Jean-Michel Iribarren

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"Vie d'Ange" 1990

 
résumé : vie de Ange Tournoyeur, qui à l'âge de 18 ans décide de mourir jeune, à l'heure qu'il choisira, seule réponse qu'il trouve pour se venger de l'horreur : Ange voulait mourir du temps de sa jeunesse. Sa volonté était à la mesure de la rage qu'il mettrait à vivre et qui sait à regretter la vie : il était le désordre à lui tout seul.

(extrait) « Cette fois ça y est, je pars. Eric je pense à toi. A ce spectacle immonde que tu m'avais décrit quand je t'avais roué de coups. Je la revois toujours la foule des apeurés. Depuis notre rencontre j'ai vécu avec eux, leurs millions de cadavres, le regard des enfants qui ne regardaient plus, leurs os que l'on voyait. Tu m'avais appris que les bourreaux étaient des hommes. Tu m'avais aussi parlé de ce jeune boxeur qui était resté vivant en allant de combat en combat qu'organisait le chef de son camp. J'ai gardé l'image de tous ces coups qu'il avait donnés pour rester libre. Souvent j'ai pensé à cette liberté lorsqu'il a dû sortir en les laissant tous derrière lui. Jamais je n'ai oublié l'horreur que tu m'as dite. Je voulais aller jusqu'au bout de ce que cette découverte m'avait dicté. Dans le rêve que j'ai fait tant de fois j'entendais une voix qui répétait, "nous ne nous battons pas pour la vie mais pour le prix de la vie, pas pour éviter la mort mais pour choisir notre manière de mourir". Aujourd'hui que je suis résolu j'ai peur. J'ai aimé la vie bien plus que je ne l'ai avoué. Elle va sûrement me manquer. Je me tire comme je l'avais voulu. En crachant sur la proposition que vient de me faire le pouvoir. Qui sait ? J'aurais peut-être changé le monde ! En Afrique une prison s'est ouverte. Stompie aurait bien échangé ses yeux contre tous ceux qui se sont posés sur celui qui en est sorti. En Tchécoslovaquie un poète et un jardinier dirigent le pays. Le monde peut se passer de moi. J'ai toujours voulu croire que le désordre un jour l'emporterait. Je suis né du désordre. Je vais y retourner. J'aurais pu vivre encore des siècles et en même temps je me sens épuisé d'une lutte sans merci. Que la vie ne vienne plus me trouver ! Je l'emmerde. Dans les cavernes de mes rêves j'ai vu rôder une ombre. Je crois bien que c'était la mienne. Vincent disait qu'on serait des survivants. Je l'aurais bien suivi le jour de sa mort. C'eût été plus facile qu'aujourd'hui. Les plages vont me manquer quand le jour se lève qu'il n'y a pas de vent. Je referais l'amour des centaines de fois dans la fumée et la poussière sans cette œuvre à terminer. J'en ris de mes regrets. Je l'ai assez boxée, la vie, de mes poings refermés. Elle m'a trop répugné pour tant leur faire de place. Ça va lui faire un coup de pas m'entendre partir. On m'a parlé d'enfants malades tout près de nous et qu'on laissait mourir dans des hôpitaux. Je n'ai jamais rien pu. Je n'étais bien nulle part. Je me suis amusé mais je ne pouvais pas grandir. J'ai vécu sans savoir. Je vais mourir de même. Il n'y a pas de mystères, je les ai traversés. Quand les hommes vivaient je me suis ennuyé. J'étais insaisissable. J'emporte ce que je sais. J'avais choisi depuis longtemps. L'air me manque déjà. Mais quoi ? Je suis libre ! © »

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L'œil gauche de Vladimir

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'œil gauche de Vladimir" 1991

 
résumé : une nuit de Paris, noire, sans électricité, un homme et une femme sous les toits, un moine à la recherche d'un livre, un assassin, et Paris comme une femme veillant sur ses enfants.

(extrait) « Il se souvient de son corps, ce qu'il lui a fait subir. L'âme, l'âme oui, mais le corps ! et Paris s'attendrit des derniers pas de Vladimir, il est un peu voûté, sans doute qu'il se résigne à continuer de vivre, à n'être plus qu'un homme, tout petit près de Dieu. Il voudrait voir un peu mais tout est si obscur. Ce soir, même son œil droit ne lui est d'aucun secours. Un point lumineux lui suffirait, qui serait minuscule, qui serait un début, déchirerait le noir, il s'y raccrocherait, un point qui reviendrait et qui repartirait, il ne serait pas sûr, pour contenir sa vie, trop grande. Il le voit, s'en approche, incrédule. Il sait qu'il n'y a pas de lumière, souvent il est allé la chercher où elle ne brillait pas, c'est lui qui l'allumait, les autres n'en savaient rien. Ce point c'est une femme, derrière une cigarette qu'elle grille. C'est elle qui l'entend, qui l'arrête, qui lui parle. "On est seuls cette nuit dans la rue, viens, viens, je vais te faire ta fête." Il écoute sa voix, vulgaire, religieuse, inespérée. Ils restent à l'embrasure d'une porte étroite, collés presque l'un à l'autre, ils échangent leur haleine et la gardent. "Ça ne te coûtera pas cher, chéri. J'ai envie de toi, c'est sûr, c'est le ciel qui t'envoie." Le ciel n'y était pour rien, il ne s'occupait pas de ces choses-là. Vladimir tremblotait, il ne savait que dire. Elle était belle puisqu'on ne voyait rien, elle était belle de toute façon, pour parler ainsi, braver le froid, venir vers lui, prendre le visage d'un monde misérable et magnifique. Elle sortit sa langue comme si elle partait en guerre, guerre sainte, juste, elle prenait tous les risques et lui, il l'arrêta de sa main. Sa main, unique obstacle à leurs deux bouches. Sa main qui se levait une dernière fois, hésitante, silencieuse. "Je suis à Dieu", dit-il en s'effondrant aux pieds de cette femme. Elle se laissa glisser tout le long du mur, emportant avec elle des lambeaux de peinture. Il dit : "Raconte-moi quand ils t'emmènent, je veux tout savoir jusqu'à ce que j'étouffe, je te dirai l'envers, tu n'auras rien perdu". En se parlant, ils s'aimèrent mieux que dans les romans, réinventant la vie dans un mensonge aussi fort que la nuit. Lorsqu'ils se séparèrent, ils étaient rassasiés. C'était des affamés, jamais apaisés. Vladimir passa devant l'église sans y penser. Même les cloches qui sonnaient quatre heures du matin ne sonnaient pas assez fort. Près du square des Batignolles, un homme lui proposa de la poudre de perlimpinpin. C'est là qu'il s'en aperçut. Il avait laissé le livre dans l'église, à Saint-Germain-des-Prés. Il repartit aussitôt. © »

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"Barbe Bleue" 1993

 
résumé : Deux ans de la vie d'Alexandre de Beaumanoir au collège Barbe Bleue, loin de Paris adoré, Alexandre le solitaire, différent, qui fera le chemin pour découvrir les mystères du château Barbe Bleue, de vie et de mort, jusqu'à trouver l'amitié, et la liberté toujours à recommencer.

(extrait) « Le chanoine connaissait-il les enfants embaumés ? Alexandre lui laissait son secret. Mille manières de défendre Barbe Bleue, le château était comme ça, il installait la guerre entre ses propres alliés, chacun était persuadé d'un lien privilégié, seul Barbe Bleue savait mais jamais n'avouerait, Laberge l'avait servi jusqu'à la fin sans rien céder, le cœur immaculé de la Vierge Marie. Alexandre ne remerciait pas la Vierge, personne à remercier, trop de remerciements, sous le blockhaus aussi il avait donné des coups de pied. Il n'attendait pas non plus que Barbe Bleue le remerciât, le château ne résistait qu'à coup d'ingratitude, signe de bonne santé, et Barbe Bleue transmettait l'ingratitude à ses enfants. "Vous m'avez trahi et vous avez trahi Barbe Bleue !" Qui aurait pu dire ? Obligé de trahir le château pour lui être fidèle, Alexandre habitué depuis longtemps. Lorsqu'il fut rétabli Alexis comprit que les autres ne lui pardonneraient pas le renvoi de Trotsky, les garçons se croyaient invulnérables, dans trois semaines Barbe Bleue aurait cessé d'exister, le château leur accordait toutes les permissions. Pendant les récréations Alexis abandonna son rite, les trois tours de la cour qu'il faisait sous les regards moqueurs, il se terrait à l'intérieur du collège. Dans la nuit de jeudi les Terroristes le conduisirent à la chapelle, Dimitri proposa à Alexandre de se joindre à eux, Alexandre refusa. Le lendemain Rossignol manqua à l'appel. Il s'en était allé par le premier train et ne terminerait pas son bac. Dimitri s'attendit à des représailles de Laberge mais le chanoine ne bougea pas, un garçon l'ayant aperçu lorsque Vergez lui communiqua la nouvelle assura même qu'il avait souri. Alexandre reçut ce jour-là une lettre de Paul, "maman vient d'apprendre que papa la trompait, elle pleure pour un rien maintenant mais elle ne veut pas qu'on dise du mal de papa. L'amour est triste". Alexandre n'eut pas le temps de s'émouvoir, la semaine prochaine il passait les oraux. Sur le moment il prêta à peine attention au départ de Rossignol, jusqu'à ce que Piotr lui en révélât davantage sur le garçon, Alexis lui avait confié qu'il avait été opéré d'un angiome au cerveau deux ans auparavant, il prenait des médicaments, Alexis disait qu'avant l'opération il était un très bon élève mais que depuis il s'était fait doubler par son petit frère, "il avait l'air sincère, d'ailleurs il était plus calme quand il m'avait raconté cette histoire, il affirmait qu'on avait voulu le placer dans un hôpital psychiatrique". Alexandre dormit mal. Il revoyait son arrivée au château, le temps des migraines, il croyait qu'elles ne reviendraient pas, en était-il si sûr ? Barbe Bleue n'avait pas retenu Alexis. Alexandre ne distinguait pas bien, son âme, celle du château, mêlées, dévorées. © »

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"H" 1994

 
résumé : Après la mort de H à trente-cinq ans. Tout commence : "qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur".

