Jean-Michel Iribarren

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"Vie d'Ange" 1990

 
résumé : vie de Ange Tournoyeur, qui à l'âge de 18 ans décide de mourir jeune, à l'heure qu'il choisira, seule réponse qu'il trouve pour se venger de l'horreur : Ange voulait mourir du temps de sa jeunesse. Sa volonté était à la mesure de la rage qu'il mettrait à vivre et qui sait à regretter la vie : il était le désordre à lui tout seul.

(extrait) « Dès le premier instant Ange ne fut pas à sa place. Étranger dans sa propre famille. Entre ce père et cette mère ordinaires. Lui, reproduction en millions d'exemplaires du sexe masculin. Elle, victime consentante, rebelle de pacotille. À partir du jour où Maurice eut un fils il s'en désintéressa. Ange était avant tout l'assurance d'une descendance. Son comportement ne serait jamais que la réplique de l'idée qu'il se faisait du rôle de père, la même qui était celle de son propre père. Odile, elle, aimait Ange comme on porte sa croix. Il était celui qui l'avait empêchée de se réaliser, elle le disait comme un refrain. Odile aimait douloureusement. En représailles, elle refusa d'avoir un autre enfant. Ange l'aperçut plusieurs fois dans sa cuisine en train de s'avorter. Souvent il revoyait le visage blême de sa mère qui faillit bien y laisser sa peau. Ange n'était pas de chez eux et pourtant Maurice et Odile étaient bien son père et sa mère. L'indifférence submergea la famille. Ange n'aimait pas ses parents. Il mit le nez dehors. Il sortit dans la rue. Le choix n'attendit pas. © »

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Vie d'Ange

L'œil gauche de Vladimir

Le violeur

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'œil gauche de Vladimir" 1991

 
résumé : une nuit de Paris, noire, sans électricité, un homme et une femme sous les toits, un moine à la recherche d'un livre, un assassin, et Paris comme une femme veillant sur ses enfants.

(extrait) « Le soleil brillerait et le ciel serait bleu ce dimanche. Paris était tranquille comme elle le fut parfois, après toutes les guerres qui l'avaient éprouvée. Huit heures et demie. Les cadavres étaient ceux des voitures dépecées qui encombraient les avenues et les rues, des vitrines brisées, des portes enfoncées. La neige était redevenue blanche. Près de la gare Saint-Lazare, il y avait des gourdins jetés sur les trottoirs. On ne saurait jamais les mains qui les tenaient. Beaucoup plus tard, la Seine rejetterait un corps, quelque part en banlieue. Dans chaque arrondissement, quelques feux de bois achevaient de brûler. La fête était finie. Avec elle s'en allaient les sorciers et leurs enchantements. On se serait cru au printemps. Des oiseaux chantonnaient dont on ignorait de quel pays ils s'étaient envolés. Une vieille femme en guenilles chantait à tue-tête dans le quartier des Halles. Elle criait : "vive la jeunesse !" et se moquait des guerres qu'on déclarait à onze heures du soir. "Onze heures du soir !, répétait-elle en rigolant, c'est un monde !" On la prenait pour folle. Et la folie avait perdu ses droits. Huit heures et demie. On s'acharnait déjà à refaire l'Histoire. L'ordre était de retour, impatient, hautain, humilié, avec au coin des lèvres la soif de se venger. Pressés par leurs parents délivrés, des enfants reprenaient les chemins de l'école, cartables sur le dos. Mais ils n'étaient pas dupes. Certains avaient même un drôle de sourire et quelques traces ocre sur les mains. Bien sûr, le bruit des sirènes tonitruait et les flics avaient encerclé tout le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Mais des sirènes et des flics, il y en avait toujours eu. Le jour allait reprendre toute la place. C'était un dictateur, le jour, un dictateur sans ambition. Mais que pouvait-il faire contre ceux de la nuit, les affamés qui n'avaient rien bâti, rien qu'une nuit immense qu'ils n'en finiraient pas de perpétuer ? A huit heures et demie, ce matin-là, trois d'entre eux se dirigeaient vers une même église. Un moine à l'allure joyeuse. Sa robe de bure était abîmée, ses traits creusés mais, à le voir, on ne pouvait s'empêcher de penser qu'il courait vers un rendez-vous important. Ses pas s'accéléraient, pourtant il s'arrêta plusieurs fois sur sa route. Des gens qui avaient perdu leur chemin, un garçon pour qui il acheta une baguette de pain. Ailleurs, un homme et une femme marchaient lentement. Ils ne se disaient rien. La femme aux lunettes noires portait dans ses bras une sculpture d'ange. L'homme trébuchait souvent car il la regardait. Il la tenait par l'épaule. Tous deux semblaient se rendre à un destin auquel ils n'échapperaient pas. La scène s'était déroulée quelques minutes auparavant, lorsque les premiers rayons du soleil les avaient réveillés. Leur nuit était bien trop grande pour ce soleil-là. Si leurs pas étaient lourds, c'est qu'ils l'emportaient avec eux.© »

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L'œil gauche de Vladimir

Le violeur

H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"Le Violeur" 1993

 
résumé : Deux ans de la vie d'Alexandre de Beaumanoir au collège Barbe Bleue, loin de Paris adoré, Alexandre le solitaire, différent, qui fera le chemin pour découvrir les mystères du château Barbe Bleue, de vie et de mort, jusqu'à trouver l'amitié, et la liberté toujours à recommencer.

(extrait) « "Mes chers amis", les yeux se tournèrent vers le chanoine, sa voix blanche, "j'ai voulu que ce dernier jour du collège soit heureux. La Vierge, notre mère, nous aura tant donné ! il ne manquerait plus que nous soyons ingrats ! Ma conviction profonde demeure qu'Elle ne nous abandonnera pas. Comment vous expliquer ? Le Christ nous aura appris à nous méfier des choses de ce monde. Le collège est victime des choses de ce monde, ce n'est rien. Nous préparons le royaume de Dieu. Bien sûr il commence ici-bas, je n'aurai eu de cesse de vous le répéter, je vous conjure encore de bannir l'indifférence de vos regards, ayez les yeux ouverts ! Alors vous verrez bien qu'il n'est pas question de renoncer. Tant que nous sommes sur la terre nous n'aurons pas terminé. Priez ! Nous ne sommes pas les seuls à prier, tendez la main ! Il serait bien présomptueux de vouloir tout expliquer, je voudrais vous exhorter à ne rien oublier des jours passés à Barbe Bleue, rappelez-vous cette liberté donnée par Dieu, vous n'imaginez pas combien nous sommes libres ! comme nous aurions tort de nous apitoyer sur notre propre sort ! restez libres ! j'ai confiance en la Providence, elle a toujours pris soin de Barbe Bleue, la Providence c'est le regard de Dieu, son regard miséricordieux. L'abbé Servajean, le fondateur de ce collège, avait raison : l'âme n'aura jamais fini de gagner sa liberté ! Ceci est une épreuve, nous ne cessons d'être éprouvés et je m'en réjouis ! Oui, croyez-le, je quitterai Barbe Bleue joyeux. Ayez la foi qui animait notre cher professeur Lucien Zot, ne cherchons pas le salut dans les choses de ce monde, le Ciel a tant fait de miracles, il en refera d'autres !" Alexandre parcourait le visage impassible de sœur Monique, bien incapable de savoir si elle acquiesçait aux propos de son vieil ami, elle aussi regardait des absents, souvenir de miracles qui n'avaient pas eu lieu, son port de tête majestueux semblait dire que le seul miracle résidait dans sa présence à Barbe Bleue ce jour-là, il n'était pas sûr non plus que le chanoine acquiesçait à ses propres paroles, si souvent il l'avait entendu ainsi pérorer, pas plus tard que ce matin, si souvent il l'avait vu fermer les yeux après s'être tu, on se moquait de cette douleur trop éloquente sur son visage, Alexandre n'y avait jamais vu un jeu, tout au plus une emphase qui suppliait qu'on le croie, chez Laberge le désespoir côtoyait toujours de près l'expression de la foi, c'était lui qui l'avait attiré derrière la porte de la bibliothèque, sans une explication, peut-être en espérant n'être pas entendu, comme s'il pressentait la fin sans vouloir s'y résoudre, Alexandre se souvenait de sa visite à l'hôpital Saint-Louis, la mine défaite lorsqu'il était entré, et au moment de prendre congé l'insistance à faire comme s'il ne s'était rien passé, c'était la même chose aujourd'hui, Laberge se forçait à nier une destruction dont il était en partie responsable... © »

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H

L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"H" 1994

 
résumé : Après la mort de H à trente-cinq ans. Tout commence : "qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur".

(extrait) « (lettre de JM à H, 28 juillet 1991) samedi soir au Transfert j'ai vu Alec. Nous avons beaucoup parlé, y compris du sida. De ces choses qui nous maintiennent entre la vie et la mort et que les autres ignorent. Je lui ai dit que je t'aimais de plus en plus, un peu en riant. Mais c'est pourtant vrai. Je pensais récemment que si j'avais à choisir entre toi et le roman, c'est toi que je choisirais, même si ce choix n'a pas de sens. Notre amour n'est pas une prison. Nous sommes au-dessus de tout. Qui sait ? peut-être même qu'un jour la mort ne nous fera plus peur. Je voulais t'écrire cette lettre pour que tu t'ennuies moins là-bas. Ici à Paris je ne pense pas trop à ton absence parce que je sais que nous allons vite nous revoir. La vie peut bien continuer qu'importe ! tu es là. JM… PS1 : je pense souvent à tout ce que nous avons fait ensemble ces 2 derniers mois. PS2 : j'ai écrit cette lettre dans ma tête dans la nuit de samedi (aux entrepôts... tu peux comprendre !) © »

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"L'acharnement de soi-même" 1995

 
résumé : une parenthèse dans la vie de Hugo, l'hôtel du Palais dans une ville qui ressemble à Amsterdam, la mer. Le cercle des amis de Hugo au Palais dont il est la lumière alors que lui-même essaie de survivre à la mort de Vincent. Cette ville où la chanteuse Bill Feria dit-on s'est suicidée dans la tour qui porte son nom désormais.

