j'ai l'impression que, même chez les homosexuels, on ne veut pas parler de cette histoire du sida, parce que la vie aussi fonctionne comme ça, sur l'oubli... alors que je pense que, si on n'oublie pas, si on regarde le mal, si on regarde la mort, c'est là qu'on est vraiment vivant, je pense que c'est ceux qui oublient, ceux qui n'ont plus la mémoire, ceux-là sont morts... et ça se retrouvera...


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"L'envol"

 
lettres à ma mère - lettres de ma mère


(lettre de ma mère)

26 juin 1996

Mon chéri
Je ne peux résister au plaisir de t'envoyer cette photo de ta maman en uniforme d'été à Ste Marie à Arcachon !! Je m'y trouve très mignonne...
Tendresse, j'aime partager avec toi ce qui me touche-
Maman
J'espère bon résultat Sciences Pô pour Alfredo ©


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