(extrait) « les souvenirs ne pèsent pas bien lourd devant ce chemin que nous continuons ensemble, si je comptais sur les souvenirs pour poursuivre la route je n'irais pas bien loin, de pauvres hommes embourbés dans le malheur, sida sida, impossible de s'arrêter à ce mot, on meurt un point c'est tout, c'est la vie qui est sida, quoi ! il aurait fallu se regarder les yeux énamourés le sida et nous en se plaignant de notre infortune ? se délecter du bien qu'aurait charrié le mal H, lui, ne savait pas, le mal restait le mal, et après disais-je ? continuer à regarder le mal, le lancer à la gueule des bien-portants, une main qui se tend dans la rue et H qui m'observe : regarde-la cette main, nous on a de la chance, sida sida, il y a bien des sidas, l'hôpital Saint-Louis on allait s'y promener, un café au distributeur de boissons chaudes, histoire de ne pas oublier : de pauvres hommes parmi les hommes, si facile d'oublier, on s'est toujours senti mieux au milieu des éclopés, on bouffait, on baisait, on en redemandait, plutôt faire envie que pitié mais retourner à Saint-Louis, j'y suis retourné chaque vendredi soir qui a suivi la mort de H, avec H, pas toujours besoin d'écrire pour écrire, les yeux n'en finissent pas de s'ouvrir, le corps de H rongé par les vers, j'en fais mon affaire, m'apitoyer ? sur quoi ? sur tout alors sur rien, ne meurs jamais mais dépêche-toi de mourir, on en a encore des choses à voir, six mois avant l'hôpital H écrivait l'ébauche d'un roman, je ne l'ai découvert qu'après, histoire de Jean-Charles- "un personnage médiocre ou un héros ?", écrit-il- et de Tania, malade Jean-Charles s'enfuit loin de Tania, extraits des notes de H : "histoire d'une existence qui s'achève et se révèle, s'éclaire, s'arrache à l'impalpable et aux dérives de la médiocrité, et revêt tout son sens", "comment peut-il supporter l'absence de Tania ? C'est que cette absence n'existe pas", "l'idée : leur amour renaît dans l'absence et par la mort de Jean-Charles. Cette mort est l'acte d'héroïsme qu'il laisse à Tania". Les deux derniers jours H avait changé d'hôpital, une chambre tout au fond d'un couloir, H a cessé de respirer, je suis descendu dans la cour, comment allais-je vivre maintenant ? seize ans à ne pas se quitter, si j'avais su, un jour peut-être je retournerai à cette chambre, humblement, humblement mais quand même, comment avons-nous fait H et moi ? © »

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L'acharnement de soi-même

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"L'acharnement de soi-même" 1995

 
résumé : une parenthèse dans la vie de Hugo, l'hôtel du Palais dans une ville qui ressemble à Amsterdam, la mer. Le cercle des amis de Hugo au Palais dont il est la lumière alors que lui-même essaie de survivre à la mort de Vincent. Cette ville où la chanteuse Bill Feria dit-on s'est suicidée dans la tour qui porte son nom désormais.

(extrait) « Je te reviens. Je ne serai pas parti pour rien. Te revenir comme on retourne à soi-même, dans ce noir où seulement je vois. Il n'y a pas de mots. L'instinct me commandait d'oublier. Pas toi, pas le noir, pas la mer. Je n'ai pas oublié Hugo. J'avais treize ans, je promenais la solitude, déjà ils se trompaient sur moi. De ton côté tu imaginais l'improbable, tu guerroyais sur des champs de bataille inventés, la musique faisait le reste, tu commençais ta vie d'artiste, tu t'éblouissais de solitude. Au cœur des solitudes il y eut cet amour, méconnaissable et méconnu. L'instinct, pouah ! J'ai fait le contraire de ce que j'aurais voulu. Quand je dis "je", je veux dire "ils". Ce "ils" qui résume le monde, sur lequel on crachait, ce "ils" qui prétendait aimer. Tu feras que jamais je n'oublie le sens, ce fil ténu qui lie la bête à l'homme, cette lumière comme la bougie que portait l'enfant, si faible qu'elle permit de voir, qu'elle évita le chaos. Nous ne nous sommes jamais résignés au chaos. On l'aimait sans jamais y succomber. Le chaos, c'est nous. Ce gouffre traversé. Nous ne pactisons que de loin. On recouvre de noir ce qui brille avec tant de morgue. On tend la main pour mieux préserver l'autre. Nous, jamais là où on aurait voulu. Tu ne voulais pas y aller, tu y es allé quand même. Je m'inventais une parenthèse. Des cygnes blancs d'hier aux minotaures de demain. Je veux en venir que sans toi il n'y aurait plus d'espoir. Que sans toi le bal serait fini, la main aurait sculpté pour rien, l'aube aurait pleuré des larmes inutiles. Elle est belle l'absence. Qu'on a nourrie de chair, de foutre, d'impuissance. Sans la vie nous n'aurions rien pu faire. Si on vomit la vie c'est qu'on en a partout. On en a pour dix mille ans encore. Toutes ces différences qui nous faisaient souffrir. Pour une nuit elles se sont rencontrées. Contraintes de se voir. Contraintes d'avoir peur. Sur la terrasse je suis parti te rejoindre. Je déteste la fin, il n'y en aura jamais, comment le leur montrer ? Un jour ils voient et le lendemain ils oublient. Il y a son regard, il n'ignore pas l'effroi, déjà il t'aime, sans quoi je n'aurais fait que rêver, et même rêver c'est toi. Elle est cruelle l'absence d'être à ce point facile. S'il me reste le monde, tu me restes. Mourir mais une autre fois. Quand mourir ne sera que déposer le masque. Je sais le décor, les habits, presque le texte. L'essentiel est ailleurs. Ici ou autre part ce sera toujours ailleurs, alors... Ils ne savent pas. Ton ailleurs j'en ai déjà les mains salies. Je ne verrai plus mes mains. Un jour je ne te verrai plus. Il n'y a pas que toi, il n'y a pas que moi. Ce jour-là tu m'apparaîtras à nouveau. Il y a dans le ciel un oiseau. Il semble que je sois le seul à le voir. Il vole, disparaît, il revient, il ressemble à un loup. De ma chambre je le guette chaque jour. Ne m'en veux pas, je repars, il m'attend, cet oiseau-là il a confiance en toi. Prépare-toi à le voir arriver, il appartient au silence et aux mers infinies, aime-le, dis-lui qu'un jour il pourra se poser, mais ne lui dis pas quand. © »

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"La solitude du Mal" 1997

 
résumé : des meurtres sans explication, œil crevé et sable sur le sol, qui ressemblent au roman noir qu'écrit Léo Tirictiscu au moment où il rencontre Coutil, rencontre qui fera s'envoler la frontière entre le livre et sa vie.

(extrait) « "Voilà, c'était ici, c'est fini, ça s'est fini, dit-il à Coutil.
- C'est toujours beau pourtant, regarde ! Toutes ces tours, les fumées, le métro aérien, on dirait New York !
- Angel ?
- (Coutil sourit) Qui sait ? Et puis c'est peut-être fini mais tu as de la chance quand même.
- Quelle chance ?
- D'abord, je ne comprends pas que tu dises que c'est fini, reprit Coutil. Cela ne te ressemble pas. C'est pas fini puisque tu en parles. Moi je ne connais ni hier ni demain.
- D'accord, j'ai tort de parler de fin. Mais toi, tu mens quand tu dis que tu t'en fous d'hier, même de demain.
- Non, Léo, je t'assure.
- Alors c'est que tu ne te rends pas compte. C'est de ça que tu te fous, de te rendre compte.
- Tu dois savoir mieux que moi. Je m'en porte très bien.
- Tu en es sûr ? demanda Léo.
- Tu es là.
- Et si je ne suis plus là ?
- Tu seras toujours là, dit Coutil. C'est fait maintenant. Ce n'est pas fini. Justement ce n'est pas fini. C'est comme Angel, je ne crois pas qu'il ait fini.
- De tuer ?
- De tuer oui. Ou, je ne sais pas, je ne crois pas qu'il ait fini, c'est tout. Ne me demande pas plus. (Coutil paraissait énervé)
- Ne t'énerve pas ! Ça non plus, ça ne te ressemble pas.
- (Coutil sourit) Alors on ne se ressemble pas aujourd'hui.
- J'ai un pressentiment, dit Léo.
- Attends. N'aie pas peur. Nous deux on n'a pas peur, hein ? Ils ne peuvent rien contre nous.
- Ils peuvent. Ils peuvent un peu. On verra bien ce qu'ils peuvent.
- Rien, je te dis ! Non, reparle-moi, dis-moi, d'autres endroits, parle encore.
- On a de la chance, il y a tellement de malheur... "
Ils n'avaient pas le cœur à se faire du mal. Ils avaient déjà mal, il leur fallait parler. De ce qui passe et pourtant ne passe jamais, ils avaient envie de rire, fort, ils voulaient retenir, des choses qui n'appartenaient qu'à eux, pour nier la mort, pour qu'on ne puisse rien contre eux, jamais. Ainsi ils reculaient l'instant. Celui qui arriva. Fatalement il arriva. Ce fut Coutil qui recommença : "Alors dis-moi, c'est quoi ce pressentiment ?
- C'est... On est allé loin toi et moi, tu le sais ?
- Jamais trop loin, répondit Coutil.
- C'est pour ça, maintenant, ni toi ni moi on n'a envie d'abandonner...
- On n'abandonnera rien..."
Ce qu'ils se dirent ensuite coulait de source. Puis ils rentrèrent. Léo quai des Grands-Augustins. Coutil chez ses parents. © »

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"Amalia" 1998

 
résumé : Amalia Sané photographe, qui vit avec Tadzio le petit singe de Lisbonne, Amalia dont personne ne veut des photos et qui recherche pour se venger celui qui un jour lui a donné sa caméra (VL), Julien Rivière, le seul qui la comprend, le plus beau.