(extrait) « On croyait à l'esprit. On baisait n'importe où, dans la vigilance de l'esprit. La vie ! J'aurais compté mes sous, j'en aurais gagnés toujours plus, j'aurais donné des coups de pied dans les carcasses qui m'empêchaient de marcher, jusqu'à ne plus les voir. Je ne t'aurais jamais quitté, t'aurais gardé pour moi, jusqu'à ne plus savoir quoi faire de toi. Je me serais interdit toute pensée, n'aurais jamais choisi, je m'en serais remis aux choix d'il y a longtemps, je serais mort ainsi, parce que c'était la vie. L'animal cherchait sa proie, là en plein jour, il buvait l'eau du fleuve, il dévorait à tout venant. Il se mit à pleurer. A son tour il se fit dévorer. Gisant, couvert de mouches, il entendait encore battre son cœur. Il décida alors de glisser dans la nuit, il s'y engouffra auréolé de toutes ses blessures. Tout changea. Les mouches une à une s'en allèrent voir ailleurs, elles ne supportaient plus l'odeur, ses yeux cherchèrent et cherchèrent, il se surprit à voir mieux qu'en plein jour. Finalement je t'ai laissé aller, j'ai gardé dans ma main des traces de baisers, sur mes lèvres des mots, un jour je me suis décidé à choisir, jamais comme ils voulaient, de doute en doute on s'est gardés : ce fut la nuit. On avait tant souffert, ton agonie la mienne, je ne voyais plus rien, parfois je t'entendais sourire, je décidai de rester. A l'animal tu pris sa chair défaite. Il me donna ses yeux. La nuit s'illumina à force de noirceur, le jour devint un souvenir de mort. Aujourd'hui on ne sait plus. Parfois je sens ta langue qui lèche la plaie qui se réveille. Pour toi je m'en vais rôder dans les terres d'avant, j'y sème le désordre, je fais tout à l'envers et lorsqu'on se retrouve tu me donnes raison. J'attends le jour où s'allumera la nuit et où les animaux retrouveront leur mère. Ils pueront des carnages anciens, ruisselleront d'écume dans le creux de leurs yeux. Ce sera la fin. A moins que toi et moi on invente autre chose. © »

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L'œil gauche de Vladimir

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"La solitude du Mal" 1997

 
résumé : des meurtres sans explication, œil crevé et sable sur le sol, qui ressemblent au roman noir qu'écrit Léo Tirictiscu au moment où il rencontre Coutil, rencontre qui fera s'envoler la frontière entre le livre et sa vie.

(extrait) « Les articles publiés, Léo renonça à les lire. La mort toujours trimbalait une vérité inaccessible. Et ceux qui s'essayaient à en parler ne pouvaient que se tromper. Ils se trompaient avec cette belle assurance que donne l'ignorance. Pour approcher la vérité il fallait accepter le jeu de la mort, presque devenir son complice, avoir du sang sur les mains ou égratigner l'âme. Léo préférait rester à l'écart de cette comédie. Il assistait incrédule aux tâtonnements d'Angel pour écrire. Rien ne l'y prédisposait. Ce n'était pas un choix. Là résidait le point commun entre le meurtre et l'écrit. Chacun avait fait irruption sans prévenir. Sans réfléchir. Angel écrivait comme il tuait, sans se poser de questions. En cela il restait le même, il ne trahissait rien. Léo découvrait que destin et liberté œuvraient dans le même sens. Il aimait qu'Angel en soit arrivé là, à son insu. Angel allait-il continuer à écrire ? La persévérance, Léo la lisait dans le regard du vieil homme du début. Cette manière abîmée d'être encore là. Oui, il aimait qu'Angel écrive parce qu'il se sentait justifié. Justifié de ne pas l'avoir abandonné. Tant de fois il y avait pensé. Justifié d'avoir vu au-delà. Au-delà d'Angel même. Il songea à intituler son roman : "Tuer d'abord". Cette nouvelle proximité avec Angel lui était cruelle. Cruelle quand il pensait à Coutil. Depuis l'incarcération de ce dernier, Léo écrivait encore plus. Il ressentait comme une trahison. Sans Coutil il n'y avait pas d'Angel. Angel n'avait pas été arrêté alors que Coutil était emprisonné. Pourtant il lui semblait que la force était du côté de Coutil. Léo savait qu'il avait davantage besoin de son ami que le contraire. Mais si David voulait fuir parfois, Coutil lui voulait rester. La présence de Coutil donnait envie de vivre. Cette contradiction s'imposait à lui de toute son évidence. L'absence de Coutil le retranchait du monde. Il se décida à rappeler Gaby Steamer qui accepta de le revoir. Ils se rencontrèrent dans un café quai de la Tournelle, à proximité du Quai des Orfèvres. Ils ne parlèrent que peu des événements récents. Léo lui répéta qu'il était convaincu de l'innocence de ce Jérôme Cristie. L'inspecteur de police ne l'écoutait pas. Elle ne le croyait plus. Elle préférait parler de son nouveau dîner avec Restif. Pour elle l'affaire était classée, elle profitait d'un répit bien mérité. Alors ils reparlèrent des livres. Ce fut surtout Léo qui parla. Elle le quitta bouleversée. Le lendemain on frappa à la porte de Léo. C'était le quatorze juillet. Léo fut arrêté ce jour-là. Coutil venait de l'accuser. Gaby Steamer n'était pas présente pour l'arrestation. © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"Amalia" 1998

 
résumé : Amalia Sané photographe, qui vit avec Tadzio le petit singe de Lisbonne, Amalia dont personne ne veut des photos et qui recherche pour se venger celui qui un jour lui a donné sa caméra (VL), Julien Rivière, le seul qui la comprend, le plus beau.

(extrait) « Je fais "chut" en mettant un doigt sur les lèvres. Je porte une jupe noire serrée mais pas celle pour les clients. Puisqu'il ne peut pas parler il m'embrasse. Un seul baiser sur une joue. Je pense à Judas que je suis. Surtout j'oublie ce qui s'est passé le matin. Lorsque Julien est près de moi il y a autre chose qui s'éloigne. Elle ne cherche pas à retenir ce qui s'éloigne. C'est la première fois qu'il m'embrasse. Je ne lui ai pas rendu son baiser. Ce ne sont pas les photos qu'il voit d'abord c'est Tadzio. Pourtant il est blotti au coin du lit, il se confond au reste. Julien comprend pourquoi je lui ai demandé d'être silencieux. On dirait qu'il connaît cette chambre. Il est chez lui comme dans la maison à Trouville. Pourtant il n'est pas chez lui partout, elle le sait. On va se parler en chuchotant comme on parle devant une tombe. Il demande : "Qu'est-ce qui s'est passé ?" Je le regarde, j'essaie de comprendre comment il a deviné que Tadzio ne dort pas comme d'habitude. C'est moi, il a dû lire sur mon visage je dois être laide. Pourtant il m'a embrassée. Lui expliquer ce qui s'est passé ce matin, ce serait parler de la manipulation. Et la manipulation c'est lui. Encore une fois elle se piégeait elle-même. Face à Julien je n'avais pas d'autre solution que de dire la vérité. Il suffisait de le regarder. Il caressait Tadzio doucement. Si doux que le petit ne se réveillait pas, il poussait juste les petits soupirs que je connais bien, les petits soupirs de Tadzio au bord de la souffrance quand il se réfugie dans le sommeil. Tadzio a commencé à aimer Julien dans le sommeil, sans un mot, même un regard. Et la voilà qui s'attendrit ratatouille comme si la manipulation n'avait jamais existé. Ou plutôt elle s'attendrit en pleine manipulation. C'est une photo qu'elle ne fera pas. Il n'y a que les photos pour échapper à la manipulation parce que les photos aussi sont dedans. Une photo qui n'y est pas tu la jettes. Expliquer à Julien l'agression de Tadzio, c'était commencer par lui montrer des photos. C'était raconter Mamoudou. Tout raconter. Il va en falloir des jours si elle veut tout lui dire. Tout en sachant qu'il y a une limite au-delà de laquelle la vengeance se bouchonnerait toute seule. Ce jour-là elle a commencé à jouer avec cette limite. C'est un jeu qu'elle déteste jouer avec Julien et en même temps il lui plaît. Elle revoit les yeux de Lucifer au zoo de Lisbonne. © »

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L'acharnement de soi-même

La solitude du mal

Amalia




"L'Insecte" 1999
Éditions du Seuil - collection Solo, dirigée par René de Ceccatty
 


résumé : monologue du virus du sida : On a beaucoup parlé de moi et pas d'eux.

(extrait) « et d'ailleurs : comment dire exactement en quoi cette histoire fut refusée, comment démontrer clairement que les autres les ont ignorés eux qui se mouraient du sida, comment le démontrer au-delà de ce que moi, virus du sida, j'ai déjà pu dire ici : ce que je crois, au bout du compte, c'est que leur histoire à eux fut refusée par les autres parce que jamais on ne pourra clairement expliquer en quoi elle a été refusée, parce que cette ignorance d'eux qu'ont eue les autres, ce refus d'eux qu'ont eu les autres, tout cela est inexplicable, presque indémontrable, comme les autres sont indémontrables, inexplicables, c'est peut-être bien la plus grande force qu'ont les autres : jamais on a prouvé leur existence, les autres agissent sans jamais pouvoir être identifiés, comme si les autres n'existaient pas, et de même jamais on ne pourra vraiment autopsier ce silence que les autres ont eu pour eux, jamais on ne pourra vraiment identifier l'ignominie que les autres furent vis-à-vis d'eux, parce que les autres sont le mal suprême, le mal qui a réussi à faire croire à son inexistence, qui sera toujours hors les mots, indémontrable, et si l'implacable système immunitaire qui protège et "la vie" et les autres est aussi implacable c'est parce que personne ne sait qu'il existe, alors que faire : revenir à eux, parce que eux savent que les autres existent bien, parce que eux savent que les autres les ont laissés crever sans dire un mot, parce que eux ont mis à jour l'implacable système immunitaire de "la vie" et qu'ils nous ont laissé cette preuve irréfutable : leur mort. © »

article dans "Le Monde": https://archive.is/VyGL

Amazon: https://www.amazon.com/Linsecte-French-Edition-Jean-Michel-Iribarren/dp/2020407205

voir interview France Culture

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L'insecte

Yaguine

Undead

Wild Samuel

Géant

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Matteo le magnifique




"Yaguine" 2000

 
résumé : dialogue entre JM et Yaguine, l'enfant malien mort caché dans la soute de l'avion qui devait le porter jusqu'à la France.