(extrait) « Julien m'a expliqué qu'il m'avait emportée dans ses bras jusque dans la maison. Un gamin l'a aidé pour nos sacs. Je ne sais pas combien de temps nous avons fait l'amour. C'est fait maintenant. Nos corps n'ont rien inventé. C'était là avant. Le corps c'est esprit. Mais c'est le corps qui a décidé. Quelque chose a changé mais quoi. Elle n'a pas souvent fait l'amour l'après-midi. Le corps de Julien a tout éclipsé même la maison. Elle est là pourtant la maison à Trouville. J'y suis seule. Julien joue avec Tadzio sur la plage je les regarde. Je n'ai jamais vu Tadzio aussi heureux. Julien a l'air heureux. Il m'a raconté des souvenirs d'enfance. Elle est immense la maison. Sa chambre où il ne faisait rien que regarder la mer. Elle a pensé à elle petite devant sa mer Caparica. Alors comme ça ils regardaient tous les deux la mer quand ils étaient petits pendant des heures. Peut-être au même moment puisqu'ils ont le même âge. Il aurait voulu dessiner ou construire des bateaux des châteaux mais il ne faisait rien. Juste regarder la mer. Ils se sont séparés là. Quand elle a dessiné. Quand elle a accepté son VL. Elle a envie de refaire l'amour avec lui. Plus que la première fois. Elle aura toujours envie. Lui aussi. Julien a dit : "Reste dans la maison, c'est un peu ta maison. Je vais jouer avec Tadzio". Comme s'il voulait me laisser seule. Il n'est pas si heureux. Ici dans la maison à Trouville elle ne peut plus faire semblant. J'ai vu monsieur Victor passer. Je lui ai fait signe mais il n'a pas voulu s'arrêter. Il a fait un geste comme : alors ça y est, vous avez ce que vous vouliez. Elle n'aura jamais ce qu'elle veut. Au moins maintenant elle sait. Mais ça ne suffit pas pour qu'elle change d'avis. Je ne sais pas si Julien a compris. Les photos commencent à me manquer. C'est la première fois que je laisse le VL à Paris. Il s'en est rendu compte mais il n'a rien demandé. Julien s'est offert amoreusement. C'est ce qu'il est Julien, rien qu'une offrande. Je suis libre. Je pourrai faire ce que je voudrai. Je lui en veux de cette liberté bouchonnée. Même pas eu à me battre. J'aimais assez ça, me battre. Les cicatrices lazuli et compagnie. © »

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L'œil gauche de Vladimir

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La solitude du mal

Amalia




"L'Insecte" 1999
Éditions du Seuil - collection Solo, dirigée par René de Ceccatty
 


résumé : monologue du virus du sida : On a beaucoup parlé de moi et pas d'eux

(extrait) « je les ai vus moi virus du sida, moi je sais combien ils ont ri, même rire de la mort, rire entre eux de la mort, c'est comme ça qu'ils ont commencé à en savoir plus sur la mort que tous les autres réunis : en riant, en parlant, de là sont nés leurs mots, puisque les autres se taisaient ils parleraient eux, leurs mots à eux, le contraire des mots nada qu'ont les autres, les mots nada qui rejettent en disant le contraire, les mots nada qui édifient des murs contre tout ce qui ne leur ressemble pas (le mot "morale" par exemple, pour les autres la seule morale consiste à préserver leur implacable système immunitaire, la preuve : leur "morale" a été plus forte que n'importe quelle compassion pour eux, parce qu'eux étaient pédés) les mots nada qui maintiennent l'ordre dans l'implacable système immunitaire qui protège et "la vie" et les autres, c'est pareil, leurs mots à eux désordonnaient, comme les mots que certains d'entre eux criaient devant les autres, que certains d'entre eux criaient pour ceux qui parmi eux en étaient réduits à se cacher pour ne pas "avouer" qu'ils étaient pédés, ou pour ne pas "avouer" leur mauvaise maladie, ou parce qu'ils n'avaient pas la force, plus la force : déjà marcher devenait difficile, alors crier, et quand eux criaient leurs mots qui désordonnent les autres continuaient à se taire, étonnés qu'ils étaient que eux puissent encore trouver l'énergie de crier, presque choqués que eux ne meurent pas sans la ramener... © »

article dans "Le Monde": https://archive.is/VyGL

Amazon: https://www.amazon.com/Linsecte-French-Edition-Jean-Michel-Iribarren/dp/2020407205

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"Yaguine" 2000

 
résumé : dialogue entre JM et Yaguine, l'enfant malien mort caché dans la soute de l'avion qui devait le porter jusqu'à la France.

(extrait) « MOI : Il est trop tard ?
YAGUINE : Pour moi, il est trop tard.
MOI : Et si j'écris ?
YAGUINE : Tu sais que les mots ne sauvent pas.
MOI : On dit le contraire.
YAGUINE : Vous le dites ! Ça se saurait depuis le temps.
MOI : L'amour sauve.
YAGUINE : Il ne m'a pas sauvé.
MOI : Il n'y a pas que toi ! Il y a ce que j'essaie d'écrire...
YAGUINE : Je croyais que tu n'aimais pas ce mot : amour ?
MOI : C'est vrai, j'en cherche un autre. Dire le mot, on croit que ça suffit et c'est la fin.
YAGUINE : Je n'ai rien dit, je l'ai fait.
MOI : Par amour ?
YAGUINE : Oui.
MOI : Quel amour ?
YAGUINE : Tu veux savoir ?
MOI : Ecoute, je ne sais pas si je veux savoir, je sais que je suis là : je pourrais être ailleurs.
YAGUINE : Tu ferais quoi ailleurs ?
MOI : Il y a des choses que j'aime dans la vie. Mais il ne faut pas dire ces choses-là, trop dangereux. Je te le dis à toi.
YAGUINE : Si déjà on était arrivé à ça !
MOI : Quel amour alors ?
YAGUINE : Tu me fais peur, j'ai peur de te parler. Des chefs de canton, je sais qu'il y en a encore, partout, toujours plus.
MOI : Je sais.
YAGUINE : Rien du tout. Je t'ai déjà dit : tu t'attaques à plus fort que toi. Tu te fais des idées, avec tes mots.
MOI : Je fais avec ce que j'ai.
YAGUINE : Tu as quoi ?
MOI : J'ai les mots. Je les ai. Personne ne peut m'enlever les mots. Même si personne ne les entend.
YAGUINE : Je te lirai, griot !
MOI : Tu as dit que je te faisais peur.
YAGUINE : Ce n'est pas toi, c'est plus fort que toi.
MOI : Il faut que je paye ?
YAGUINE : Pas de grands mots ! C'est moi qui ai payé. C'est nous.
MOI : Et il n'y a plus rien à faire ?
YAGUINE : Peut-être plus rien. L'avion c'était peut-être la dernière chance.
MOI : C'est ça, la timidité de Dieu ?
YAGUINE : Qui en parle ?
MOI : Toi, dans ta lettre.
YAGUINE : J'ai oublié. © »

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"Undead" 2002

 
résumé : autobiographie.

(extrait) « j'ai marché toute la journée, je sais plus où, dans ces grandes avenues où je sentais le souffle de ma vie, où ma vie était déjà là sans moi qui m'attendait, y avait en ce temps dans Paris une partie de moi qui me courait après, qui désarmait pas... vers le soir j'ai pris le chemin du retour, je suis monté dans un bus qui me ramènerait chez moi, rien avait changé, simplement j'avais arrêté de travailler le temps d'une journée, j'étais assis au fond du bus, à un moment j'ai regardé en face de moi : il devait avoir mon âge ou un peu moins, il était blond, il était magnifique de beauté, je lui ai jamais parlé, il sait pas qui je suis, je lui dois tout... c'est en le voyant lui, ce garçon blond qui avait je crois un manteau vert, qu'en une seconde j'ai basculé : vers moi, pour ce que j'ai toujours appelé l'acceptation, pas la résignation, l'acceptation des garçons, que ce serait ça et pas autre chose, que depuis toujours j'étais homosexuel, sale mot mais puisque c'est le mot : c'est ce que j'étais, en une seconde ça m'a paru magnifique de l'être, et stupéfiant d'avoir tant attendu, j'allais le dire à la terre entière, la terre entière allait le savoir, je voyais celui que j'étais déguerpir sans demander son reste, il reviendrait plus jamais, je le plantais là l'inaudible, il me laissait aucun regret, il me dégoûtait presque et avec lui tous ceux qui l'avaient forcé à rester inaudible... en même temps j'avais envie de leur dire merci à ceux-là, tous, les humiliateurs, les empêcheurs, je leur devrai toujours tout aux humiliateurs et aux empêcheurs, je leur devrai toujours cette seconde dans le bus, sans eux y aurait jamais eu cette seconde, ce moment où tout a basculé, où demain s'est écrit d'un seul coup, tout ce qui allait venir, j'en voudrai jamais au malheur comme les autres lui en veulent, le malheur m'a tout donné de jamais l'avoir accepté, les empêcheurs de jamais leur avoir cédé, cette seconde restera pour toujours indescriptible, y aura jamais de mots pour dire ce que c'est de devenir soi-même, ç'allait se voir physiquement le changement dû à cette seconde dans le bus, ç'allait se voir pour tout, je viens de cette seconde qui elle-même vient de si loin que je saurai jamais d'où : de l'enfance peut-être, de l'oppression que c'est l'enfance, que ce sera toujours et quelle que soit l'enfance, l'oppression que c'est la famille, que ce sera toujours et quelle que soit la famille, elle venait la seconde du garçon à la barque qui me souriait près du canal et que j'avais laissé repartir, de cet autre croisé devant un marchand de journaux, elle venait peut-être de Lucien quand il avait dit l'important c'est d'aimer, elle venait de la solitude, ces nuits passées seul avec Kali dans ses pattes et son flanc, de tous les regards assassins que j'avais dû affronter, elle venait du meurtre ma seconde, de tous ceux qui sont morts parce qu'ils ont jamais eu comme moi une seconde dans un bus une fin d'après-midi : elle venait de tous les autres, de lui le garçon blond qui saura jamais ce que je lui dois, ceux d'avant moi qui comme moi un jour s'étaient pas résignés, ceux d'après moi qui comme moi se résigneraient pas que le monde soit ce qu'il est, impitoyable et sans aucune raison, assassin et sans aucune raison, et nos bourreaux, un grand merci à nos bourreaux d'être ce qu'ils sont, on leur doit à nos bourreaux de pas leur ressembler, de pas aimer la vie qu'ils servent avec tant de zèle et sans aucune raison, qu'ils continueront de servir avec autant de zèle qu'avant et sans aucune autre raison que celle de faire des victimes, toujours davantage de victimes, elle venait ma seconde de Vincent et elle lui reviendrait, tout pouvait commencer. © »