(extrait) « Amadou, Aïssa, Koli, soeur Mouna, soeur Koumba : l'amour des hommes. S'il a cru, c'est bien grâce à l'amour des hommes. L'amour des hommes ça te fait croire à la France, ça peut te faire croire en tout. L'amour des hommes pourrit à côté de lui dans la soute, congelé, étouffé. L'amour des hommes pourrit juste à côté de la vie. Exactement comme il a vécu : à côté de la vie.

Il ne reste plus que lui à tuer. Ce sera un suicide. Le contraire de ce qu'il avait prévu. Est-ce que Dieu se suicide ? Non, trop timide Dieu, pas eu le courage. Il fera ce que Dieu n'ose pas : Dieu n'a jamais osé suicider la vie. Il nargue l'oeuvre de Dieu. Plus le temps de prier. Il a trop prié, trop passé de temps à remercier Dieu d'une œuvre que lui-même, Dieu, avait renoncé à terminer depuis longtemps. Il se demande : timide, Dieu, ou content de lui ? Une oeuvre n'est jamais finie. Comme un livre. Il en a lu des livres. C'est parce qu'elle écrivait qu'il a voulu la France. Il n'aura pas la France. A cause des livres impossibles à terminer. Dieu, lui, n'a écrit qu'une seule fois et puis débrouillez-vous ! Il s'est débrouillé. Personne n'a jamais imaginé ce qui s'écrit dans l'âme d'un garçon africain.

Tout est tué. L'argent et la peur. La vie aussi agonise autour de lui. Il n'a rien dit à Fodé qui prie à ses côtés. Il a juste voulu le protéger, parce qu'il a eu honte des mensonges qu'il lui avait racontés. Il vole recroquevillé au creux de la vérité maintenant.
- N'aie pas peur petit frère, c'est rien. On sera un secret tous les deux.
- Comme dans les histoires ?
- Si tu veux, les histoires de quand on était petit. Serre-toi plus fort.
- Tu es chaud !
- C'est le soleil.
- Donne-le ! © »

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Yaguine

Undead

Wild Samuel

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Matteo le magnifique




"Undead" 2002

 
résumé : autobiographie.

(extrait) « j'ai marché toute la journée, je sais plus où, dans ces grandes avenues où je sentais le souffle de ma vie, où ma vie était déjà là sans moi qui m'attendait, y avait en ce temps dans Paris une partie de moi qui me courait après, qui désarmait pas... vers le soir j'ai pris le chemin du retour, je suis monté dans un bus qui me ramènerait chez moi, rien avait changé, simplement j'avais arrêté de travailler le temps d'une journée, j'étais assis au fond du bus, à un moment j'ai regardé en face de moi : il devait avoir mon âge ou un peu moins, il était blond, il était magnifique de beauté, je lui ai jamais parlé, il sait pas qui je suis, je lui dois tout... c'est en le voyant lui, ce garçon blond qui avait je crois un manteau vert, qu'en une seconde j'ai basculé : vers moi, pour ce que j'ai toujours appelé l'acceptation, pas la résignation, l'acceptation des garçons, que ce serait ça et pas autre chose, que depuis toujours j'étais homosexuel, sale mot mais puisque c'est le mot : c'est ce que j'étais, en une seconde ça m'a paru magnifique de l'être, et stupéfiant d'avoir tant attendu, j'allais le dire à la terre entière, la terre entière allait le savoir, je voyais celui que j'étais déguerpir sans demander son reste, il reviendrait plus jamais, je le plantais là l'inaudible, il me laissait aucun regret, il me dégoûtait presque et avec lui tous ceux qui l'avaient forcé à rester inaudible... en même temps j'avais envie de leur dire merci à ceux-là, tous, les humiliateurs, les empêcheurs, je leur devrai toujours tout aux humiliateurs et aux empêcheurs, je leur devrai toujours cette seconde dans le bus, sans eux y aurait jamais eu cette seconde, ce moment où tout a basculé, où demain s'est écrit d'un seul coup, tout ce qui allait venir, j'en voudrai jamais au malheur comme les autres lui en veulent, le malheur m'a tout donné de jamais l'avoir accepté, les empêcheurs de jamais leur avoir cédé, cette seconde restera pour toujours indescriptible, y aura jamais de mots pour dire ce que c'est de devenir soi-même, ç'allait se voir physiquement le changement dû à cette seconde dans le bus, ç'allait se voir pour tout, je viens de cette seconde qui elle-même vient de si loin que je saurai jamais d'où : de l'enfance peut-être, de l'oppression que c'est l'enfance, que ce sera toujours et quelle que soit l'enfance, l'oppression que c'est la famille, que ce sera toujours et quelle que soit la famille, elle venait la seconde du garçon à la barque qui me souriait près du canal et que j'avais laissé repartir, de cet autre croisé devant un marchand de journaux, elle venait peut-être de Lucien quand il avait dit l'important c'est d'aimer, elle venait de la solitude, ces nuits passées seul avec Kali dans ses pattes et son flanc, de tous les regards assassins que j'avais dû affronter, elle venait du meurtre ma seconde, de tous ceux qui sont morts parce qu'ils ont jamais eu comme moi une seconde dans un bus une fin d'après-midi : elle venait de tous les autres, de lui le garçon blond qui saura jamais ce que je lui dois, ceux d'avant moi qui comme moi un jour s'étaient pas résignés, ceux d'après moi qui comme moi se résigneraient pas que le monde soit ce qu'il est, impitoyable et sans aucune raison, assassin et sans aucune raison, et nos bourreaux, un grand merci à nos bourreaux d'être ce qu'ils sont, on leur doit à nos bourreaux de pas leur ressembler, de pas aimer la vie qu'ils servent avec tant de zèle et sans aucune raison, qu'ils continueront de servir avec autant de zèle qu'avant et sans aucune autre raison que celle de faire des victimes, toujours davantage de victimes, elle venait ma seconde de Vincent et elle lui reviendrait, tout pouvait commencer. © »

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"Wild Samuel" 2013

 
résumé : Wild et Mathieu se connaissent à l'âge de onze ans, leur lien est si fort qu'ils peuvent même se retrouver dans leurs rêves. Mathieu meurt à vingt ans. Wild ne pourra se résigner à être séparé de lui et le recherchera même malgré lui, accompagné par Ankhchen, la femme mystérieuse et si proche à la fois qu'il retrouve à Berlin.

(extrait) « Ils se touchent presque. Elle parle des lumières au loin, elle parle des femmes de la place de Mai la nuit. Elle parle de Keith Haring quand il était à Berlin. Ils pourraient parler de n'importe quoi tous les deux, ce serait toujours la nuit, ce serait toujours clair. Mathieu était triste l'autre jour, il croyait que j'en avais assez. Oui bien sûr, je le comprends, il fait tout ce qu'il peut pour toi et toi, tu en as assez. Wild se révolte. Ce n'est pas vrai ! Quoi, mon petit Wild ? qu'il fait tout ce qu'il peut pour toi ? Pas ça, mais tu en parles toujours comme si c'était vraiment lui ! Elle dit, tu ne vas pas recommencer. Puis, alors ? qu'est-ce qui n'est pas vrai ? Que j'en ai assez, ce n'est pas vrai, je n'ai jamais voulu le perdre, tu le sais bien toi, je ne veux pas le perdre, surtout pas maintenant. Oui, tout ça je le sais, mais... Elle le regarde, et là il voit ses yeux, dans les siens, ils se regardent, et il est sûr qu'elle aussi elle voit ses yeux, ils sont sur cette plage déserte la nuit, eux seuls, à parler de sa vie, à parler de Mathieu, de la folie Mathieu, mais ils n'ont jamais fait que ça. Mais quoi ? finit-il par dire. Elle dit doucement, en lui caressant la joue, tout ça n'empêche pas que le rêve soit une prison, que tu ne saches plus comment faire, avec tes deux vies. Ils s'assoient sur le sable, elle laisse ses chaussures sur le sable. Maintenant ils la voient, la mer sombre. C'est vrai, dit-il, je le lui ai dit. Tu vois, dit-elle. Et il a dit qu'on sortirait du rêve. Tu le crois ? J'ai toujours cru Mathieu, il ne m'a jamais menti, alors oui, on sortira du rêve. Tu comprends ? ajoute-t-il. Elle rit entre les dents, comme elle fait parfois. Puis, écoute, tu parles de sortir du rêve alors que tu en es déjà sorti, qu'est-ce que c'est que nous deux sur cette plage si ce n'est pas sortir du rêve, et tes portes, dis-moi, et ta radio, tu es sorti du rêve depuis longtemps, ton rêve avec Mathieu n'est pas un rêve, je te l'ai déjà dit, combien de gens envieraient ta vie, ta prison justement, cette histoire, ton train qui traverse les vagues, tes portes où on te tire dessus et où tu revis quand même. Je te l'ai raconté ça aussi ? Probablement, dit-elle, comment veux-tu que je le sache autrement, tu es drôle, mon petit Wild. Non, je ne suis pas drôle. Et puis il dit, alors pourquoi il a dit qu'on sortirait du rêve. Pourquoi ! pourquoi ! c'est toi qui me poses la question ? mais parce qu'il est prêt à tout lui aussi pour que tu sois heureux !... © »

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"Géant" 2016

 
résumé : une heure dans la vie de trois personnages, la même heure. Vincent l'écrivain, dans sa chambre à Paris. Léa dans sa chambre d'hôpital où elle va mourir. Et Ben, le jeune cardinal noir au conclave de Rome qui élira le prochain pape.

(extrait) « (Vincent) La mer se retire. Et ma mère, est-ce que j'écrirai sur elle un jour ? Elle va mourir. Rien que de le penser, le dire, ça paraît impossible. Ben dit que la mort n'est qu'un voyage, le voyage de l'amour. Un voyage déchiré, il dit. On s'est écrit davantage depuis que maman est à l'hôpital Pasteur. Il dit que ma mère est une femme soleil. Je lui dis que je préférerais la voir morte que comme ça. Il comprend. Ben est avant tout quelqu'un qui comprend. Je ne peux pas vivre avec des gens qui ne comprennent pas. Comprendre même l'incompréhensible. Il me semble entendre la voix de Chavela Vargas au loin. C'est peut-être Mamoudou qui a mis le disque, doucement. Il doit penser que la voix de Chavela ne peut pas être un empêcheur d'écrire. C'est Julien qui m'avait offert un coffret d'elle. Que fait Sarah ? Je ne l'entends plus. On ne fait plus beaucoup l'amour mais on parle beaucoup avec Sarah. On parle beaucoup tous les trois. Les dîners ne sont jamais silencieux, toujours un peu exaltés. Mamoudou est exalté à sa manière, un peu ironique, cachée mais qui affleure. Lui aussi écrit parfois à Ben. Je ne sais pas ce qu'il lui dit, je ne demande pas. Je rouvre le roman. J'ai l'idée d'une phrase. Mais je ne l'écris pas. Je n'écris pas comme ça. Une phrase par-ci une phrase par-là. Je n'écris pas si tout l'esprit n'est pas concentré uniquement sur ça, écrire. Je note juste la phrase dans le cahier. Je prépare toujours mes romans sur un grand cahier noir, un grand cahier noir de dessin. Je referme le roman. Dans mon roman, Roman est un habitué de la librairie de David. Lucien, le visiteur de David, cherche un livre, un livre introuvable. Ils ont parlé, Lucien et David. Ils ont parlé des Juifs, Lucien parlait de Jim Mortail, il disait que c'était quelqu'un qui avait beaucoup partagé, c'est son mot, et il souriait en le disant. La fille sur la passerelle ne caresse plus les cheveux du garçon qui ressemble à Julien. Ils parlent encore, on dirait que quelque chose ne va plus. Les amants de Paris ne sont jamais tranquilles. Ma mère aimait les amants, leurs histoires, on allait au cinéma ensemble quand j'étais adolescent, et même après parfois, elle était secrète mais je la comprenais d'un mot, et d'ailleurs avec elle aussi j'ai beaucoup parlé. © »

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trilogie « Âmes dehors »

 

premier roman : "Décal'âge" 2018

résumé : Velma est veuve depuis un an. Alain, l'homme de sa vie, est mort. Elle décide de s'en aller à la recherche de son fils parti il y a dix ans aux Etats-Unis et dont elle n'a plus de nouvelles. Ce roman raconte la quête de Velma là-bas, loin de Paris.

(extrait) « C'est beau, dit Velma, ils sont assis à une table du Palm Court au Plaza, tu sais que je n'ai jamais adoré les endroits trop cérémonieux mais c'est beau, si on m'avait dit il y a un mois, il y a quinze jours, je suis la plus heureuse du monde, tu ne vas pas pleurer hein, j'aimerais pleurer ça me fait du bien, tu ne pleures pas toi ? oh si, souvent, je pleurais pour papa. Tu écris toujours ? Oui, pour la radio, mais parfois je n'écris pas ce que je dis au micro, ça vient comme ça, et quand ça ne vient plus on met de la musique. Et pas de roman ? Non, pas de roman, tout le monde en écrit des romans, qu'est-ce que je vais me mettre à en écrire pour ajouter au tas de merdes. Tu exagères. Oui, il y a ce qu'écrit Matt. Le texte que tu as donné à Sara, il est de lui ? Ah elle t'a parlé de ça..., non, il est de moi, je lui ai menti, tu vois toi aussi tu mens, oh rarement, elle l'aime ton texte tu sais, mon sexe ? oh tu es bête, je me tais, il rit, tu ris comme un enfant, alors elle t'a dit qu'elle l'aimait, ce doit être pour ça qu'elle m'appelait, je sais pas, elle t'a dit de quoi ça parlait ? un peu oui, de vous ? j'ai pas envie de parler de ça, je m'en fous de ce texte, c'était avant, j'aime ce que je fais maintenant, j'aime Matt, tu l'aimes aussi, tout le monde est heureux. Elle pense que ç'a toujours été impossible de parler sérieusement avec lui, au bout d'un moment il se retranche, Matthew ne se retranche pas, je voulais te montrer mon endroit à moi, à Central Park, mais c'est trop tard, ton endroit à toi ? oui, seulement à moi mais c'est trop tard, une autre fois, alors c'est fini de ne plus se voir ? c'est fini, dit Frédéric. Tu m'as appelée une fois, à Paris ? tu as dit, maman... Il lui embrasse la main, j'aurais fait ça moi tu crois, parce que tu es mon amoureuse ? © »



deuxième roman : "Rollercoaster" 2021


résumé : suite de "Décal'âge" : New York, Frédéric, Velma (sa mère), Matthew. Matthew vit avec Frédéric depuis douze ans, il est aussi l'amoureux de la mère de Frédéric. Frédéric fait une émission de nuit à la radio : Streetwalk, sous le nom de Jimmy Prince. Et il y a ceux qui l'écoutent la nuit dont les chemins de certains vont finir par se rencontrer, et parmi eux, Diego, le jeune immigré qui rencontre madame Soledad, et aussi celui qui a écrit à Jimmy une lettre avec le mot 'rollercoaster'... jusqu'au virus qui désole NYC... mais la cité revit quand même...

(extrait) « (Matthew) Elle prend toujours un whisky. Enfin, c'était la première fois que j'allais chez elle mais comme au Pierre, un whisky. Matthew, passez me voir un jour, seul, et Diego et Jimmy ne m'en veuillez pas mais Matthew et moi avons de chers amis en commun, Patricia et Julian, ça me ferait du bien d'évoquer nos souvenirs avec Matthew, et Diego ne soyez pas jaloux. Pas du tout, a dit Diego en souriant. C'est impossible que Diego soit jaloux de choses comme ça, ils sont tellement liés l'un à l'autre, ça saute aux yeux tout de suite, cet amour. La vieille femme et l'enfant roi, comme dans ma nouvelle. Alors j'y suis allé. Tu me raconteras, a dit Frédéric. Elle était seule donc. C'est elle qui a ouvert. Je n'ai même pas vu sa gouvernante, cette Rosa. Matthew, vous me rendez heureuse. J'ai souri. Son grand appartement. J'imaginais la vie de Diego là, après les années difficiles, et sa vie à elle, là, après la mort de son fils. Elle nous l'a déjà dit, Frédéric et moi avons l'âge de son fils quand il est mort. Vous prenez un whisky ? J'ai décliné, je ne suis pas très porté sur l'alcool et je n'ai pas osé lui proposer un joint, kidding. Il y avait une tarte aux amandes, elle y a à peine touché. Les Holdridge étaient les meilleurs amis de mes parents. Et peut-être aussi ses meilleurs amis à elle, malgré la différence d'âge, ou à cause, je n'ai jamais adoré être avec des gens de mon âge en vieillissant, vous me direz je suis servie maintenant. Et elle a ri de son rire inimitable. Elle voulait parler d'eux mais elle a surtout parlé de son fils. Vous êtes écrivain, vous comprenez ces choses Matthew, les écrivains, les vrais j'entends, n'écrivent que sur la mort, même quand ils écrivent sur la vie, vous êtes d'accord, Matthew ? Diego m'avait prévenu, elle me dirait, vous êtes d'accord Matthew ? Et je l'étais. La mort c'est notre gagne-pain. J'aurais tant voulu assister à votre mariage, Patricia et Julian y étaient aussi n'est-ce pas ? Elle était très curieuse de ce que moi un garçon qui aime les filles soit avec un garçon qui aime les garçons. C'est plus simple vous croyez ? Je ne savais pas que répondre. J'ai dit qu'aimer n'était jamais simple. Ça non, a-t-elle dit, c'est même la seule chose compliquée et Dieu merci, avec mon Julio c'était simple pourtant mais j'ai dû oublier les complications, une vie si longue, vous savez, on oublie, il ne reste que ce qu'il reste. Elle a le cerveau d'une adolescente, elle se souvient contrairement à ce qu'elle dit, elle tirait sur sa cigarette, vous pouvez fumer un joint si vous voulez, je ne suis pas à ça près. J'ai sursauté et souri, elle sait tout. Mais je n'avais pas de quoi fumer sur moi et de toute façon je ne l'aurais pas fait, mes restes de bonne éducation. Je déteste les tabous, Matthew, surtout à mon âge ce serait ridicule. Je suis resté dîner, Diego n'était toujours pas rentré, il devait avoir son cours avec sa Marmelstein. J'ai enfin connu Rosa, Soledad a ouvert une bouteille de vin blanc, ou plutôt je l'ai ouverte. Elle avait commandé à son restaurant favori. J'ai toujours adoré les restaurants, c'est ma vie, imaginez tous ces restaurants avec Patricia et Julian. Nous aussi, j'ai dit, Frédéric les adore, et sa mère aussi. Vous me la présenterez n'est-ce pas, sa mère ? On a fini la soirée en parlant de Diego. C'est là que j'ai compris. Qu'elle mourrait sans lui, dans la seconde. J'ai compris, pas tant à ce qu'elle disait, non, ailleurs, quelque part, qu'elle en mourrait, survivre à Vicente avait empêché toute autre survie. Alors c'était comment ? m'a demandé Frédéric avant l'émission. Trop long pour te raconter en une minute, mais elle aimerait connaître ta mère. Et tu lui as raconté pour toi et maman ? C'est ça ! oui, dans tous les détails. Tu aurais dû, elle aime les livres, rien ne l'étonnerait. Il avait raison, et l'émission a commencé. Je me suis demandé si elle était en train de l'écouter. Et combien de temps il lui restait à vivre. © »





troisième roman : "Hotel Monroe" 2022-... à suivre



résumé : suite de "Rollercoaster" : New York - Frédéric, Matthew, Soledad, Diego et les autres emménagent tous dans l'hôtel Monroe de Manhattan que Soledad et Velma ont acheté... commence une nouvelle vie