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L'insecte

Yaguine

Undead

Wild Samuel

Géant

Âmes dehors (trilogie)

Matteo le magnifique




"Wild Samuel" 2013

 
résumé : Wild et Mathieu se connaissent à l'âge de onze ans, leur lien est si fort qu'ils peuvent même se retrouver dans leurs rêves. Mathieu meurt à vingt ans. Wild ne pourra se résigner à être séparé de lui et le recherchera même malgré lui, accompagné par Ankhchen, la femme mystérieuse et si proche à la fois qu'il retrouve à Berlin.

(extrait) « après on a marché dans la galerie, il me racontait des choses de l'enfance, à un moment il a dit, ça je me souviens, c'était lui mais il était très jeune, l'âge où on s'est connus, il a dit, j'avais tellement envie que tu vives, et puis, à propos... j'ai retrouvé la mémoire, tout ! Ils traversent des villes, au loin, des villages, ils dépassent toutes les voitures sans faire de bruit. Raconte-moi alors. Ça ne t'étonne pas plus que ça? C'était après notre conversation au téléphone ? demande-t-elle. Oui, la nuit suivante. Avec lui alors ? Oui, dans la chambre. La chambre numéro huit, dit-elle. La chambre numéro huit, tout est revenu et au réveil d'autres choses encore. Ils entrent dans Hambourg. Le lac de l'Alster, celui du nord. Il est trois heures du matin. Wild n'en revient pas, c'est pas une Aston Martin, c'est une fusée ! Oui et tu t'y connais en fusées, dit-elle. Ils sont arrivés au lac au centre de la ville. John se gare. Ils descendent. S'assoient sur des marches qui mènent au bord de l'eau. Cigarette. Elle a soif. Il part chercher deux bières. Il revient. Il raconte. C'est la première fois qu'il lui parle de l'Endroit. Puis il lui raconte la rencontre de l'Endroit, pendant les deux comas. La plage. Son retour, seul. Il a redit que tu n'étais pas morte. Il a de la suite dans les idées, elle dit. Il rit, ça tu peux le dire. Il ajoute, il n'abandonnera jamais, même mort. Tu vois, dit-elle. Quoi ? Et bien ça, ce n'est pas qu'il n'abandonnera jamais, c'est qu'il ne t'abandonnera jamais, c'est ça ta nuit. Devant eux le lac, immense, tranquille, mais qui semble pourtant remuer tous leurs mystères à eux, des garçons passent en riant, Ankhchen se retourne, il y a toujours des garçons qui passent en riant quand on est tous les deux, tu as remarqué ? Elle passe la main dans ses cheveux noirs, sort un petit miroir de poche, se remet du rouge aux lèvres, il a dit autre chose de moi ? Que tu n'étais pas morte. Oui, bien, je ne suis pas morte, mais à part ça ? Il a parlé de la femme qui était passée, la dernière nuit ensemble, tu sais. Le kiosque ? Oui, après qu'il est parti, une femme, il y a une femme qui est passée, qui m'a regardé, il dit que c'est peut-être toi. Ils se taisent. Puis il lui demande, c'est vrai ? Elle se lève. Elle dit, tu veux qu'on marche sur l'eau ? C'est possible ? il demande. Tu es innocent ! dit-elle, viens, nous allons au port, tu seras dans ton élément, et cesse de poser des questions, si je ne me trompe pas il y a une soirée là-bas mais on n'est pas obligé, on fera comme tu veux. Ils s'engouffrent dans l'Aston Martin, puis dans les rues de Hambourg, vers le port. © »

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"Géant" 2016

 
résumé : une heure dans la vie de trois personnages, la même heure. Vincent l'écrivain, dans sa chambre à Paris. Léa dans sa chambre d'hôpital où elle va mourir. Et Ben, le jeune cardinal noir au conclave de Rome qui élira le prochain pape.

(extrait) « (Vincent) J'écris ce livre depuis trois ans, j'y ai mis ma vie, sa vie, celle de Mamoudou, j'ai relié Dieu à nous. J'ai fait parler Dieu avec Roman, avec Mama, j'ai imaginé le dialogue entre David, dans sa librairie, et un visiteur qui serait le Diable et que j'appelle Lucien. Je ne vais pas me mettre à tout raconter. On ne peut pas parler d'un livre qu'on écrit, on l'écrit. La fille de la passerelle ne bouge pas, elle attend. Je pense, est-ce qu'il reviendra, le jeune homme ? Les photos sur les murs je ne les regarde presque jamais, elles sont là mais je ne les regarde pas, ce n'est que là, dans la chambre où je devais écrire et où je n'écris pas, où je me suis réfugié après avoir laissé ma mère dans sa propre chambre, dans son agonie, où je me suis réfugié parce que ça devenait insupportable de rester là-bas, ce n'est que là que je les regarde un peu. La cigarette se termine. Quelle vie ! Elle n'était plus la même, souvent je pensais, ce serait mieux d'en finir, ce n'était plus elle mais ça l'était encore un peu, comme cette phrase, quelques mots qu'elle disait encore quand elle pouvait encore parler, son sourire parfois, un quart de seconde, et puis elle a fermé les yeux, mais on lisait encore sur son visage, son voyage qui n'est pas un voyage tranquille et qui me tourmente aussi, quelle vie quand je pense au temps passé avec elle, même encore récemment, quand je l'emmenais dans un café et qu'elle me tenait la main, qu'on parlait encore un peu mais plus comme avant parce qu'on avait déjà tellement parlé. La guerre s'était apaisée mais avec la guerre qui se termine c'est aussi l'amour qui n'avance plus, qui est là, pour toujours mais un toujours inconnu. Ce lit de sa chambre où je suis à côté d'elle sans y croire vraiment. Un jour, j'étais encore adolescent, nous étions allés à Lourdes tous les deux, elle s'était baignée dans l'eau de la grotte, je n'ai jamais su pourquoi, je ne sais même pas si je le lui ai demandé, on préservait un peu nos secrets quand même. Je me souviens du voyage pour aller là-bas, notre amour c'était un peu comme un inceste, parce que quand ce n'était pas la guerre, c'était tout, c'était trop d'être si près l'un de l'autre, en voulant toujours plus, ce qui est impossible, l'amour entre un fils et sa mère bute contre l'étau de la vie. © »

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trilogie « Âmes dehors »

 

premier roman : "Décal'âge" 2018

résumé : Velma est veuve depuis un an. Alain, l'homme de sa vie, est mort. Elle décide de s'en aller à la recherche de son fils parti il y a dix ans aux Etats-Unis et dont elle n'a plus de nouvelles. Ce roman raconte la quête de Velma là-bas, loin de Paris.