(extrait) « Celine partage son temps entre la chambre de Pete à l'Hotel Monroe et l'appartement de ses parents.
Ça n'a pas traîné, a remarqué Soledad. Et qu'est-ce que vous en pensez ? lui a demandé Diego. Elle a dit que quand elle a rencontré Julio, ça n'avait pas traîné non plus. Vous comprenez, Diego, dans ces rencontres il y a toujours quelque chose d'évident, mieux que le coup de foudre, je ne suis pas née de la dernière pluie.
Ils viennent de rentrer de la lune de miel. Ils ne voulaient pas quelque chose d'extravagant, Pete a dit que la lune de miel c'était tous les jours.
Moyennant quoi ils ont passé quelques jours à l'Hotel Monroe des Hamptons. Bertha ne les a pas fait payer et a été à leur petit soin. Elle a dit que cela lui faisait penser à sa rencontre avec John, son mari.
La famille de Pete voulait un mariage à Miami mais Pete préférait que le mariage se célèbre dans le Chelsea des années 2020. Et puis il n'avait pas envie avec cette chaleur d'imposer à Soledad un voyage à l'autre bout du pays.
C'est le jeune juge gay ami de Chet, Simon Goldgrab, et qui avait déjà célébré le mariage de Frédéric et Matthew qui a officié.
Il y avait peu d'amis, Pete a dit qu'il se rendait compte qu'il n'avait pas tant d'amis que ça, à part ceux de l'hôtel. Et Celine était plutôt du genre solitaire. Mais sa meilleure amie, Sandy, était là. Sandy compose des chansons.
La fête eut donc lieu à l'Hotel Monroe de Manhattan en juillet.
Pete jura à Andrew que son mariage jamais n'entacherait leur amitié.
Mais si vous avez des enfants, vous ne pourrez pas rester à l'hôtel ? Pas d'enfants pour l'instant, répondit Pete, juste elle et moi... et vous.
Soledad avec sa robe rouge. Elle avait dit à Lena : cela vous donne des idées ? Oh, Diego et moi on se connaît depuis bien plus longtemps, on est déjà marié dans le cœur. Oui, dit Soledad, le cœur, c'est là que ça se passe, pour le reste vous avez le temps, mais notre Pete est comme ça, passionné.
La mère de Pete était là, pas le père. Le père détesté, Pete profitait pleinement de sa mère. Jane Riverdale parla avec Andrew : j'ai longtemps cru que c'est avec vous que mon Pete se marierait, il vous aime tant. Cela fit rire Andrew qui savait l'amitié de Pete mais pas qu'il en avait autant parlé avec Jane.
Jane Riverdale était belle et sûrement que Pete tenait quelque chose d'elle, le sourire, elle disait toujours avec malice en sa présence, il me ressemble mais il n'est pas aussi beau que sa mère. Elle parla avec James parce que dans sa jeunesse elle voulait être actrice et avait même suivi des cours de théâtre, je vais aller voir votre pièce. Demain si vous voulez, dit James, je vous donne une place. Oh non, je la paierai, enfin, s'il en reste. Il vaut mieux que vous la preniez. Ça marche alors ? Ça marchait, un peu grâce à Meryl qui était passée incognito, mais Meryl incognito...
Celine et Pete ne s'embrassaient pas souvent. Celine déteste ces couples qui s'embrassent sans arrêt en public. Oui, dit Pete, en plus nous ne sommes pas un couple. C'est ce que dit Frédéric de lui et Matthew, pas un couple. Celine lui prit la main. Ils se prenaient beaucoup la main, la laissaient, la reprenaient.
On avait couvert la piscine pour éviter les catastrophes.
Velma pensait à son mariage avec Alain dans la nuit des temps. Soledad pensait au sien dans les pluies d'autrefois.
À un moment on chercha Pete et Celine, on ne les trouvait plus : ils étaient sortis voir le fleuve. Et puis ils étaient là. Ils dansaient.
Alors Pete, vous revenez à New York ? demanda Soledad. Oui. Mais je reste avec le même député, Crowther, il ne veut pas se séparer de moi, je ferai des allers et retours avec Washington. Cela ne m'étonne pas, dit Soledad, vous avez dû vous rendre indispensable même si personne ne l'est, à part Diego. Oh il est surtout très paresseux, il ne veut pas repartir à zéro avec un nouvel assistant. Venez Pete, vous allez m'allumer une cigarette devant la porte d'entrée, nous regarderons passer les passants.
Tu te serais marié avec ton James d'autrefois, demande Velma à Ronald. Oh oui si cela avait été possible, oui. Cela nous aurait évité des drames, en ce temps-là c'est la famille qui avait tous les droits, même les familles qui rejetaient leurs enfants homosexuels, avaient tous les droits, c'était notre enfer. Elle lui prend la main, tu veux une clope ?
On se marie ? demanda Diego à Lena. Lena lui prit la main, on est des enfants de la rue, la rue nous a déjà mariés. Oui bien sûr mais enfin. Tu veux toi ? Et Diego regarda Soledad qui parlait avec Anton Frown.
Elle avait invité l'inspecteur- Pete lui avait dit : vous avez carte blanche, vous êtes la reine (ah ce Pete !)- qui avait accepté tout de suite, ainsi que Stingo, le jeune docteur de Soledad. Sa coupe de champagne à la main, elle parlait de Julio et de leur rencontre dans ce bar de Buenos Aires, El Rayo. Et pourquoi êtes-vous venus à New York. Mon mari prenait des risques, répondit-elle, et moi je le suivais.
Finalement tard dans la nuit, Pete prit Celine dans ses bras, il la porta comme une princesse jusque dans leur chambre au premier étage. Soledad était couchée depuis longtemps, quand on le lui dit le jour d'après, Celine portée comme une princesse, elle dit simplement qu'il fallait bien que tous ces beaux muscles de Pete servent à quelque chose, tout sert au bout du compte, vous verrez, Diego, même les choses ennuyeuses, je ne suis pas née de... © »

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"Matteo le magnifique" 2023

 
résumé : deux longs voyages à 45 ans de distance, deux tournants qui se rejoignent

(extrait) « Nous avons pris le petit-déjeuner dans le penthouse de l'hôtel, cette fois Matteo n'était pas à moitié nu. Le serveur était charmant. Je n'aime pas les derniers jours, les dernières fois, je n'y crois pas. C'était le dernier jour. Nous allions à Bondi Beach mais ce ne serait sûrement pas le Bondi Beach du début du voyage. Matteo a passé le vernis à ongles blanc sur l'égratignure de la Toyota mais ce n'était pas très concluant. Nous avons une nouvelle fois nettoyé l'intérieur de la voiture pour éliminer cette tenace odeur de merde animale mais tenace elle était et tenace elle resterait. Je ne suis pas un fou de la nature et des merdes animales. Bondi Beach n'avait pas changé et il resterait le même après nous. La mer serait la mer. Nous avons fait quelques magasins, j'ai acheté des petites lunettes de soleil, même si ce n'était pas vraiment celles que je recherchais, et Matteo des chaussettes et un maillot de bain. Et puis les vagues. J'avais abandonné celles de Virginia Woolf. Les dernières vagues. Matteo dans l'océan. Et puis la voiture jusqu'à Watsons Bay, Matteo y tenait. La route jusqu'à Watsons Bay, à gauche Sydney et ses tours, à droite la mer. À Watsons Bay, les Fish & Ships, Matteo y tenait. Les mouettes affamées ne se lassent jamais de tournoyer. En rentrant, avant de repasser par Bondi Beach, nous nous sommes arrêtés pour marcher dans un parc qui surplombait la mer. Je ne sais pas si ce retour sur les lieux où nous avions été heureux était une bonne idée mais qu'aurions-nous fait à l'hôtel, jusqu'à l'heure de l'avion la nuit ?
Faire les valises. Et puis on a marché jusqu'à l'aéroport, ce n'était pas loin, jusqu'au comptoir dont dépendait notre voiture, pour demander où exactement nous devions la laisser au moment du départ. Et retour à l'hôtel. Et voilà.
L'avion nous a amenés d'abord jusqu'à Doha. J'ai un peu dormi. Matteo m'avait écrit une carte où il me disait merci. Du coup je lui en ai écrite une dans l'avion où je disais merci aussi à ma façon. Ma mère disait souvent merci. Barbara aussi. Sans merci il n'y a rien : Rien n'est naturel, rien n'est normal. Escale à Doha. Salle VIP. Je n'avais pas faim du tout, j'avais des nausées. On a quand même acheté des lunettes de soleil, et comme on en a acheté deux paires, la troisième était gratuite et serait pour le père de Matteo. De Doha à Madrid je n'ai pas dormi. On a regardé des films. On a plaisanté avec l'hôtesse. On a bu du champagne, on était toujours en business, je ne dormais pas sur un banc de l'aéroport. Je pensais que le champagne ferait passer ma nausée. Nous sommes arrivés à Madrid le mardi 28 février en début d'après-midi. J'ai changé les deux mille dollars qui nous restaient contre des euros. Les parents de Matteo nous attendaient pour nous ramener à notre appartement de la Plaza de España, notre appartement de la tour historique, la Torre de Madrid, avec cette vue sur la Casa del Campo qui ressemble à une vue sur la mer, avec de l'imagination, mais de l'imagination il m'en faudrait beaucoup dorénavant. Je me serais passé des parents mais on ne pouvait pas faire autrement. Je ne tenais plus debout et il allait falloir essayer de tenir jusqu'au soir pour ne pas dormir dans l'après-midi, il fallait se remettre aux heures d'ici. Dans l'appartement je flottais, je souriais absent, Matteo déballait les cadeaux pour ses parents qui étaient émus. Ils croyaient que c'était le voyage de notre vie. Ça l'était mais ils ne savaient pas à quel point, l'ombre et les lumières. Ils ne comprennent pas ces choses, du mal de vivre et de la joie de vivre. Matteo oui, lui, les comprend. Matteo est l'incarnation des deux, le mal de vivre et la joie de vivre. Ils ont fini par partir. Les jours qui suivirent, je n'étais pas glorieux. Il était prévu que dans deux semaines nous irions avec ses parents faire un voyage de trois jours à Grenade, voyage prévu même avant celui en Australie, Grenade c'est le pays de l'enfance du père de Matteo, il voulait que je connaisse la merveille, je ne la connaissais pas. Ce voyage si proche du retour d'Australie me paniquait, je me voyais dans les rues marchant et tachant mon caleçon. Matteo s'accrochait à ce voyage. Il ne voulait pas voir que je n'allais pas bien. J'avais un rendez-vous dans dix jours avec mon chirurgien de l'appendicite, prévu depuis longtemps, le jeudi de la semaine suivante. Je comptais lui parler de mes problèmes. Le lundi j'étais au plus mal. Angoisse et nausées. Le retour n'avait fait qu'aggraver les choses. Matteo affolé me poussa à aller voir mon chirurgien tout de suite, il me prendrait sans rendez-vous, en plus après l'opération de l'appendicite nous leur avions fait deux très beaux cadeaux à lui et à sa secrétaire. Matteo ne m'a pas accompagné. Le chirurgien m'a fait un toucher rectal et il a confirmé que j'avais quelque chose de dur dans mon anus. Le vendredi j'ai fait une coloscopie. J'ai eu le résultat tout de suite : rien au colon mais un cancer de l'anus qui sera confirmé par une biopsie quelques jours après. Matteo a annulé Grenade. C'était déjà ça. Un autre chapitre s'ouvrait. Celui où il faudrait être artiste. Une fois de plus. Où il faudrait continuer à aimer, difficilement, une fois de plus. Où il faudrait être moi et même davantage que moi. Sur-moi. Où il faudrait avoir moins peur de la mort. Ma vie était Une, je le voulais. Le désespoir côtoierait la foi. Une fois de plus. Et la solitude qui revient, à la guerre comme à l'amour, toujours. © »

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"Parce qu'eux" 1989
Éditions Saint-Germain-des-Prés
(et autres poèmes)

 



Sachez-le ! Rien n'est ici à sa place et tout y sonne juste. L'amour surgit de ces poèmes comme de rites impurs ("des anges y croisent des robes noires"), le désespoir affleure sans l'emporter jamais. Car..., là où le verbe nous entraîne, "l'écume au loin des vagues éclaire un peu ces lieux". Force et lucidité de la vie incarnées dans les mots.
(Hervé Loyez)

« (prudence)

le temps

qu'il y en ait eu tant, et toi si peu

prudence !

rescapé, adoré, abîmé

cette envie qui au fil du temps

t'anéantit

d'être à l'égal d'un dieu

bloc fissuré

le sang des maux

l'or

toujours aussi vif

les démons, les paradis

la mer morte

qu'ils reviennent !

que les démons les retrouvent

seulement un début

pas de fin

le mal faisait du bien

fuir

tenir à distance

reconquérir,

l'enfance,

et soi,

reconquérir le monde

attends ! © »


Amazon: https://www.amazon.fr/Parce-queux-Jean-Michel-Iribarren/dp/2243031795/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1431619725&sr=1-2&keywords=jean+michel+iribarren

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Parce qu'eux




France Culture : "Du jour au lendemain" par Alain Veinstein : "L'Insecte", de Jean-Michel Iribarren, éditions du Seuil, interview 2000

Alain Veinstein : Vous êtes né en 58 Jean-Michel Iribarren et votre éditeur nous informe que vous avez exercé divers métiers dans la politique et le cinéma, la politique et le cinéma c'est pas tout à fait la même chose...

Jean-Michel Iribarren : II y a beaucoup de gens qui disent que c'est pareil, je ne sais pas... Vous voulez que je vous dise exactement ce que j'ai fait ?...


Dites ce que vous voulez, vous êtes libre...

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de choses... le parcours qui m'a mené a l'écriture a été long... j'ai commencé à écrire tard, à l'âge de 30 ans à peu près et je crois que ce que j'ai fait avant n'a pas franchement d'intérêt... ce qui est intéressant, c'est que tout ça menait à l'écriture, que l'écriture était déjà là même quand je n'écrivais pas, que mon meilleur ami, dont je parle dans le livre, lui, voulait écrire depuis qu'il était petit, ça a été long...


Et vous c'est une décision plus tardive ?

Ce n'a pas été une décision, c'est toujours une chose qui m'a étonné... J'ai toujours voulu, ça paraît un peu bête à dire comme ça, je ne sais pas : trouver sa place, m'exprimer dans une chose artistique, et ça a pris des chemins contournés, j'ai fait de la radio, j'ai voulu être comédien, et cette place je ne la trouvais pas... j'ai même tourné un rôle dans un moyen métrage de Jean-Luc Godard, et je crois que ça date de là, je me suis dit : c'est vraiment lui qui crée quelque chose, moi rien... alors je me suis dit qu'est-ce qu'il me reste ? il me reste écrire, alors j'ai écrit... parce que ce livre, c'est quand même pas le premier que j'ai écrit, c'est le premier publié mais c'est pas le premier que j'ai écrit.


J'allais vous poser la question

J'en ai écrit beaucoup...


Et pourquoi n'ont-ils pas été publiés... d'après vous ?

C'est très difficile que l'auteur dise ça, parce que s'il dit : c'est la faute des autres, on va dire c'est facile... je crois que le chemin qui mène de toute façon à une certaine reconnaissance, il est long et j'ai toujours dit que tout le temps que j'ai écrit sans être publié, j'avais une extraordinaire liberté, je crois que peut-être je n'aurais pas écrit L'Insecte si je n'avais pas été autant refusé, parce que j'ai vraiment été extraordinairement refusé, partout... j'ai rencontré des gens qui me disaient en substance : c'est bien ce que vous faites mais on ne va pas l'éditer ou... enfin il y avait toujours des raisons, honnêtes ou moins honnêtes, je n'en sais rien... je n'en sais rien, c'est difficile parce que maintenant je suis publié, je suis dans une maison d'éditions, alors je ne peux pas non plus cracher dans ma propre soupe, mais en même temps pourquoi pas...


Vous êtes publié mais en même temps, avec ce premier livre publié, vous faites une expérience dont vous m'avez parlé par écrit, puisque vous m'avez envoyé votre livre avec une lettre, une longue lettre, bien intéressante, vous faites l'expérience du silence, vous êtes heurté, c'est le mot que vous employez, au silence qui a accompagné la sortie de ce livre qui est sorti il y a 2-3 mois, et depuis 2-3 mois pas assez d'articles selon vous, pas assez de retentissement médiatique...


Non, il n'y a pas que ça, parce que si ce n'était que ça... On m'a dit aussi que c'était le propre de tout auteur de se heurter, quand il a écrit, à un certain silence... vraisemblablement... Mais ce livre parle du silence, et en l'écrivant, et dans ce que j'ai écrit, j'ai dit qu'il se heurterait au silence... j'avais un peu anticipé le silence parce que je croyais qu'il ne serait pas publié, alors il l'a été, et même à bras ouverts, de manière presque un peu inquiétante, et le silence c'est plutôt après, ce n'est pas un silence total, c'est un silence sournois... Ce livre je m'attendais à ce qu'il soit - peut-être naïvement, alors que ce que j'ai écrit n'est, je crois, pas naïf, mais c'est peut -être ce qui prouve que je suis encore dans la vie dans ce qu'elle peut avoir de... je ne sais pas comment dire... - donc les gens qui auraient dû soutenir ce livre ne le soutiennent pas, on me dit qu'ils ne savent pas comment en parler...


Et vous pensez qu'un livre ne peut pas se défendre tout seul...

Oui... oui, à la limite c'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux, sûrement même ce qui pourrait lui arriver de mieux, parce que je pense que quelquefois dans la manière dont on défend un livre il y a beaucoup de malentendus aussi... mais c'est difficile pour un livre de se défendre tout seul, je ne sais pas si c'est plus difficile aujourd'hui qu'avant... mais le problème d'écrire, c'est qu'on est très libre quand on écrit, presque trop, presque trop parce qu'on est quand même coupé d'une certaine réalité, même si c'est bien aussi de s'en couper de cette réalité, parce que peut-être si on n'en était pas coupé on n'écrirait pas, et peut-être qu'on est plus proche d'une réalité plus essentielle... mais en même temps quand ce livre est écrit, il a besoin des autres, il a besoin d'être défendu, moi depuis 2-3 mois je me pose la question : est-ce qu'un auteur doit vraiment défendre ce qu'il a écrit ? c'est une question... en fait je réponds toujours oui, il faut défendre ce qu'on a écrit... mais peut-être que l'on devrait laisser les mots... et puis tant pis s'il y a le silence, peut-être qu'on devrait se résoudre à ça... je crois qu'il y a un orgueil aussi de l'écrivain qui est mal placé, il y a une envie de reconnaissance, de gloire, de gloire oui, enfin de gloire c'est exagéré, qui est mal placée aussi, qui est mal placée mais en même temps si on a écrit c'est parce qu' on a envie que ses mots "passent", les mots qui ne "passent" pas ils meurent, et moi je parle du silence alors si ce livre reste dans le silence, c'est aussi un échec du livre.


C'est un livre, c'est le moins qu'on puisse dire, qui crée un trouble... chez le lecteur...

C'est-à-dire...


L'Insecte, là, que vous publiez dans la collection de René de Ceccatty, Solo, parce que d'abord on ne sait pas si c'est un roman, ou si c'est un récit autobiographique...

C'est déjà son problème, pour ceux qui seraient chargés de le défendre... c'est un livre qui ne rentre pas dans une catégorie, c'est pas un essai, ça pourrait l'être, c'est pas vraiment un témoignage mais ça l'est aussi, alors au bout du compte je dis que c'est un roman, je pense qu'à partir du moment où j'ai fait parler le virus du sida...


Oui, parce que ça, c'est l'autre élément du trouble, c'est que dans ce livre-là, et à ma connaissance il n'y en a pas beaucoup qui en font autant, vous donnez la parole au mal, qui aujourd'hui en effet est le mal absolu, le mal qui à l'intérieur même du roman tue les personnages...

Il les a tués déjà... oui... est-ce que c'est le mal absolu ?... Ce qui est écrit aussi dans le livre, c'est que le mal absolu, c'est peut -être de ne pas regarder le mal...


L'indifférence...