(extrait) « Métro, direction le Bronx. Tu n'as plus ton chapeau et tes lunettes d'espionne ? Tu sais, j'avais même pensé acheter une perruque mais avec cette chaleur avant, de toute façon je vois que ça n'a pas servi à grand-chose..., alors tu n'habites plus dans l'immeuble de Garbo ? Velma, oh my God ! alors c'est toi qui avais appelé à la maison de mes poèmes, je le savais ! Il est là, aussi mince qu'avant, élégant dans ses jeans, le pull bleu marine. Non, ce n'est pas moi, c'est Sara, tu la connais ? Sara ? Oui, Frédéric la connaît, c'est la première femme d'Asa, tu te souviens d'Asa ? Mais il y a trop de choses à parler, ça les ennuie un peu de trop parler des fils à démêler, et en même temps ils en rêvent, tout savoir l'un de l'autre, tout savoir l'un de l'autre à partir du moment où ils s'étaient perdus. Elle est serrée contre lui, il est serré contre elle, parfois elle se dégage de lui, ou c'est lui, puis ils sont à nouveau serrés l'un contre l'autre, leurs cuisses, la chaleur. Raconte-moi, quand vous vous êtes rencontrés, dis-moi. Alors il lui raconte. La rencontre qui aura changé sa vie. C'était là-bas au Village, dans ma rue, ta rue. Il avait l'air perdu, il logeait dans un hôtel, pas le tien, un hôtel assez minable, je l'ai vu après, il m'a demandé quelque chose dans la rue, il cherchait une librairie, une librairie qui n'existe plus. On a cherché ensemble, on avait vingt-deux ans, on trouvait pas, j'avais le temps, mes parents venaient de mourir, ma mère, mon père était mort bien avant, on trouvait pas et ça nous faisait rire, finalement on est allés boire quelque chose, c'était l'été, il y avait quelque chose tu sais, comme si, un peu comme avec toi, comme si, enfin, c'était naturel d'être ensemble, je ne lui ai pas demandé s'il aimait les garçons, il ne m'a rien demandé non plus là-dessus, on s'en foutait, il m'a parlé de toi tout de suite, pourquoi il était là... Il a dit quoi, quand il a dit pourquoi, il a dit quoi ? Je ne sais plus, ça fait loin maintenant, il a dit que c'était l'aventure, il a parlé aussi de son père. Il a dit quoi ? Il était fier de son père mais il disait qu'ils ne se comprenaient pas, deux jours après il est venu habiter chez moi, voilà, je n'aurais jamais cru ça mais c'est arrivé, ce doit être là que je t'ai connue d'ailleurs, pas là-bas à L.A., il y a dix ans, avec lui. Ils se taisent. Il met sa tête sur l'épaule de Velma. Elle dit qu'il va falloir arrêter ça, leurs choses de là-bas, de la chambre 105. Quelles choses ? Oh écoute Matthew, tu sais bien, ta tête sur mon épaule, ces choses bon Dieu. Il dit, Frédéric n'aurait pas envie que ces choses comme tu dis s'arrêtent. Quoi ? Tu as très bien entendu. Pourquoi tu étais en Californie et pas ici quand je t'ai rencontré ? Le train arrive à la station du Bronx, celle pour le zoo, viens ! © »



deuxième roman : "Rollercoaster" 2021


résumé : suite de "Décal'âge" : New York, Frédéric, Velma (sa mère), Matthew. Matthew vit avec Frédéric depuis douze ans, il est aussi l'amoureux de la mère de Frédéric. Frédéric fait une émission de nuit à la radio : Streetwalk, sous le nom de Jimmy Prince. Et il y a ceux qui l'écoutent la nuit dont les chemins de certains vont finir par se rencontrer, et parmi eux, Diego, le jeune immigré qui rencontre madame Soledad, et aussi celui qui a écrit à Jimmy une lettre avec le mot 'rollercoaster'... jusqu'au virus qui désole NYC... mais la cité revit quand même...

(extrait) « Elle crie dans le rollercoaster. Il a envie de la protéger. Une seconde il pense à Soledad, que fait-elle en ce moment. Comme des enfants sur un manège qui tourne à toute vitesse. Le ciel s'est couvert. Gros nuages noirs mais toujours autant de monde. On mange sur la plage ? Je ne sais pas si c'est permis. Elle dit qu'elle s'en fout. Pas moi. La promenade. Enlacés. À propos, Tom (le directeur de la galerie) m'a présenté sa femme, je ne savais pas qu'il était marié, c'est un mec bien, contrairement à ce que tu crois. Mm, tant mieux, c'est un ami de Matthew, l'ami de Jimmy, tu l'as déjà vu Matthew à la galerie ? Peut-être, sans savoir que c'était lui. Tu l'aurais remarqué, il est très beau. Moi, je ne regarde que toi. C'est ça ! Et elle l'embrasse, je t'assure ! Il ne la croit pas, lui non plus ne regarde pas qu'elle, personne n'interdit à personne de regarder, tu peux regarder qui tu veux. Toi, tu regardes les jolies filles ? Les jolies filles ? où ? Ici par exemple. Il rit. C'est vrai que dans ton groupe d'amis, il n'y a pas beaucoup de filles ! Tu vois. Ils achètent un hot-dog et une bière pour chacun. Une autre bière, elle dit, quand la première est finie. Une autre bière. Elle sort un joint. Tu vas fumer ? C'est légal maintenant. La nouvelle loi qui légalise le cannabis. Il en a parlé avec Soledad. Elle a dit qu'elle sentait l'odeur dans la chambre de Vicente. Elle a dit, ah toutes ces choses, avec lui. Mais vous, Diego, faites attention, et moi je m'en tiens aux cigarettes. Il ne manquerait plus que vous fumiez des joints. Il paraît que c'est thérapeutique, dit Soledad, vous me l'interdisez, Diego ? Formellement. Sur le fond de l'océan, des éclairs. Ils sont sur la plage. Elle dit qu'elle ne sait pas nager. Je t'apprendrai. Toi tu sais ? Ma mère m'a appris, c'est pour ça que je ne nage pas très bien, mais je nage, viens ! Sa main sous son ventre. Voilà. Tu te rappelles quand on s'est rencontré ? Ils ne savent plus la date. C'était l'été, non ? Il pense, on est toujours là, c'était avant Soledad, du temps de La Femme. Ils sont pareils aux autres couples sur la plage, Diego pense qu'ils sont uniques, les premières gouttes de pluie. Elle veut rester sous la pluie. Il dit, d'accord. La plage se vide. Il pense à la dernière pluie de Soledad. Les derniers amants de la plage de l'été. Fais-moi l'amour. Quoi ? Fais-le. La pluie battante. Les éclairs. Mais vous êtes trempé Diego ! Y a eu un orage. C'était beau ? et Lena ? Je l'ai raccompagnée en taxi. Vous avez bien fait. Elle lui dit souvent ça : vous avez bien fait. Trempés dans le taxi, assouvis, elle est heureuse. Allez vous sécher, Diego, vous allez prendre froid. J'y vais, vous n'avez besoin de rien ? Non, juste que vous vous séchiez. Sec et dans son pyjama, il l'accompagne au lit. Vous n'auriez pas dû m'attendre. Oh je dormais vous savez, dans le fauteuil je dormais. Il est ému. En sortant du taxi, Lena lui a dit, allez, retourne dans ton royaume, mon prince. © »





troisième roman : "Hotel Monroe" 2022-... à suivre


résumé : suite de "Rollercoaster" : New York - Frédéric, Matthew, Soledad, Diego et les autres emménagent tous dans l'hôtel Monroe de Manhattan que Soledad et Velma ont acheté... commence une nouvelle vie

(extrait) « La pièce de James fut un succès et les occupa tout l'été.
Personne n'avait demandé à Meryl de venir mais elle vint, elle est amie de Norma, et de James.
Il y eut quelques critiques qui disaient qu'on ne pouvait comparer James à aucun acteur existant ou passé. Ronald lui dit que c'était ce qui pouvait lui arriver de mieux.
Tous les habitants du Chelsea des années deux mille vingt vinrent voir la pièce. Certains plusieurs fois. Je commence à la connaître par cœur, disait Ronald à James.
Marmelstein fit une unique apparition. Accompagnée d'un garçon qui devait avoir la moitié de son âge. Elle partit à la fin sans mot dire. Mais quand elle revit James dans son cours, elle lui caressa la joue, vous voyez, James, tout ce travail a payé. Il l'embrassa sur la joue.
L'apparition de Soledad ne passa pas inaperçue. Arrivée conduite par Edgar (qui assista aussi un jour à l'une des représentations), puis dans la salle aux bras de Diego et Andrew. Elle était assise au premier rang à cause de ses yeux. Elle dit plus tard à Diego que les rapports entre une mère et son fils sont toujours terribles, terribles. Après la représentation, elle alla voir James dans les coulisses. Elle veut vous voir, dit James. Norma Weatherfield avait tellement entendu parler de cette Soledad qu'elle semblait fascinée : à quatre-vingt-douze ans acheter un hôtel à Manhattan, non pas pour en faire un hôtel mais pour y vivre avec des amis dont la moitié avaient l'âge de son fils !
James dit après à Soledad, elle était méconnaissable quand elle vous a parlé, je ne l'ai jamais vue aussi douce ! Soledad répondit que c'était parce qu'elle, Soledad, était la plus vieille.
Ce n'était évidemment pas la raison. Norma prit la main de Soledad entre les deux siennes. J'ai tant entendu parler de vous, où est Diego ? C'est lui, répondit Soledad en présentant Diego qui lui tenait le bras. Bonsoir, Diego. On ne parla pas de si la pièce avait plu. Je viendrai vous voir à l'hôtel, dit simplement Norma.
Elle sait y faire, conclut James après avoir assisté à la rencontre.
La pièce va se poursuivre cet automne mais dans un autre théâtre. Toujours Brooklyn, pas loin du pont, le théâtre Seven Arts, un peu plus petit que le Nouvelle Vague mais à peine.
James va moins souvent au cours de Marmelstein. Ça me manque, lui a-t-il dit, oui mais James, vous ne pouvez pas être un éternel étudiant. Non, il avait souri, mais j'aimerais bien.
Jane Riverdale était donc passée et avait dit à James que les rapports entre elle et Pete étaient plus simples que dans la pièce, mais en vous voyant jouer, maintenant je me pose des questions, nous nous aimons tant.
Les rapports entre Norma et James alternent toujours le chaud et le froid. David, le fils de Norma, est venu les voir un soir. C'est comme ça que James a connu David. Enfin ! lui a dit David en souriant. Enfin ? Oui, enfin on se connaît ! et ils sont allés boire un verre ensemble. David n'est ni beau ni laid, il est à part, beau sourire. Alors ma mère ? Oui, répond James, alors ta mère ? James resta dans les lignes : c'est ma partenaire de théâtre. David se risquait parfois : elle te parle de moi ? tu sais, elle et moi c'est un peu comme dans la pièce. À ce point ? Non, parce que dans la vie c'est jamais à ce point. Tu es acteur toi aussi ? Jamais de la vie ! Je fais des études de médecine. Oh. Tu soignes l'âme et moi je soignerai les corps. C'est pareil, dit James. Right. Le courant passe. Maman dit que tu es gay ? Big deal, dit James. Moi aussi, enchanté.
Curieusement James n'a pas eu d'autres propositions depuis la pièce. Il s'en fout un peu.
Ses parents (adoptifs) sont venus aussi le voir. Stephen et Claire ont passé quelques jours de vacances dans une des chambres d'invités de l'hôtel. On est fiers de toi, vraiment tu connais Meryl Streep ? et Norma Weatherield, elle est comment dans la vie ? James s'est toujours attendri de ses parents adoptifs tout en luttant contre l'attendrissement, à quoi sert de s'attendrir ? Claire a parlé longuement avec Velma. Est-ce qu'il vous parle de nous parfois ? Velma hésita. Vous savez, James n'est pas du genre à s'épancher beaucoup, peut-être avec les garçons de son âge, je ne sais pas. Oui, il était comme ça quand il vivait avec nous, secret, c'est peut-être pour ça qu'il fait du théâtre maintenant. Velma hésita encore puis elle le dit : Un jour il m'a parlé de votre amour de jeunesse. Elle ne dit rien. Puis, oui bien sûr, ça lui a plu ça, je le lui ai raconté un jour, mais j'aime Stephen vous savez, un amour de jeunesse c'est un amour de jeunesse. Velma pensait à Aza. Elles se promenèrent toutes deux le long de l'Hudson. Cette ville lui ressemble, dit Claire. Je sais, elle ressemble aussi à mon fils. Il m'arrive de l'écouter votre fils la nuit, je crois que la rencontre de James avec lui a été le tournant de sa vie.
Meryl était allée voir Norma et James dans les coulisses, puis quelques jours plus tard, elle avait revu James pour lui donner quelques conseils, les mêmes d'ailleurs que lui donnait Marmelstein. Meryl était maternelle avec lui. © »

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Matteo le magnifique




"Matteo le magnifique" 2023

 
résumé : deux longs voyages à 45 ans de distance, deux tournants qui se rejoignent

(extrait) « En bas de la tour, on a acheté des cigarettes et puis un peu plus loin on a aperçu un restaurant thai, on devinait la ville au-delà mais nous n'avions pas le temps d'aller plus loin, il était déjà tard. On a commandé des plats pour dîner dans l'appartement spectaculaire. Matteo est remonté et j'ai attendu que ce soit prêt. Evidemment j'avais trop commandé, je préfère avoir trop que de manquer, vieille habitude, trop de vie aussi, mais Matteo mangerait ce qu'il resterait pendant la nuit, il s'endort souvent après moi et il mange. Après le dîner on est descendu pour aller fumer près de la mer. C'était romantique comme idée, cette mer sauvage noire la nuit. Arrivés à la mer il s'est mis à pleuvoir. Ça m'a mis en rage. Genre, est-il possible dans ce monde d'avoir juste un petit plaisir de rien du tout sans que ça tombe à l'eau. Bref. On est remonté dans la prison dorée où on ne fume pas et on a regardé Jurassic World. Autrefois j'avais fait un jeu de mots à propos de mon visage au réveil quand j'avais mal dormi, j'avais parlé de mon visage à la Marguerite Duras, j'avais dit Durassic Park. Quand j'avais 22 ou 23 ans j'avais la manie de faire comme ça tout le temps avec mes amis des jeux de mots plus ou moins pathétiques, mais je m'en rendais à peine compte, jusqu'au jour où dans l'endroit où je travaillais à l'époque, à TF1, j'ai rencontré un type qui lui aussi faisait des jeux de mots comme moi sans arrêt, je me suis vu dans un miroir, pauvre type, et j'ai arrêté du jour au lendemain, et j'ai plus jamais recommencé, sauf pour des jeux de mots de haute tenue. C'était bien Jurassic World face au ciel noir blade runner. On l'avait déjà vu mais qu'importait, en plus il y avait un jeune acteur que j'aimais bien dans le film, Nick Robinson. Dans l'appartement j'étais déjà passé aux toilettes, je suppose que j'avais le caleçon un peu taché, on s'attardait pas, on avait dit ça tacitement : on s'attarde pas, no time to die. C'est vrai que cette vue depuis l'appartement était éblouissante, presque trop, je sais pas trop comment le dire, y avait mon histoire de cul, y avait qu'on était au bout du monde, y avait qu'on célébrait vingt-huit ans ensemble, et cette vue, de nuit, la mer aurait pu nous avaler, comme dans une marmite bouillonnante, c'était romanesque mais la vie guettait et on a beau dire que la vie est un roman, au ras du sol elle ne l'est pas du tout, elle est terriblement ordinaire la vie, elle devient roman si toi tu en fais un roman, c'est ce qui me sauverait plus tard, faire de mon cancer un roman, et je parle pas du livre que j'écris là, pas du tout, non, c'est de ma vie cancer que je ferais un roman, le mien, à partir d'une phrase du dernier texte qu'Hervé a écrit avant de mourir, phrase essentielle, que j'ai mise à la fin de mon livre publié sur le sida, mais je reparlerai de tout ça. On a dormi au-dessus du monde, notre seule nuit ici, après ce serait encore la route, c'est toujours la route. © »

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"Parce qu'eux" 1989
Éditions Saint-Germain-des-Prés

... et autres poèmes

 



Sachez-le ! Rien n'est ici à sa place et tout y sonne juste. L'amour surgit de ces poèmes comme de rites impurs ("des anges y croisent des robes noires"), le désespoir affleure sans l'emporter jamais. Car..., là où le verbe nous entraîne, "l'écume au loin des vagues éclaire un peu ces lieux". Force et lucidité de la vie incarnées dans les mots.
(Hervé Loyez)

« (pour le vin)

Pour le vin que je bois
Que je bois avec toi
Pour ma main qui écrit
Pour les mots répétés
Pour les refus vainqueurs
Pour le temps arrêté
Pour l'Histoire qui espère, souvent au mois de mai
Pour ces rêves la nuit
Pour l'espoir malgré tout
Pour cet adolescent et son air triomphant
Pour la mémoire d'aimer
Pour la mer retrouvée
Pour mon père pour ma mère
Pour toi mon incroyable
Pour les instants ici à être bien ailleurs
Pour un sourire aux gueux
Pour nos dîners de rois
Pour l'amitié conquise
Pour les drames inventés
Pour nos vies au fusain
Pour la salle qui s'éteint
Et pour les larmes qu'on n'a pas fini de pleurer
Pour le plaisir traqué
Pour les quêtes incessantes
Pour pouvoir se le dire
Pour les matins à croire
Pour nos envies de fuir
Et pour quand on l'a fait
Pour se foutre du monde
Pour les regards du sexe
Pour la beauté mortelle
Après tout pourquoi pas ? © »


Amazon: https://www.amazon.fr/Parce-queux-Jean-Michel-Iribarren/dp/2243031795/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1431619725&sr=1-2&keywords=jean+michel+iribarren

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France Culture : "Du jour au lendemain" par Alain Veinstein : "L'Insecte", de Jean-Michel Iribarren, éditions du Seuil, interview 2000

Alain Veinstein : Vous êtes né en 58 Jean-Michel Iribarren et votre éditeur nous informe que vous avez exercé divers métiers dans la politique et le cinéma, la politique et le cinéma c'est pas tout à fait la même chose...

Jean-Michel Iribarren : II y a beaucoup de gens qui disent que c'est pareil, je ne sais pas... Vous voulez que je vous dise exactement ce que j'ai fait ?...


Dites ce que vous voulez, vous êtes libre...

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de choses... le parcours qui m'a mené a l'écriture a été long... j'ai commencé à écrire tard, à l'âge de 30 ans à peu près et je crois que ce que j'ai fait avant n'a pas franchement d'intérêt... ce qui est intéressant, c'est que tout ça menait à l'écriture, que l'écriture était déjà là même quand je n'écrivais pas, que mon meilleur ami, dont je parle dans le livre, lui, voulait écrire depuis qu'il était petit, ça a été long...


Et vous c'est une décision plus tardive ?

Ce n'a pas été une décision, c'est toujours une chose qui m'a étonné... J'ai toujours voulu, ça paraît un peu bête à dire comme ça, je ne sais pas : trouver sa place, m'exprimer dans une chose artistique, et ça a pris des chemins contournés, j'ai fait de la radio, j'ai voulu être comédien, et cette place je ne la trouvais pas... j'ai même tourné un rôle dans un moyen métrage de Jean-Luc Godard, et je crois que ça date de là, je me suis dit : c'est vraiment lui qui crée quelque chose, moi rien... alors je me suis dit qu'est-ce qu'il me reste ? il me reste écrire, alors j'ai écrit... parce que ce livre, c'est quand même pas le premier que j'ai écrit, c'est le premier publié mais c'est pas le premier que j'ai écrit.


J'allais vous poser la question

J'en ai écrit beaucoup...


Et pourquoi n'ont-ils pas été publiés... d'après vous ?

C'est très difficile que l'auteur dise ça, parce que s'il dit : c'est la faute des autres, on va dire c'est facile... je crois que le chemin qui mène de toute façon à une certaine reconnaissance, il est long et j'ai toujours dit que tout le temps que j'ai écrit sans être publié, j'avais une extraordinaire liberté, je crois que peut-être je n'aurais pas écrit L'Insecte si je n'avais pas été autant refusé, parce que j'ai vraiment été extraordinairement refusé, partout... j'ai rencontré des gens qui me disaient en substance : c'est bien ce que vous faites mais on ne va pas l'éditer ou... enfin il y avait toujours des raisons, honnêtes ou moins honnêtes, je n'en sais rien... je n'en sais rien, c'est difficile parce que maintenant je suis publié, je suis dans une maison d'éditions, alors je ne peux pas non plus cracher dans ma propre soupe, mais en même temps pourquoi pas...