Oui, l'indifférence... mais l'indifférence quelquefois ça n'est pas voulu, alors qu'il y a aussi une volonté de ne pas regarder le mal, il y a une forme d'organisation qui est basée, bâtie sur : ne pas regarder le mal... Ce que j'ai essayé d'écrire, c'est que ce qui fonde la vie, c'est aussi de ne pas regarder le mal, que tout se ramène finalement à ça... Le virus du sida, le pauvre, il a fait son travail de virus du sida et si je lui ai donné la parole c'est parce que justement je me suis dit que personne ne pouvait raconter, que j'en étais là, que personne ne pouvait raconter ce qui s'était passé et que justement celui qui pourrait le mieux le dire, ce serait le virus du sida... mais à partir de là on est quand même dans un romanesque, c'est pour ça qu'on peut dire que c'est aussi un roman mais c'est vrai que je ne raconte pas vraiment une histoire...


Non, c'est pas vraiment un roman à l'eau de rose... donc, il parle, il monologue, ce virus dans un livre écrit par un autre, un certain Sang Inquiet, qui est séronégatif, et qui vit avec Or Vif...

Sang Inquiet, c'est celui qui écrit le livre... donc c'est moi... et Or Vif, c'est la personne avec laquelle je vis, oui...


Sang Inquiet, c'est de l'encre noire...

Qu'est-ce que vous voulez dire ?


II est très noir...

Je ne crois pas.


... par son inquiétude même...

Non, ce qui est noir c'est justement de ne pas être inquiet, alors franchement je trouve que les gens qui vivent sans être inquiets sont... inquiétants... et qu'est-ce que ça veut dire être noir ?...


Noir comme l'encre...

Mais encore...


l'encre de l'écriture de ce livre... parce que c'est tout de même un livre...

ah oui, c'est un livre...


un livre ça ne s'écrit pas avec rien, ça s'écrit avec son sang, c'est-à-dire avec de l'encre...

Oui mais ça reste des mots... on ne sait pas en fait ce que c'est... et quand on a écrit un livre, on se dit que si ce n'est qu'un livre c'est pas la peine, si ce n'est qu'un livre...


Et qu'est-ce que ça peut être d'autre...

Peut-être qu' on écrit aussi pour le savoir... je crois qu' on se pose tout le temps la question... mais vous me disiez c'est noir, je sais que les gens qui ont aimé ce livre ne l'ont pas ressenti justement comme un livre "noir", ils l'ont ressenti comme un livre qui, je ne sais pas, qui leur donnait envie de lutter, qui n'était pas un livre désespéré, et que justement peut-être en disant le désespoir, en disant le mal, en approchant le mal, c'est là qu'on s'en sortait... C'est quand même ce que j'ai voulu raconter : que mes amis qui sont morts, ou ceux que je ne connaissais pas, j'ai eu l'impression que justement ils n'étaient pas morts pour rien, et que c'était le silence des autres qui voulait que cette mort soit vraiment une mort définitive... Dans la première page, je parle de colera alegria, j'ai voulu écrire une colère joyeuse, parce que ceux qui sont morts, dont on n'a pas parlé, n'ont pas cessé de rire, n'ont pas eu peur d'affronter leur mal... Mais la vraie question c'est quand même celle que vous m'avez posée, vous me dites c'est un livre, évidemment c'est un livre mais on se dit quand même, même si on a écrit ça, qu'un livre c'est pas grand-chose quelquefois, on ne peut pas se contenter de se dire qu'on a écrit, parce que quand on a écrit un livre on se sent un peu "quitte" aussi avec ce qu'on a écrit... je crois qu'on écrit pour savoir ce que c'est qu'un livre...


Qu'est-ce qu'il vous a appris ce livre-là sur vous-même ?

Il m'a appris que j'étais encore en vie... je ne sais pas s'il m'a vraiment appris quelque chose sur moi-même... et il continue de s'écrire ce livre, peut-être qu'il m'apprend presque plus de choses maintenant, peut-être qu'il me met aussi au pied du mur maintenant, puisqu'on parlait du silence qui peut aussi entourer ce livre, se dire : qu'est-ce que je fais maintenant, par rapport à ce livre ? est-ce que je me dis : je l'ai écrit voilà ou est-ce que je le défends ?... Et les autres continuent à écrire ce livre, je crois qu'on écrit avant, on écrit pendant et on écrit après, on écrit même quand on n'écrit pas. Est-ce qu'il m'a appris quelque chose sur moi ? je ne sais pas si on attend d'un livre... c'est pas une psychanalyse, un livre... on n'attend pas d'écrire un livre pour apprendre des choses sur soi, je crois que c'est plus d'aimer qui vous apprend quelque chose sur soi... c'est la confrontation au mal aussi qui vous apprend quelque chose sur soi, je n'essaie pas de me chercher dans mes livres... je pense que quand on écrit il ne faut pas non plus avoir une idolâtrie de la chose écrite, il faut être assez humble aussi, il faut aller vers les mots mais les mots... il y a quelque chose de très impuissant dans les mots, j'ai toujours dit qu'on écrivait plutôt entre les mots que les mots eux-mêmes... en même temps il y a cette chose quand on a écrit de dire : c'est écrit, alors c'est écrit c'est fini, et moi je déteste ce qui est fini, je ne crois pas a la fin, je ne crois pas à la fin d'aimer quand on aime, et je ne crois pas à la fin d'un livre, je pense que ce livre je l'avais commencé avant, que je le continuerai après...


II n'y a pas de dernier mot...

Non... on aimerait...


Même pour le virus...

Vous savez le virus, je l'ai fait parler mais je ne le connais pas si bien que ça, je crois que celui qui a écrit le livre... qui n'est pas totalement là, parce que c'est quand même un grand problème de venir parler de son livre, d'un livre, peut-être d'un livre comme celui-là...


C'est pas vous Jean-Michel Iribarren... ?

Oui, mais... vous savez j'aime beaucoup Barbara et elle disait : quand je chante c'est moi et ce n'est pas moi alors c'est moi et ce n'est pas moi... C'est peut-être ça, la recherche de soi-même...


Et là c'est qui aujourd'hui qui est en face de moi... ?

Ecoutez, c'est celui qui a écrit le livre qui est dans un studio de radio et qui... qui écrit mieux vraisemblablement qu'il ne parle...


Ou l'inverse...

Qui parle mieux qu'il n'écrit ?...


C'est possible, non?

... oui, j'aime bien parler... j'aime bien parler de ce que j'écris... il faut trouver le mot, la chose qui va vous faire dévider la pelote, quand on parle... Vous savez, j'ai écrit un livre à propos des homosexuels qui sont morts et je sais qu'il y en a qui se sont dit : bon c'est très bien ce qu'il écrit mais ce n'est qu'un livre, lui il n'a pas milité, il n'a pas combattu, il est séronégatif en plus, ce n'est qu'un livre... ils n'ont pas tout à fait tort non plus mais ils ont tort aussi quand même, parce qu'un livre c'est quand même beaucoup, on ne peut pas dire que c'est tout mais c'est quand même beaucoup... peut-être que c'est ça aussi le silence sur ce livre, c'est de mésestimer la force d'un livre... parce qu'il y a une force des mots... et que les mots peuvent aller contre la mort, contre le mal...


Ça, vous le pensez ?...

ah oui si je le dis, quand même...


C'est une drôle de confiance que vous leur faites aux mots...

Oui mais regardez... Je sais que le personnage que j'appelle Tête Perdue dans le livre, mon meilleur ami, qui est mort en 1993, qui était écrivain, Hervé Loyez, je sais que cette histoire avec lui continue et je sais qu'elle a beaucoup continué par les mots, ce qui prouve bien que les mots ne sont pas que les mots... Si je devais un peu mieux expliquer : il y a eu dans beaucoup de choses qu'il a écrites et que j'ai écrites avant sa mort, des choses qui anticipaient sur notre histoire "après" la mort... vous savez quand on pense que quelqu'un est mort mais qu'il est quand même encore avec vous, on est bien désemparé devant cette présence qu'on sent et qui est quand même absente, elle est quelque part, si on en est persuadé elle est quelque part, elle peut être dans les mots... c'est peut-être un peu bizarre pour celui qui entendra ça... mais oui je leur fais confiance aux mots, c'est un fait, mais je ne les crois pas tout-puissants, et puis je pense qu'il y a les mots et puis il y a les mots, et puis il y a ce qu'il y a entre les mots, et puis il y a sa propre vie quand même, je pense qu'on ne peut pas dissocier les mots de sa propre vie, et que beaucoup d'auteurs écrivent, et sûrement moi aussi, sans se dire : où est ma propre vie dans tout ça ?... vous comprenez, si l'on est qu'une institution, ou quelqu'un qui vient faire son livre comme ça... les mots se vengent de ça, les mots attendent quelque chose dans votre propre vie... les mots exigent de vous, ou alors ils vous rattrapent...


Vous n'êtes pas le maitre du jeu (je)...

On l'est trop et pas assez, on l'est trop parce que rien ne vous empêche quand on écrit, on se sent un peu tout-puissant... on ne l'est pas assez parce que tout ce qu'on cherche à dire on ne l'atteint jamais, qu'on a vraisemblablement trop parlé de soi aussi, qu'on veut écrire pour se déporter de soi mais que les mots vous ramènent toujours à vous-même quand même... je ne sais pas si cela a un rapport quand vous me demandiez : se connaître soi-même...


Je vous ai demandé ça, moi ?

Oui... vous m'avez demandé si en écrivant je me connaissais mieux...


Je vous ai demande ce que le livre vous avait appris sur vous-même...

Ce n'est pas la même chose... ?


Pas tout à fait mais enfin ne chicanons pas... II y a les mots et il y a les noms, il ya les noms que vous avez donnés aux personnages: Tête Perdue, Sang Inquiet, Or Vif... comme des noms d'indiens...

C'est un peu ça oui... c'est parce que je ne voulais pas que ces noms soient... je voulais un peu qu'ils soient symboliques, emblématiques, que ce ne soit pas totalement la réalité, mais j'ai donné aussi d'autres noms... voilà, ça c'est fait comme ça, je n'étais pas à Paris d'ailleurs, je réfléchissais à ça et j'ai trouvé ces noms-là, Sang Inquiet, Tête Perdue, Petit Balafré... mais bon, il ne faut pas y voir plus qu'il n'y a...


Et les indiens ont subi toujours de terribles hécatombes...