Vous êtes publié mais en même temps, avec ce premier livre publié, vous faites une expérience dont vous m'avez parlé par écrit, puisque vous m'avez envoyé votre livre avec une lettre, une longue lettre, bien intéressante, vous faites l'expérience du silence, vous êtes heurté, c'est le mot que vous employez, au silence qui a accompagné la sortie de ce livre qui est sorti il y a 2-3 mois, et depuis 2-3 mois pas assez d'articles selon vous, pas assez de retentissement médiatique...


Non, il n'y a pas que ça, parce que si ce n'était que ça... On m'a dit aussi que c'était le propre de tout auteur de se heurter, quand il a écrit, à un certain silence... vraisemblablement... Mais ce livre parle du silence, et en l'écrivant, et dans ce que j'ai écrit, j'ai dit qu'il se heurterait au silence... j'avais un peu anticipé le silence parce que je croyais qu'il ne serait pas publié, alors il l'a été, et même à bras ouverts, de manière presque un peu inquiétante, et le silence c'est plutôt après, ce n'est pas un silence total, c'est un silence sournois... Ce livre je m'attendais à ce qu'il soit - peut-être naïvement, alors que ce que j'ai écrit n'est, je crois, pas naïf, mais c'est peut -être ce qui prouve que je suis encore dans la vie dans ce qu'elle peut avoir de... je ne sais pas comment dire... - donc les gens qui auraient dû soutenir ce livre ne le soutiennent pas, on me dit qu'ils ne savent pas comment en parler...


Et vous pensez qu'un livre ne peut pas se défendre tout seul...

Oui... oui, à la limite c'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux, sûrement même ce qui pourrait lui arriver de mieux, parce que je pense que quelquefois dans la manière dont on défend un livre il y a beaucoup de malentendus aussi... mais c'est difficile pour un livre de se défendre tout seul, je ne sais pas si c'est plus difficile aujourd'hui qu'avant... mais le problème d'écrire, c'est qu'on est très libre quand on écrit, presque trop, presque trop parce qu'on est quand même coupé d'une certaine réalité, même si c'est bien aussi de s'en couper de cette réalité, parce que peut-être si on n'en était pas coupé on n'écrirait pas, et peut-être qu'on est plus proche d'une réalité plus essentielle... mais en même temps quand ce livre est écrit, il a besoin des autres, il a besoin d'être défendu, moi depuis 2-3 mois je me pose la question : est-ce qu'un auteur doit vraiment défendre ce qu'il a écrit ? c'est une question... en fait je réponds toujours oui, il faut défendre ce qu'on a écrit... mais peut-être que l'on devrait laisser les mots... et puis tant pis s'il y a le silence, peut-être qu'on devrait se résoudre à ça... je crois qu'il y a un orgueil aussi de l'écrivain qui est mal placé, il y a une envie de reconnaissance, de gloire, de gloire oui, enfin de gloire c'est exagéré, qui est mal placée aussi, qui est mal placée mais en même temps si on a écrit c'est parce qu' on a envie que ses mots "passent", les mots qui ne "passent" pas ils meurent, et moi je parle du silence alors si ce livre reste dans le silence, c'est aussi un échec du livre.


C'est un livre, c'est le moins qu'on puisse dire, qui crée un trouble... chez le lecteur...

C'est-à-dire...


L'Insecte, là, que vous publiez dans la collection de René de Ceccatty, Solo, parce que d'abord on ne sait pas si c'est un roman, ou si c'est un récit autobiographique...

C'est déjà son problème, pour ceux qui seraient chargés de le défendre... c'est un livre qui ne rentre pas dans une catégorie, c'est pas un essai, ça pourrait l'être, c'est pas vraiment un témoignage mais ça l'est aussi, alors au bout du compte je dis que c'est un roman, je pense qu'à partir du moment où j'ai fait parler le virus du sida...


Oui, parce que ça, c'est l'autre élément du trouble, c'est que dans ce livre-là, et à ma connaissance il n'y en a pas beaucoup qui en font autant, vous donnez la parole au mal, qui aujourd'hui en effet est le mal absolu, le mal qui à l'intérieur même du roman tue les personnages...

Il les a tués déjà... oui... est-ce que c'est le mal absolu ?... Ce qui est écrit aussi dans le livre, c'est que le mal absolu, c'est peut -être de ne pas regarder le mal...


L'indifférence...

Oui, l'indifférence... mais l'indifférence quelquefois ça n'est pas voulu, alors qu'il y a aussi une volonté de ne pas regarder le mal, il y a une forme d'organisation qui est basée, bâtie sur : ne pas regarder le mal... Ce que j'ai essayé d'écrire, c'est que ce qui fonde la vie, c'est aussi de ne pas regarder le mal, que tout se ramène finalement à ça... Le virus du sida, le pauvre, il a fait son travail de virus du sida et si je lui ai donné la parole c'est parce que justement je me suis dit que personne ne pouvait raconter, que j'en étais là, que personne ne pouvait raconter ce qui s'était passé et que justement celui qui pourrait le mieux le dire, ce serait le virus du sida... mais à partir de là on est quand même dans un romanesque, c'est pour ça qu'on peut dire que c'est aussi un roman mais c'est vrai que je ne raconte pas vraiment une histoire...


Non, c'est pas vraiment un roman à l'eau de rose... donc, il parle, il monologue, ce virus dans un livre écrit par un autre, un certain Sang Inquiet, qui est séronégatif, et qui vit avec Or Vif...

Sang Inquiet, c'est celui qui écrit le livre... donc c'est moi... et Or Vif, c'est la personne avec laquelle je vis, oui...


Sang Inquiet, c'est de l'encre noire...

Qu'est-ce que vous voulez dire ?


II est très noir...

Je ne crois pas.


... par son inquiétude même...

Non, ce qui est noir c'est justement de ne pas être inquiet, alors franchement je trouve que les gens qui vivent sans être inquiets sont... inquiétants... et qu'est-ce que ça veut dire être noir ?...


Noir comme l'encre...

Mais encore...


l'encre de l'écriture de ce livre... parce que c'est tout de même un livre...

ah oui, c'est un livre...


un livre ça ne s'écrit pas avec rien, ça s'écrit avec son sang, c'est-à-dire avec de l'encre...

Oui mais ça reste des mots... on ne sait pas en fait ce que c'est... et quand on a écrit un livre, on se dit que si ce n'est qu'un livre c'est pas la peine, si ce n'est qu'un livre...


Et qu'est-ce que ça peut être d'autre...

Peut-être qu' on écrit aussi pour le savoir... je crois qu' on se pose tout le temps la question... mais vous me disiez c'est noir, je sais que les gens qui ont aimé ce livre ne l'ont pas ressenti justement comme un livre "noir", ils l'ont ressenti comme un livre qui, je ne sais pas, qui leur donnait envie de lutter, qui n'était pas un livre désespéré, et que justement peut-être en disant le désespoir, en disant le mal, en approchant le mal, c'est là qu'on s'en sortait... C'est quand même ce que j'ai voulu raconter : que mes amis qui sont morts, ou ceux que je ne connaissais pas, j'ai eu l'impression que justement ils n'étaient pas morts pour rien, et que c'était le silence des autres qui voulait que cette mort soit vraiment une mort définitive... Dans la première page, je parle de colera alegria, j'ai voulu écrire une colère joyeuse, parce que ceux qui sont morts, dont on n'a pas parlé, n'ont pas cessé de rire, n'ont pas eu peur d'affronter leur mal... Mais la vraie question c'est quand même celle que vous m'avez posée, vous me dites c'est un livre, évidemment c'est un livre mais on se dit quand même, même si on a écrit ça, qu'un livre c'est pas grand-chose quelquefois, on ne peut pas se contenter de se dire qu'on a écrit, parce que quand on a écrit un livre on se sent un peu "quitte" aussi avec ce qu'on a écrit... je crois qu'on écrit pour savoir ce que c'est qu'un livre...


Qu'est-ce qu'il vous a appris ce livre-là sur vous-même ?

Il m'a appris que j'étais encore en vie... je ne sais pas s'il m'a vraiment appris quelque chose sur moi-même... et il continue de s'écrire ce livre, peut-être qu'il m'apprend presque plus de choses maintenant, peut-être qu'il me met aussi au pied du mur maintenant, puisqu'on parlait du silence qui peut aussi entourer ce livre, se dire : qu'est-ce que je fais maintenant, par rapport à ce livre ? est-ce que je me dis : je l'ai écrit voilà ou est-ce que je le défends ?... Et les autres continuent à écrire ce livre, je crois qu'on écrit avant, on écrit pendant et on écrit après, on écrit même quand on n'écrit pas. Est-ce qu'il m'a appris quelque chose sur moi ? je ne sais pas si on attend d'un livre... c'est pas une psychanalyse, un livre... on n'attend pas d'écrire un livre pour apprendre des choses sur soi, je crois que c'est plus d'aimer qui vous apprend quelque chose sur soi... c'est la confrontation au mal aussi qui vous apprend quelque chose sur soi, je n'essaie pas de me chercher dans mes livres... je pense que quand on écrit il ne faut pas non plus avoir une idolâtrie de la chose écrite, il faut être assez humble aussi, il faut aller vers les mots mais les mots... il y a quelque chose de très impuissant dans les mots, j'ai toujours dit qu'on écrivait plutôt entre les mots que les mots eux-mêmes... en même temps il y a cette chose quand on a écrit de dire : c'est écrit, alors c'est écrit c'est fini, et moi je déteste ce qui est fini, je ne crois pas a la fin, je ne crois pas à la fin d'aimer quand on aime, et je ne crois pas à la fin d'un livre, je pense que ce livre je l'avais commencé avant, que je le continuerai après...


II n'y a pas de dernier mot...

Non... on aimerait...


Même pour le virus...

Vous savez le virus, je l'ai fait parler mais je ne le connais pas si bien que ça, je crois que celui qui a écrit le livre... qui n'est pas totalement là, parce que c'est quand même un grand problème de venir parler de son livre, d'un livre, peut-être d'un livre comme celui-là...


C'est pas vous Jean-Michel Iribarren... ?

Oui, mais... vous savez j'aime beaucoup Barbara et elle disait : quand je chante c'est moi et ce n'est pas moi alors c'est moi et ce n'est pas moi... C'est peut-être ça, la recherche de soi-même...


Et là c'est qui aujourd'hui qui est en face de moi... ?

Ecoutez, c'est celui qui a écrit le livre qui est dans un studio de radio et qui... qui écrit mieux vraisemblablement qu'il ne parle...


Ou l'inverse...

Qui parle mieux qu'il n'écrit ?...


C'est possible, non?

... oui, j'aime bien parler... j'aime bien parler de ce que j'écris... il faut trouver le mot, la chose qui va vous faire dévider la pelote, quand on parle... Vous savez, j'ai écrit un livre à propos des homosexuels qui sont morts et je sais qu'il y en a qui se sont dit : bon c'est très bien ce qu'il écrit mais ce n'est qu'un livre, lui il n'a pas milité, il n'a pas combattu, il est séronégatif en plus, ce n'est qu'un livre... ils n'ont pas tout à fait tort non plus mais ils ont tort aussi quand même, parce qu'un livre c'est quand même beaucoup, on ne peut pas dire que c'est tout mais c'est quand même beaucoup... peut-être que c'est ça aussi le silence sur ce livre, c'est de mésestimer la force d'un livre... parce qu'il y a une force des mots... et que les mots peuvent aller contre la mort, contre le mal...


Ça, vous le pensez ?...

ah oui si je le dis, quand même...


C'est une drôle de confiance que vous leur faites aux mots...

Oui mais regardez... Je sais que le personnage que j'appelle Tête Perdue dans le livre, mon meilleur ami, qui est mort en 1993, qui était écrivain, Hervé Loyez, je sais que cette histoire avec lui continue et je sais qu'elle a beaucoup continué par les mots, ce qui prouve bien que les mots ne sont pas que les mots... Si je devais un peu mieux expliquer : il y a eu dans beaucoup de choses qu'il a écrites et que j'ai écrites avant sa mort, des choses qui anticipaient sur notre histoire "après" la mort... vous savez quand on pense que quelqu'un est mort mais qu'il est quand même encore avec vous, on est bien désemparé devant cette présence qu'on sent et qui est quand même absente, elle est quelque part, si on en est persuadé elle est quelque part, elle peut être dans les mots... c'est peut-être un peu bizarre pour celui qui entendra ça... mais oui je leur fais confiance aux mots, c'est un fait, mais je ne les crois pas tout-puissants, et puis je pense qu'il y a les mots et puis il y a les mots, et puis il y a ce qu'il y a entre les mots, et puis il y a sa propre vie quand même, je pense qu'on ne peut pas dissocier les mots de sa propre vie, et que beaucoup d'auteurs écrivent, et sûrement moi aussi, sans se dire : où est ma propre vie dans tout ça ?... vous comprenez, si l'on est qu'une institution, ou quelqu'un qui vient faire son livre comme ça... les mots se vengent de ça, les mots attendent quelque chose dans votre propre vie... les mots exigent de vous, ou alors ils vous rattrapent...


Vous n'êtes pas le maitre du jeu (je)...

On l'est trop et pas assez, on l'est trop parce que rien ne vous empêche quand on écrit, on se sent un peu tout-puissant... on ne l'est pas assez parce que tout ce qu'on cherche à dire on ne l'atteint jamais, qu'on a vraisemblablement trop parlé de soi aussi, qu'on veut écrire pour se déporter de soi mais que les mots vous ramènent toujours à vous-même quand même... je ne sais pas si cela a un rapport quand vous me demandiez : se connaître soi-même...


Je vous ai demandé ça, moi ?

Oui... vous m'avez demandé si en écrivant je me connaissais mieux...


Je vous ai demande ce que le livre vous avait appris sur vous-même...

Ce n'est pas la même chose... ?


Pas tout à fait mais enfin ne chicanons pas... II y a les mots et il y a les noms, il ya les noms que vous avez donnés aux personnages: Tête Perdue, Sang Inquiet, Or Vif... comme des noms d'indiens...

C'est un peu ça oui... c'est parce que je ne voulais pas que ces noms soient... je voulais un peu qu'ils soient symboliques, emblématiques, que ce ne soit pas totalement la réalité, mais j'ai donné aussi d'autres noms... voilà, ça c'est fait comme ça, je n'étais pas à Paris d'ailleurs, je réfléchissais à ça et j'ai trouvé ces noms-là, Sang Inquiet, Tête Perdue, Petit Balafré... mais bon, il ne faut pas y voir plus qu'il n'y a...


Et les indiens ont subi toujours de terribles hécatombes...

Peut-être, c'est vrai que quand on écrit il y a beaucoup de choses qui... on se dit après : tiens j'ai écrit ça... effectivement, peut-être... peut-être c'est en ça qu'un livre n'est jamais fini parce qu'il s'inscrit dans un lien, alors pourquoi pas, oui, avec les indiens... c'est drôle ce que vous me dites parce que j'en parle presque plus dans le livre que je viens d'écrire, de l'histoire des indiens...


Vous écrivez sur les indiens...

Non. Mais j'ai écrit un livre là, mais je ne sais pas si c'est très intéressant qu'on en parle maintenant, à propos des deux petits Guinéens qui avaient été trouvés morts dans la soute de l'avion il y a un an... j'ai imaginé un dialogue entre moi et un des garçons de cet avion... et c'est vrai que là, il y a des histoires d'indiens oui...


Et là dans L'Insecte, il y a une ligne, le livre suit une ligne qui est une ligne de partage entre "eux" et "les autres"...

Alors il faut que je vous dise qui sont "eux" et qui sont "les autres"... ? C'est ça ?


Bien, oui... mais vous pouvez y renoncer aussi mais ça serait dommage parce que c'est quand même au centre du livre...

"Eux", ce sont les homosexuels qui sont morts du sida et ceux qui étaient à leur côté, les homosexuels qui étaient a leur côté; alors "les autres", c'est... comment dire ? C'est le grand problème des autres, les autres ! Beaucoup me disent : "les autres", c'est les hétérosexuels, je sais qu'on a envie que ce soient les hétérosexuels, c'est vrai que ponctuellement dans cette histoire du sida c'est les hétérosexuels mais pour moi ce livre ne tient pas si on dit que "les autres" ce sont les hétérosexuels, "les autres" c'est : tout le monde, et "eux" se sont détachés des autres dans cette histoire du sida, ils sont devenus : eux.


Tout le monde, c'est-à-dire...

Tout vivant. Tout vivant qui participe a cette perpétuation de la vie, à ce système qui ne veut pas regarder le mal... tout ce qui est complice de ce qui fait la vie...


Vous laissez entendre que "les autres", ce sont les vrais malades... ceux qui disent n'importe quoi, qui disent par exemple que le sida a tué l'amour...

Oui, cette chose du sida qui a tué l'amour, alors ça je... le problème, c'est qu'il faudrait que je raconte tout le livre si je me mets à parler de ça, parce que le sida n'a pas tué l'amour non, ça arrangeait de dire que le sida tuait l'amour mais le sida n'a jamais empêché personne d'aimer... je pense que ce qu'on appelle l'amour est quelque chose qui soutient aussi ce que j'appelle le système de la vie... aimer vraiment c'est aller contre la vie, vous savez cette histoire de dire que l'amour est plus fort que la mort... on nous fait croire que l'amour est partout alors que c'est faux, parce que s'il était vraiment partout la vie ne serait plus ce qu'elle est... aimer va contre la vie... et le sida n'a pas tué l'amour mais le dire c'était un moyen de laisser dans le silence la mort des homosexuels...


Le sida n'a pas tué le rire non plus...

Non, parce que tous ceux qui sont morts ont beaucoup ri, beaucoup vécu, sûrement bien plus que ceux qui sont vivants, et qu'on plaisantait de la mort... Un jour je me suis levé, à un de mes meilleurs amis je lui ai dit : "alors pas encore mort !"... il y a eu une extraordinaire dignité là-dedans... et beaucoup de vie... Moi, ce qui m'embête aujourd'hui, c'est que j'ai l'impression que, même chez les homosexuels, on ne veut pas parler de cette histoire du sida, parce que la vie aussi fonctionne comme ça, sur l'oubli... alors que je pense que, si on n'oublie pas, si on regarde le mal, si on regarde la mort, c'est là qu'on est vraiment vivant, je pense que c'est ceux qui oublient, ceux qui n'ont plus la mémoire, ceux-là sont morts... et ça se retrouvera...


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"L'envol"

 
lettres à ma mère - lettres de ma mère


(lettre à ma mère)

Paris - 22 janvier 86

Maman chérie-

J'étais hier à la première de Barbara : c'est magnifique, grand, bouleversant et puis c'est elle, elle, ELLE presque plus qu'en récital-
Je crois que les rappels étaient encore plus enthousiastes qu'à la dernière de Pantin et c'était la première !
C'était très beau-
Quel grand acteur Depardieu assez humble pour s'effacer au service entièrement du monde de Barbara-
Toi qui l'aimes, il faut que tu viennes-
Je t'embrasse très fort ainsi que Papa-
Jean Michel ©

Jean-Michel Iribarren


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