Peut-être, c'est vrai que quand on écrit il y a beaucoup de choses qui... on se dit après : tiens j'ai écrit ça... effectivement, peut-être... peut-être c'est en ça qu'un livre n'est jamais fini parce qu'il s'inscrit dans un lien, alors pourquoi pas, oui, avec les indiens... c'est drôle ce que vous me dites parce que j'en parle presque plus dans le livre que je viens d'écrire, de l'histoire des indiens...


Vous écrivez sur les indiens...

Non. Mais j'ai écrit un livre là, mais je ne sais pas si c'est très intéressant qu'on en parle maintenant, à propos des deux petits Guinéens qui avaient été trouvés morts dans la soute de l'avion il y a un an... j'ai imaginé un dialogue entre moi et un des garçons de cet avion... et c'est vrai que là, il y a des histoires d'indiens oui...


Et là dans L'Insecte, il y a une ligne, le livre suit une ligne qui est une ligne de partage entre "eux" et "les autres"...

Alors il faut que je vous dise qui sont "eux" et qui sont "les autres"... ? C'est ça ?


Bien, oui... mais vous pouvez y renoncer aussi mais ça serait dommage parce que c'est quand même au centre du livre...

"Eux", ce sont les homosexuels qui sont morts du sida et ceux qui étaient à leur côté, les homosexuels qui étaient a leur côté; alors "les autres", c'est... comment dire ? C'est le grand problème des autres, les autres ! Beaucoup me disent : "les autres", c'est les hétérosexuels, je sais qu'on a envie que ce soient les hétérosexuels, c'est vrai que ponctuellement dans cette histoire du sida c'est les hétérosexuels mais pour moi ce livre ne tient pas si on dit que "les autres" ce sont les hétérosexuels, "les autres" c'est : tout le monde, et "eux" se sont détachés des autres dans cette histoire du sida, ils sont devenus : eux.


Tout le monde, c'est-à-dire...

Tout vivant. Tout vivant qui participe a cette perpétuation de la vie, à ce système qui ne veut pas regarder le mal... tout ce qui est complice de ce qui fait la vie...


Vous laissez entendre que "les autres", ce sont les vrais malades... ceux qui disent n'importe quoi, qui disent par exemple que le sida a tué l'amour...

Oui, cette chose du sida qui a tué l'amour, alors ça je... le problème, c'est qu'il faudrait que je raconte tout le livre si je me mets à parler de ça, parce que le sida n'a pas tué l'amour non, ça arrangeait de dire que le sida tuait l'amour mais le sida n'a jamais empêché personne d'aimer... je pense que ce qu'on appelle l'amour est quelque chose qui soutient aussi ce que j'appelle le système de la vie... aimer vraiment c'est aller contre la vie, vous savez cette histoire de dire que l'amour est plus fort que la mort... on nous fait croire que l'amour est partout alors que c'est faux, parce que s'il était vraiment partout la vie ne serait plus ce qu'elle est... aimer va contre la vie... et le sida n'a pas tué l'amour mais le dire c'était un moyen de laisser dans le silence la mort des homosexuels...


Le sida n'a pas tué le rire non plus...

Non, parce que tous ceux qui sont morts ont beaucoup ri, beaucoup vécu, sûrement bien plus que ceux qui sont vivants, et qu'on plaisantait de la mort... Un jour je me suis levé, à un de mes meilleurs amis je lui ai dit : "alors pas encore mort !"... il y a eu une extraordinaire dignité là-dedans... et beaucoup de vie... Moi, ce qui m'embête aujourd'hui, c'est que j'ai l'impression que, même chez les homosexuels, on ne veut pas parler de cette histoire du sida, parce que la vie aussi fonctionne comme ça, sur l'oubli... alors que je pense que, si on n'oublie pas, si on regarde le mal, si on regarde la mort, c'est là qu'on est vraiment vivant, je pense que c'est ceux qui oublient, ceux qui n'ont plus la mémoire, ceux-là sont morts... et ça se retrouvera...


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"L'envol"

 
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(lettre à ma mère)

15 mai 1995

Mes parents chéris,
Oui, mes parents chéris - Vous le serez toujours.
Pourquoi mon silence ? Il y a tant de raisons, dont certaines m'échappent sûrement - Sans doute ne l'aurais-je pas fait si C. n'avait été là pour vous parler. Je me suis tu, je souffrais, je souffre toujours, je souffrirai toujours. Même s'il n'y a pas que la souffrance, loin de là. Je sais que cette douleur, il est difficile aux autres de l'affronter. Avec Hervé je n'ai pas toujours su. Cette indifférence des autres et du monde - que je crois inévitable - cette manière de dire : "ce n'est qu'un mauvais moment, ça va passer, il faut bien continuer à vivre", voir le monde continuer à tourner comme avant, tout cela m'était devenu insupportable. Car il n'y a pas qu'Hervé, tous ces morts ! Quant à moi j'ai compris : je veux bien continuer à vivre, mais je ne continuerai pas à vivre comme si rien ne s'était passé. Mon silence était un appel aussi. Je n'avais plus envie de vivre, ni de mourir. J'attendais de vous quelque chose, sans savoir quoi précisément. Aujourd'hui je comprends mieux cette solitude de ceux qui n'en peuvent plus. Quant à vous appeler pour dire des banalités ou pour vous rassurer, je ne pouvais plus. Seul C. - je crois qu'Hervé me l'a envoyé - a compris. Dans un article, on résumait la vie de Mitterrand à cela : aller jusqu'au bout d'une certaine idée de lui-même, quoi qu'il en coûte. C'est exactement pareil pour moi - Cette idée de Hervé, c'est la même chose, parce qu'il est ma conscience, comme j'étais la sienne. De cela, je n'ai de comptes à rendre qu'à moi-même, au-delà même de l'amour que vous ou d'autres me portent. Mon destin était de rencontrer Hervé, aujourd'hui il est d'écrire, les deux se rejoignent. Ecrire, ce n'est pas seulement écrire. Je n'ai jamais eu vraiment envie de mourir parce qu'il me restait un sens, un chemin et la douleur en fait partie, il ne faut pas la fuir. Les derniers mois que j'ai passés à l'école ont été, à bien des égards, inhumains. Comprenez-moi bien : je n'ai pas peur d'affronter les choses, c'est le contraire. Le peu d'énergie qui me restait passait dans ce travail - si usant pour même des gens qui ne sont pas dans ma situation - et il ne m'en restait plus pour l'essentiel : survivre à Hervé - La fatigue est venue me rappeler que j'étais en train de mourir à moi-même. Vous n'imaginerez jamais ce qu'est pour moi la mort d'Hervé, la catastrophe qu'elle est aussi, et le temps n'y fait rien, combien il me faut garder de "force" pour la surmonter et faire ce que je sais être mon devoir. J'en ai assez d'être dans la position de devoir presque m'excuser de cette mort et de redire sans cesse qu'elle n'est pas une mort comme les autres. Tout lien social, et ce travail en était un au plus haut degré, m'est devenu insupportable : je vous le répète, je ne peux plus vivre comme si rien ne s'était passé. Cela se manifeste jusque dans les détails : le bruit, le monde me sont difficiles. Vous n'imaginerez jamais non plus les ravages du sida sur nous, tous nos amis morts, nous vivons sur les décombres d'une guerre sans presque pouvoir en parler - et cela ne changerait d'ailleurs rien de fondamental. Je sais que j'ai toujours eu un rapport difficile au travail. Mais ce n'est pas le travail en tant que tel, c'est le lien social qu'il implique et la mort d'Hervé a porté cela au paroxysme. Ce n'est pas un manque d'exigence, de courage ou de volonté. Je possède ces vertus-là plus que tout autre. Je les mettrai au service de cette idée que j'ai de moi-même, d'Hervé et de l'écriture. Et vous au milieu de tout ça ? Il y a mon enfance, ce que je vous dois et pour lequel je n'ai cessé de vous remercier. J'ai toujours voulu préserver notre amour. C'est un choix qui ne va pas de soi, pour quelqu'un épris de liberté comme moi. J'ai été tendre, plus tendre que vous ne le pensez. Votre présence, même lointaine, est bien lourde parfois. Mais je n'aime retenir de cela que cet amour qui rend meilleur, sans quoi il n'y a pas de vie. Maman m'a dit un jour que, pour elle, Dieu comptait plus que nous. Quant à moi, si j'arrive un jour à Dieu, ce sera par l'amour des autres, celui d'Hervé sûrement, le vôtre peut-être, et alors nous n'aurons pas peiné pour rien. Malgré le respect et l'amour que je vous dois, il faut bien vous dire qu'avec vous j'ai l'impression depuis 20 ans d'avoir à m'excuser d'être ce que je suis. Je suis ce que je suis et j'en suis fier. J'ai essayé de comprendre votre attitude. Peut-être qu'en agissant ainsi, vous avez voulu m'apprendre la vie et ne pas me faire perdre de vue des valeurs qui m'ont souvent inspiré. Mais aujourd'hui ? A vos âges et au mien, ne serait-il pas temps de marcher main dans la main ? J'ai envie d'être aimé pour ce que je suis, totalement, je crois le mériter. En ce moment, je ne vois guère d'amis car je n'y trouve pas grand-chose qui me satisfasse. A part C. J'écris un 5ème livre. C. a fait parvenir à François Mitterrand quelques pages d'Ange et H, par l'intermédiaire de Madame Mitterrand qu'il connaît. J'espère venir cet été à Hossegor. Voilà, je sais que je ferai ce que je peux pour aller au bout de mon destin. Le reste est secondaire et s'arrangera, pourvu qu'il ne me détourne pas de l'essentiel. Soyez à mes côtés si vous le désirez. Puissiez-vous voir ce que cette lettre suppose d'amour et d'espoir dans l'avenir. Je ne souffrirai pas pour rien. Tant qu'Hervé sera près de moi.

JeanMicheH

Merci à maman de sa persévérance à me laisser des messages et à m'écrire. Le billet a beau être plus petit, il n'en est pas moins bon ! Physiquement, je vais un peu mieux, un peu seulement. Cette phrase de F. Mitterrand jeune : "Il n'est pas de force au monde, ni de force politique, philosophique, religieuse, d'Etat, d'argent, de capital, à l'égard de laquelle je ne sois tout à fait libre. Et si j'avais un orgueil à tirer de ma vie, ce serait celui-là." ©

Jean-Michel Iribarren


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